L'arme de Yves se relève de nouveau dangereusement. Sa voix froide résonne de nouveau à mes oreilles, trop calme, impérieuse.
-Tire ! Qu'est ce que tu attends ? La mort d'une autre personne par ta faute ?
Il sait comment m'atteindre. Presque malgré moi, je tourne alors lentement la tête vers le commandant. Il est derrière nous, à quelques mètres, en train de froidement tirer. Deux jeunes gens, habillés de combinaisons noires similaires à celle de Yves, couvrent ses arrières.
Je sens la voix froide de Yves retentir de nouveau.
-N'y pense même pas ! Mais il te reste quelques secondes pour te décider...
Comment a t-il pu deviner mes pensées ? Je suppose que ça devait être tragiquement prévisible... S'il y a une personne sur qui il faudrait tirer pour faire cesser tout ceci, c'est bien le commandant.
Mais je n'en suis de toute façon absolument pas capable. Je regarde alors le policier qu'il me désigne. Nous continuons d'avancer et nous ne sommes maintenant plus qu'à deux mètres de lui.
Nos regards se croisent une brève seconde. C'est un homme possédant un certain courage... Il n'a pas obéit à l'ordre de repli général et reste seul à protéger les positions ennemies.
Je risque un coup d'œil à ma gauche et sens la panique m'envahir : je ne vois plus nulle part Aevin.
Mais dans la mêlée ambiante, des dizaines d'explications sont possibles... De la meilleure à la pire. Je refuse d'imaginer ne fus-ce qu'une seconde l'horreur possible et me concentre plutôt sur le positif : Yves -où l'homme, sans doute le commandant, qui se sert de lui comme d'une marionnette- n'a plus sur moi le moindre moyen de pression.
Car j'ai beau regarder de tous côtés, il devient impossible au fur et à mesure que le désordre envahit tout et que la fumée de diverses explosions se répand de reconnaître qui que ce soit à moins de trois mètres de distance.
Mais Yves semble tout à coup s'énerver bien que ses yeux restent dangereusement froid. Il m'attrape durement par le bras et m'entraîne vers le policier.
Submergé par le nombre, il ne nous tire pas dessus. Yves pointe alors sur lui son arme et l'homme se redresse lentement, levant les mains en l'air en signe de reddition.
Je ne peux m'empêcher d'espérer.
-Yves ! Non, Yves, tu...
Peine perdue, ses yeux gardent leur reflet d'acier immuable... Et personne pour m'aider. Furieuse, je parviens à dégager mon bras.
Au moment précis où il tire, je tombe sur le policier et nous roulons tous deux à terre, un peu sonnés mais sains et saufs.
-Courez !...
-Vous aussi !...
Il m'empoigne lui aussi d'une main ferme par le bras et m'oblige à me relever et à courir. Je ne peux que me rendre à l'évidence : Yves nous tire dessus, nous visant l'un et l'autre.
Nous traversons rapidement un brouillard de fumée et une foule grondeuse et l'homme m'entraîne dans un dédale de rues parallèles.
Au détour d'une rue absolument déserte, nous nous arrêtons et je m'adosse au mur, retrouvant avec difficultés ma respiration de façon légèrement laborieuse.
Je regarde alors plus attentivement le policier. Il me paraît plus jeune que ce que j'avais cru voir au premier abord. Je dirais la trentaine maintenant...
Il se redresse lentement, une lueur sombre au fond des yeux.
-Qu'est ce qui ne va pas ? Vous ne vous réjouissez pas d'être encore en vie ? Ne me remerciez pas surtout...
Ma question légèrement sarcastique, même si elle frise l'hystérie, résonne dans le silence sans émouvoir mon interlocuteur.
Ou plutôt, je voix l'étincelle au fond de ses yeux s'agrandir, montrant sa colère.
-Les fous... Toute la ville va partir en fumée pour une pseudo révolution... Ne comprennent-ils pas qu'on les manipule ?
-Je ne pense pas... Je crois juste que tout le monde a perdu ses repères ces derniers temps. Cette guerre civile qui s'enclenche est juste un moyen de choisir son camp...
-Certes... Mais vous savez quoi ?
-Non...
-Il y avait ce matin mon fils de six ans et ma femme au milieu de tout ça avant que cela ne se transforme en gigantesque poudrière. Vous pouvez m'expliquer où ils sont actuellement ?
Je me radoucis immédiatement, comprenant enfin la véritable cause de la colère qui continue de briller au fond des yeux de cet homme. Je devine alors pour la première fois depuis notre rencontre ce que pouvait signifier pour lui le fait d'abandonner ses positions et de reculer...
Peut-être rater l'appel au secours de sa femme ou de son fils... Je me décide à répondre, doucement et calmement.
-Ils sont sûrement chez vous, bien tranquilles et à l'abri...
-Vous y croyez vous ?
Il me défie du regard, certain que je n'oserai pas m'enfoncer dans mon mensonge. Non, je ne crois effectivement pas qu'ils l'attendent bien tranquillement chez eux...
Je redresse la tête, fixant alors résolument l'endroit dont nous venons de nous échapper de justesse.
-Je dois y retourner. J'ai des amis là-bas... Je ne peux pas rester ici.
-Moi non plus. Et c'est pourtant ce que je suis obligé de faire. Ne faite pas l'imbécile, votre propre camp vous tire dessus !
Il m'agrippe le bras de nouveau d'une poigne ferme, m'empêchant de m'éloigner.
-A quoi pensez vous exactement ? Que vous allez tenter de me sauver au moins moi, puisque vous ne pouvez plus rien pour votre femme et votre fils ? Mais ils sont peut être en vie à l'heure qu'il est ! Et je n'ai besoin de personne pour veiller sur moi...
Je dégage farouchement mon bras et m'éloigne résolument, sans tenir compte des cris du policier. Mais il me rattrape alors en courant et me dit d'une voix calme :
-Prenez ça. Ça pourra toujours vous servir... Vous avez beau être entêtée et ne jamais avoir appris le respect dû aux aînés, je préférerai que vous restiez en vie...
Je prends l'arme ultra-perfectionnée qu'il me tend, consciente de ce que cela doit représenter pour lui.
Je doute qu'il aime l'idée de laisser une adolescente au milieu d'un combat. Mais puisqu'il ne peut rien faire, autant m'aider à rester en vie...
J'acquiesce lentement en signe de remerciement avant de me remettre en route, sentant le regard du soldat planté dans mon dos.
VOUS LISEZ
Intemporel T1 & 2
Science FictionLorsque Gabriel disparaît de façon soudaine de sa vie, Azylis se lance à la recherche de réponses. Mais ce qu'elle va découvrir dépassera de beaucoup tout ce qu'elle avait pu imaginer... Et le temps, impitoyable, s'égrène à une vitesse délirante. Ca...