Gabriel (Chapitre 159)

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Nous sommes toujours face à face, Azylis et moi, dans la salle du poste de contrôle.

Nous nous regardons, inconscient des minutes qui passent lentement et de la présence de Maly et de l'unique garde.

Je ne veux pas que nous nous séparions une nouvelle fois. Et je crois lire dans son attitude proche du désespoir qu'elle ressent la même chose que moi.

Mais alors ? Ou nous repartons maintenant tous les deux dans le passé, tandis que j'abandonne Ivy et tous ses habitants dans une guerre civile, où nous restons et Azylis prend le risque de ne jamais retrouver l'occasion de sauver son frère...

Je ferme les yeux. Si j'étais un enfant, des larmes d'impuissance rouleraient le long de mes joues. Mais je suis un homme. Et il faut parfois savoir comprendre l'inévitable...

-Azylis...

-Oui ?

-Tu en es arrivé aux mêmes conclusions que moi non ?

Elle secoue la tête avec force, refusant d'affronter l'unique solution.

-Non, il existe forcément autre chose et...

-Nous n'avons plus le choix. Et, crois-moi, j'aurai aimé qu'il en soit autrement...

-On va encore se séparer...

-Pas pour longtemps cette fois-ci...

-Et si tu meurs ?

La question tranche l'air de façon violente, et je vois la colère se rallumer dans les yeux d'Azylis. Elle aimerait que je la suive. J'aimerai qu'elle fasse de même. Mais nous ne pouvons abandonner ce qui nous fait vivre...

-Je te promets de ne pas mourir. Ça te va ?

-Non, mais faute de mieux, je m'en contenterais...

J'acquiesce et inspire fortement.

-Les leviers sont tous en position ?

Maly prend alors la parole, d'une voix légèrement trop calme par rapport à d'habitude.

-Oui, tout est prêt.

-Les portes spatio-temporelles sont donc ouvertes... On va dehors pour faire venir la machine, Azylis ?

Elle acquiesce lentement, évitant mon regard. Je devine qu'elle ne souhaite pas se concentrer sur la boule qui nous serre la gorge à tous les deux.

Je me retourne vers le garde, toujours immobile sur sa chaise et lui demande d'une voix sèche :

-Allez-vous prévenir ma sœur ou qui que ce soit d'autre de nos décisions ?

-Non. Je n'ai reçu aucun ordre me réclamant une pareille information.

J'acquiesce à cette réponse avant de me diriger rapidement vers la porte sans me retourner, songeant au passage que j'aurai dû comprendre que rien n'était jamais gratuit avec Edilyn. J'aurai dû refuser de regarder l'enregistrement...

Je marche vite dans les couloirs, redressant la tête malgré moi pour cacher ma peine. J'entends derrière moi les pas d'Azylis et de Maly qui me suivent.

Nous ne tardons pas à être dehors, sur la plateforme de lancement. J'ignore où est passé Dynamite mais c'est pour le moment le cadet de mes soucis.

Je songe rageusement que j'aimerai beaucoup que la pluie se mette à tomber. Ce soleil radieux, éclatant de bonne humeur, me plombe encore un peu plus le cœur.

Je fais signe à Maly et Azylis de reculer légèrement et je lève en l'air mon avant-bras gauche. Concentrant mes pensées, j'active les puces électroniques.

Il n'en faut pas plus pour que le rayonnement bleuté que j'ai l'habitude de voir n'envahisse mon bras et pour qu'un grondement lointain ne se fasse entendre.

Petit à petit le bruit augmente pour se transformer en un long sifflement et ma machine commence lentement à se matérialiser devant nos yeux subjugués par le spectacle, semblant jaillir du néant.

Trois minutes plus tard, elle est parfaitement immobile, en parfait équilibre au milieu de la plateforme de lancement.

Un immense sourire envahit malgré moi mon visage.

-J'adore cette machine...

Ce n'est pas faux. Pendant de longs mois de solitude, elle a été mon unique rappel de l'époque d'où je venais. Je discutais pendant de longues heures avec la voix du bord, en ne pouvant m'empêcher de trouver complètement ridicule le fait de perdre autant de temps avec une intelligence artificielle, un robot.

Maintenant, en regardant Mahaut, je ne suis plus certain d'avoir réellement perdu mon temps. Ou se situe la barrière entre humanité et robotique ?

Mais la porte s'ouvre, nous permettant ainsi de monter à bord. Azylis se tourne légèrement vers moi, une lueur d'espoir d'avance déçue au fond des yeux.

Je suppose que je dois avoir exactement le même regard. Un bref instant, le doute s'empare de moi et je fais un pas en avant. Mais ma main se tend ensuite mécaniquement dans un mouvement définitif.

-Au revoir Azylis. A très bientôt.

Elle serre ma poignée de main. Nous ne voulons pas d'effusions, cela nous ferait tout les deux craquer.

Mais brusquement, un fabuleux sourire m'échappe.

-Azylis, quel jour reviendras-tu ?

-Comment veux tu que je sache déjà combien de temps je vais...

Elle pousse alors une petite exclamation. Elle vient de prendre conscience de la même chose que moi.

-Au fond, même si je passe quatre-vingt ans là-bas, je pourrai revenir dans une heure c'est ça ?

-Exact... Tu le feras ?

-Non...

-Mais pourquoi ?

Elle relève la tête et fixe ses yeux bleus dans les miens.

-Parce que je refuse l'idée de ce temps qui s'écoulera différemment pour nous deux... C'est une idée que je trouve terrible et trop dangereuse... De plus, tu n'auras réglé aucun de tes problèmes et nous seront de nouveau bloqués... Disons, rendez-vous dans une semaine ici même ?

J'ai du mal à comprendre le dégoût d'Azylis pour cette idée de temps s'écoulant de deux manières différentes, mais je conçois parfaitement son second argument.

Je dois réussir à faire quelque chose pour Ivy... A mettre fin à cette guerre civile inutile.

J'acquiesce.

-Dans une semaine. Tu auras intérêt à être à l'heure !

Ses traits se détendent et elle éclate joyeusement de rire, un pied déjà à l'intérieur de la machine et une main sur le côté métallique.

Elle se tourne alors vers Maly. La petite fille aux yeux violets attend qu'elle prenne la parole.

-Et toi ? Tu fais quoi ? Tu viens ou tu restes ici ?

-Je reste. Mais je te rejoindrai dans une semaine... Je vais rester avec Dynamite. Comme ça, ça te feras déjà un soucis en moins.

Un immense sourire envahit le visage d'Azylis. Quelques secondes plus tard, nous affichons tous le plus beau des sourires.

J'ai remarqué qu'au moment des adieux, tout le monde affichait toujours un visage heureux. Même quand on se sent terriblement triste au fond de soi-même.

Azylis grimpe alors complètement dans la machine et claque la porte. Deux minutes plus tard, le léger vrombissement résonne de nouveau dans l'air avant de se transformer en un strident sifflement pour enfin totalement disparaître. Je ne contemple maintenant plus qu'une plateforme vide...

Au revoir, Azylis. A dans une semaine...

Mais que se passera t-il entre temps ?

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant