•Thaïs• (Chapitre 90)

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-Tu fais attention, c'est promis ?

Sarah relève la tête et remet une de ses mèches de cheveux sombres derrière son oreille d'un geste agacé.

-A ton avis, qui de nous deux a le plus peur pour moi ?

J'esquisse un sourire légèrement contraint.

-D'accord, j'admets qu'il y a de fortes chances que ce soit moi. Mais c'est justement ton manque d'appréhension qui m'inquiète.

-Je me débrouillerai très bien, tu verras...

-Si tu le dis...

C'est terrible de se sentir responsable de "ses" nouvelles. Je regarde Sarah s'éloigner de quelques pas. A vrai dire, je n'ai d'habitude absolument pas ce côté maternel. Mais là j'ai peur. Entraînement au combat... Pourquoi a-t-il fallu qu'elle soit la première de l'équipe appelée ?

Car c'est comme ça qu'ils font maintenant. Deux équipes s'affrontent. Chaque membre à un numéro et on en tire un au hasard qui correspond forcément à deux membres des deux équipes. Sarah va affronter un jeune garçon de vingt ans peut être un peu moins. A peu près le même âge donc.

Je ne le connais pas, mais j'en sais suffisamment sur lui pour savoir qu'enfant, il fréquentait les salles de sport.

Je grimace en songeant tout à coup à moi-même. Sur qui vais-je tomber ? Les autres membres de notre équipe adverse sont visiblement aussi inquiets que nous. Personne n'a encore eu le temps de s'habituer à ces drôles de compétition.

Sarah s'avance d'un pas sûr vers le milieu de notre terrain. La clairière a été divisée en plusieurs parcelles, chacune attribuée à deux équipes. Des hommes de mains du commandant jugent chaque performance... L'ambiance est devenue beaucoup plus tendue, et je ne peux pas m'empêcher de jeter un coup d'œil mécanique à mon bracelet espion.

Je songe fugitivement à ma panthère. J'ai l'impression qu'on commence l'une et l'autre à s'apprivoiser mutuellement. Mais je doute que le commandant la tolère encore longtemps au camp. Sauf si j'arrive à trouver une raison valable pour justifier sa présence...

Le combat commence. Mais dans mon équipe, nous restons stupéfaits. Sarah se débrouille juste à merveille. Elle ne laisse aucun espoir à son pauvre adversaire et le couvre d'une multitude de coups.

J'ai mal pour lui. Et je fronce les sourcils. Je déteste ce côté violent. Et je veux maintenant des explications. Où est-ce que Sarah a bien pu apprendre à se battre aussi bien ?

Son adversaire vient de pousser un cri et de hurler précipitamment.

-Je me rends, je me rends, mais arrêtez cette furie !

Il regagne piteusement son camp tandis que les juges notent la performance. Lorsque Sarah revient vers nous, je guette sa réaction.

Elle semble trouver la situation parfaitement normale à ceci prêt qu'elle paraît légèrement sur la défensive.

-Quoi ?

Je la dévisage sans sourire.

-Effectivement, je n'avais pas à m'inquiéter. Ou peut savoir ou est-ce que tu as appris à taper sur les gens ?

Elle me lance un regard à la fois furieux et curieusement indéfinissable.

-Ça ne te regarde pas.

-Si. J'aimerais vous aider. Tous ceux que j'ai sous ma responsabilité. Et depuis le début, je n'arrive pas à te comprendre. Alors que je crois avoir un peu progressé, je découvre tout à coup un aspect inédit de ta personnalité qui remet tout en cause. Tu ne me feras donc jamais confiance ?

Elle contre-attaque immédiatement.

-Et toi ? Tu ne m'as absolument rien dit de tes secrets ! Ou de ta vie personnelle tout simplement...

C'est curieux mais je n'avais même pas envisagé que cela puisse l'intéresser. Elle pose rarement des questions.

-Très bien.

Je croise les bras et la dévisage avant de continuer.

-Si tu veux on peut s'expliquer maintenant.

-Je ne crois pas que cela soit le moment.

-Ne joue pas sur les mots. On peut très bien en parler après cet entraînement.

Elle ne me répond pas et nous nous tournons tous vers les deux aides du commandant. L'un d'eux tire un papier au hasard dans un récipient de faible contenance.

-Numéros 6, en position de combat.

Je me tourne vers mes co-équipiers. Christian se détache du groupe et s'avance. Il va devoir affronter une fille assez jolie aux cheveux bruns.

Vu la peur qui brille dans ses yeux, elle ne va pas tarder à capituler. Je réfléchis alors sur ma propre situation.

Je viens de réaliser que moi aussi je vais le faire, ce fichu combat d'entraînement. Suis-je prête à tenter de faire du mal "par entraînement" à quelqu'un d'autre ?

Je réalise alors avec surprise que la réponse est positive. J'ai envie d'en découdre. Et pas de me laisser massacrer sur place...

Christian, sans surprise cette fois-ci, sort vainqueur de son combat. Vu la rapidité avec laquelle la fille a capitulé, elle ne doit avoir que quelques bleus et deux ou trois bosses maximum.

Les numéros défilent. Je tends l'oreille à chaque fois. Nous sommes de toute évidence très supérieurs à l'autre équipe.

Aucun de nous n'a perdu pour l'instant. Au fil et à mesure que le temps passe, tous les membres de nos deux équipes s'échauffent et commencent à hurler des encouragements.

Je jette un coup d'œil aux aides de camps du commandant. Ils semblent aux anges. De toute évidence, c'est exactement ce qu'ils espéraient. Instaurer un climat de compétition.

Mais moi, je ne hurle pas avec les autres. Il n'est pas question que j'applaudisse à un exercice de ce genre.

Je grimace lorsque l'avant dernier combat cesse. Encore une victoire pour mon équipe. Il ne reste plus que moi et le palmarès sera complet.

Je m'avance d'un pas mécanique vers le centre du petit espace dégagé sans attendre d'être appelée. Mon adversaire fait de même.

Jusqu'ici, je n'ai regardé ces combats que d'un œil extérieur, mais je regrette tout à coup de ne pas les avoir suivis plus attentivement.

Mon adversaire est un garçon blond et plutôt athlétique. A son regard décidé, on devine aussi que ce n'est pas vraiment le genre enfant de chœur.

Les aides de camp donnent le signal du début du combat. Je n'ai même pas le temps d'esquiver que je me retrouve à terre sans même avoir compris ce qui m'arrivait.

Devant la force visible de mon adversaire et les coups qui pleuvent je fais la seule chose qui me reste à faire. Je tente de protéger mon visage et de hurler.

Mais mes cris sont étouffés par le hurlement des deux équipes. La mienne qui voudrait remporter cette dernière victoire et l'autre qui rêve de prendre sa vengeance.

Rien n'est moral... Lorsque je tombe sur le sol, les juges font enfin mine d'entendre mes cris.

Les coups s'arrêtent de pleuvoir. Je sens qu'on me relève et me redresse, titubante, l'air hagard.

Les membres de mon équipe me font face. Christian soutient mon regard.

-Moi, j'ai gagné.

Le découragement m'envahit tout à coup tandis que je sens que je vais m'évanouir.

Je suis leur chef.

Et la seule à avoir perdu.

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant