Gabriel (Chapitre 174)

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Descendre par la fenêtre... Riche idée que j'ai eu là. Le câble de Maly est une petite merveille de technologie qui révèle seulement maintenant son utilité. Les crampons sont fermement aimantés, suffisamment pour soutenir notre poids à tous les deux tout en me donnant la possibilité de les détacher pour les rattacher plus bas et ainsi poursuivre la descente.

Maly joue une fois de plus les casses-cou. Alors que je progresse lentement le long de la façade -la tour tremble régulièrement, chaque fois qu'une bombe explose à sa base- elle est déjà trois mètres plus bas.

J'évite de regarder à mes pieds. Encore une fois, mon fichu instinct de conservation m'interdit de tout laisser tomber. Mais quelle chance y a-t-il que nous arrivions tous les deux intact au sol, à plus de mille mètres de distance ?

Tous les scientifiques déclareront qu'il s'agit d'une mission impossible. Pourtant, défiant la science et tous les discours prouvés, je continue ma descente, les mains et les pieds crispés sur le câble d'acier, conscient que toute chute serait mortelle.

Utilité de cette mission ? Zéro... Edilyn serait enchantée lorsqu'elle aurait le résultat de ce que son petit enregistrement a donné... Je soupire et descends encore d'un mètre, maudissant la moiteur de mes mains qui menace à chaque instant de me faire complètement dégringoler.

J'ai essayé de rappeler Dynamite. Mais impossible de le joindre, et j'ai vite compris qu'il ne pourrait de toute façon rien faire pour nous. Sa taille et son manque de cavalier en font une trop belle cible pour les deux camps. Tiré brutalement de mes pensées par une voix qui résonne soudain derrière moi, je sursaute et tente de retrouver des pensées à peu près cohérentes.

-Alors, on fait de l'escalade ? Tu ne m'avais jamais parlé de ta passion !...

Je manque réellement de tomber avant de lentement me retourner. Deux mètres plus bas, Maly s'est également immobilisé et lève la tête vers nous.

Ce n'est pas possible, les miracles existent ! Thaïs me dévisage tranquillement, dans un aéronef exactement à ma hauteur, comme si nous étions en train de prendre tranquillement un café et que nous nous étions quittés hier.

-Disons que j'en ai assez de faire du sport, je grimpe... Tu peux approcher l'aéronef ?

Elle grimace et appuie sur un levier. L'engin se rapproche encore de moi jusqu'à n'être plus qu'à quelques centimètres. Thaïs me fait signe de monter mais je regarde avec une légère inquiétude l'animal tranquillement installé sur le siège passager, justement l'endroit où elle voudrait que je m'installe.

-Heu... C'est normal la panthère ?

Elle lève les yeux au ciel avant de s'exclamer :

-Toi, quand tu es perché au bout d'un malheureux câble sur la façade d'une tour de plus de mille mètres et en train de s'écrouler, tu te préoccupes des passagers de l'aéronef ?

-C'est un bon résumé.

Je décroche pourtant lentement l'une de mes mains pour l'accrocher à l'aéronef. Deux gouttes de sueur coulent dans mon cou. Tout lâcher pour tenter de grimper dans l'engin... Cela nécessite des nerfs d'acier. Mes deux mains sont maintenant agrippées à l'aéronef et je passe prudemment une jambe à l'intérieur puis l'autre.

Je ne suis pas tombé, rien. Je m'écroule sur le siège que la panthère a déserté pour se coucher à mes pieds, ce qui ne me plait pas beaucoup plus. J'accroche Thaïs par le bras en désignant du doigt Maly toujours pendue au bout du câble des deux mains.

-Descends un peu s'il te plait, il faut qu'on la récupère...

-Gabriel, ça va s'écrouler d'une minute à l'autre... On a pas le temps de récupérer un robot.

-Bien sûr que si. Tu t'encombres bien de ta panthère non ?

-Un point pour toi...

Elle râle ouvertement et commence lentement à amorcer la descente. Nous arrivons au niveau de Maly et je lui tends rapidement les mains.

-Accroche-toi !

Elle acquiesce et sans plus réfléchir attrape mes mains. Je n'ai même pas le temps de l'amener à l'intérieur de l'aéronef que la tour s'écroule enfin. Comme si elle avait tenu à bout de force les derniers instants juste pour nous.

Thaïs démarre au quart de tour et nous prenons juste à temps de la vitesse. C'est un supplice pour moi qui retiens toujours désespérément les mains de Maly.

J'en lâche une sans le vouloir et la panique me gagne. J'attrape l'autre à deux mains et crie dans le vent :

-Tiens bon Maly, plus que quelques minutes...

Comme si cela pouvait nous aider. Nous nous sommes pourtant éloignés juste à temps et Thaïs ralentit un peu, me permettant ainsi d'hisser à l'intérieur de l'aéronef Maly. Nous nous partageons la place passager et je pousse un long soupir de soulagement en regardant les derniers morceaux de pierres et de verres rejoindre le sol, mille mètres plus bas.

Maly se tourne alors, une lueur malicieuse au fond des yeux. Elle m'achève celle-là, à être déjà remise.

-Alors, on me compare à une panthère ?

Je repense à la phrase que j'ai dite quelques minutes plus tôt pour convaincre Thaïs. J'esquisse moi aussi un sourire bien qu'un peu tendu.

-C'est ça. A ceci prêt que s'occuper de toi c'est encore plus pénible. Si ça continue comme ça, je vais te mettre au regime. Tu m'as démoli les bras...

-Ooooh... Sincèrement désolé.

Devant son manque évident de sincérité, je hausse les épaules et m'autorise quelques secondes pour souffler avant de poser de nouvelles questions. J'évite aussi de m'interroger sur moi-même. Quelques années, que dis-je, quelques mois plus tôt, jamais je ne me serais préoccupé comme je viens de le faire d'un robot.

-Alors Thaïs, que fais t-on maintenant ?

-Pas de merci, pas de bonjour, pas de "comment ça va depuis le temps qu'on ne s'est pas vu" ?

Je lève les yeux au ciel et explose pour la première fois depuis longtemps d'un rire franc et joyeux.

-Désolé, j'ai d'autres priorités, on est en guerre.

Je perds tout à coup mon sourire en regardant le poignet de Thaïs. Le bracelet argenté y brille toujours. Edilyn peut nous espionner...

Thaïs paraît pourtant survoltée, dans une attitude comme je ne lui ai jamais vue. Elle surprend mon regard et elle siffle entre ses dents.

-Tu as raison... Il serait temps que je m'en débarrasse.

Elle tend alors le poignet devant les crocs de sa panthère. Je ne peux m'empêcher de pousser un cri. Trop tard pourtant pour intervenir...

Lorsque je regarde de nouveau, le bracelet est à terre, brisé en deux morceaux, et le poignet de Thaïs intact. Elle ramasse lentement l'objet et le lance avec un geste désinvolte par dessus bord. Je ne peux m'empêcher de l'interroger, inquiet.

-Thaïs... Edilyn ne retenait-elle pas en otage ton frère ?

-Ah, tu as deviné qui me possédait ainsi ? C'est exact. Mais si les informations de Gaëtan sont exactes, il ne risque absolument rien. Et vu ce que je m'apprête à faire, de toute façon, ce petit acte de révolte ne changera rien.

Je sens le vent dans ma figure, mais le soulagement se teinte maintenant d'un nouveau sentiment : l'incertitude. Qu'allons-nous faire ? Je veux un moyen de ramener la paix. Et pas autre chose. Thaïs continue sans que j'ai besoin de le lui demander.

-Je suis libre maintenant... Et j'ai une idée pour arrêter la guerre.

-Une idée réalisable ?

-Évidemment pas. C'est pour ça qu'on va essayer...

J'acquiesce. Je suis de nouveau dans mes bonnes vieilles habitudes...

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant