Intemporel T1 & 2

Chapitre 14 : Azylis

Je contemple en silence la toile accrochée au mur. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais je la trouve fascinante. Alors, tout naturellement, je me tourne vers Aevin.

-Qui est la personne représentée sur ce tableau ?

J'ai l'impression d'avoir touché un douloureux sujet. Une lueur triste brille maintenant au fond de ses yeux marrons.

-C'est ma sœur. Elle s'appelle Marguerite, comme tu peux le voir sur cette toile...

Je sens bien l'envie de parler d'Aevin. J'ai l'impression qu'il a envie de me confier quelque chose. Alors, je lui pose la question qui va lancer toute notre conversation...

-Ah ! Et que fait-elle, actuellement ?

Il laisse échapper un petit sourire et pince les lèvres. Lorsqu'il se décide à me répondre, ses yeux sont rivés sur ceux du tableau.

-Elle est en punition binaire interstellaire...

-Pardon ?

-Tu n'es vraiment au courant de rien Azylis... C'est elle qui a jadis aidé le prince à s'enfuir. Elle a été condamné très sévèrement par les juges. Trop sévèrement. Mais c'est à cause de Gabriel que tout ça est arrivé !...

Je garde le silence en tentant de mémoriser ces nouvelles informations. Je suis tombée sur le frère de celle qui a aidé Gabriel à fuir ! Par quel hasard est-ce possible ? Mais je n'ai toujours rien saisi. Qu'est ce que cela veut dire "en punition binaire interstellaire" ? Je me décide à poser la question.

-Excuse-moi, mais je n'ai pas bien compris ou est ta sœur actuellement...

Aevin hausse les épaules, une lueur de colère envahissant petit à petit ses yeux sombres.

-Pour avoir aidé un assassin à fuir, les juges l'ont condamné à la punition que je viens d'évoquer devant toi. En clair, ils l'ont endormie pour l'éternité et envoyée dans une capsule de survie au milieu de l'espace où elle gravite autour d'une quelconque planète... C'est en quelque sorte une belle au bois dormant moderne...

Je retiens un cri d'horreur. Ici, nous sommes dans mon futur. Est ce ainsi que les hommes évolueront ? Vers le retour de la peine de mort... Et l'hibernation à vie ? Mes pensées s'entrechoquent. Et la colère me pénètre un peu plus le cœur. Gabriel... Savait-il qu'il condamnait Marguerite à un sort pire que la mort ? Comme pour répondre à mes pensées, Aevin reprend :

-Lorsque les gardes l'ont emmenés, lorsqu'elle a disparu de notre vue pour la dernière fois, elle hurlait. Elle suppliait. Elle demandait la mort. Mais les juges ont considérés qu'elle ne la méritait pas. Mais y a-t-il un sort plus terrible qu'être condamné à penser, prisonnier de son corps, sans pouvoir ni se réveiller ni grandir, pour l'éternité ? Un jour, Gabriel me le paiera...

Je garde le silence. J'aimerai pouvoir défendre celui que j'aime. Mais c'est dur. Le doute et la colère m'ont déjà envahi le cœur, et moi aussi, j'aimerai des explications.

-Tu m'as dit qu'ils avaient rattrapé Gabriel, ils vont le juger une nouvelle fois ?

-Oui, c'est apparu tout à l'heure aux actualités.

Aevin sort de sa poche son petit écran plat. Il semble un peu calmé. Pourtant, à la lecture de ce qui s'affiche sur ce qu'il regarde, je vois ses lèvres trembler. Et... Oui, je ne me trompe pas. Il pleure. Juste une larme qui roule sur sa joue et qu'il essuie furtivement. Je fais semblant de ne pas l'avoir remarqué. Il me répond.

-Il... Enfin, les juges ont décidés de requérir contre lui la peine maximale. La mort. Il n'a aucune chance de s'en sortir vivant...

Non ! Non, ce n'est pas possible... Le désespoir m'envahit un instant. Quel est ce procès dont l'issue semble inévitable ? Pourquoi devrait-il mourir ? Ils n'ont pas le droit ! Je suis perdue, au milieu de toutes les émotions contradictoires qui m'envahissent. Et pour la première fois, avec une boule dans la gorge, je ressens ma solitude. Perdue dans une époque que je ne connais pas.

Quels choix s'offrent à moi ? Repartir. Fuir loin d'ici et abandonner Gabriel et tout ce qu'il représente pour moi. Me construire une nouvelle vie. Mais je ne peux pas. On ne combat pas l'amour. Et moi, malgré tout ce qu'il m'a caché, je l'aime...

Mais brusquement, je relève la tête. Les mots m'échappent malgré moi. Je sais que je risque de blesser Aevin. Mais je ne comprends plus...

-Aevin... Tu pleures ? Pourtant, tu voulais venger ta sœur...?

Je regrette d'avoir posé cette question. Je n'avais pas le droit. Après tout, ça ne me regarde pas. Mais mes paroles font craquer Aevin. Ses poings se contractent, et de nouvelles larmes amères s'échappent de ses yeux.

-Je voudrai pouvoir le détester ! Mais je ne peux pas !... Par moment, j'ai l'âme déchirée. Ma sœur, Marguerite, condamnée à un sort plus que terrible... Et lui. Pourtant, je ne peux pas l'oublier. Je ne peux pas effacer de ma mémoire nos jeux, nos sourires, nos éclats de rire, mon enfance...

-Attends, tu veux dire que vous vous connaissiez ?...

Il lève la tête. Lentement, il parvient à se calmer. Lorsqu'il me répond, sa voix est douce et posée.

-Bien sûr, nous étions de véritables amis, j'ai grandis dans son ombre et lui dans la mienne... J'étais son page.

Je retiens mon souffle. A quoi jouait le destin en réunissant aujourd'hui tant de personnes qui n'auraient en temps normal jamais dû se croiser ? On dirait une plaisanterie de mauvais goût ou un canular de cinéma... Pourtant, maintenant, je suis littéralement fascinée par Aevin. Il a connu Gabriel. Tout à coup, j'ai l'impression d'être un peu moins perdue, d'être un peu plus proche de celui que j'aime.

-Alors...

Ma voix est douce également quand je prends la parole. Je veux l'aider. Je voudrai qu'il réussisse à comprendre ses propres pensées et à trouver le chemin de la justice, le chemin de son cœur. Aevin me regarde. J'ai la main sur son épaule et je continue, mes yeux plongés dans les siens.

-Alors, s'il est encore ton ami, pourquoi ne vas-tu pas le voir dans sa prison ? Pourquoi ne cherches tu pas à l'aider ? Ce n'est pas possible ?...

Les yeux d'Aevin, remplis de doute, ne me lâchent plus.

-Si, c'est possible. En tout cas pour moi, car tout le monde sait ce que Gabriel était pour moi. Un ami. Un vrai. Mais comprends moi Azylis... Comment puis-je rendre visite ou aider celui à qui ma sœur doit son terrible sort ?

Sous la concentration, je fronce les sourcils. Je comprends son problème de conscience. Mais je crois maintenant connaître la solution.

-Ecoutes-moi... Je ne connaissais pas ta sœur, Marguerite, mais je sais qu'elle a risqué sa vie pour sauver celle de Gabriel. Alors, je pense qu'elle aurait aimé aujourd'hui que tu écoutes ton cœur, et non tes envies de vengeance... Va lui rendre visite si tu en as envie.

-D'accord, j'irai. Dès demain. Mais avec toi.

Je ne m'attendais pas à cette demande. Je ne m'attendais pas au choc qui m'envahit tout à coup. Silencieusement, la gorge trop serrée pour parler, je hoche la tête en signe d'assentiment.

Demain, je vais revoir Gabriel.