Edilyn (Chapitre 193)

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Assise dans l'immense salle rectangulaire en bout de la grande table, je me lève d'un bond et tape sèchement sur la surface de verre.

Je suis aujourd'hui habillée d'une longue robe entièrement violette presque noire, parfaitement accordée à mon humeur.

L'un des conseillers reprend cependant rapidement la parole :

-Princesse ! Les réparations seront finies dans une semaine normalement et...

-Eh bien activez ! Je veux que toute la ville soit absolument intacte dans moins de sept jours... Je ne vous laisserai pas une minute de plus.

Une fois debout, je renonce à l'idée de me rassoir et commence lentement à marcher de long en large.

Un jeune garçon à l'air un peu bête mais qui sert de secrétaire à l'un de mes conseillers pose alors une question stupide.

-Mais comment pourrait-on réparer toute une ville détruite en moins d'une semaine ?

Je lève les yeux au ciel devant sa bêtise mais me décide à lui répondre.

-Des dizaines de milliers de robots sont actuellement à la tâche... Ils s'affairent de partout. Vous les connaissez, ils utilisent les champs magnétiques pour se déplacer et reconstruire les tours grâce à leurs bras métalliques... Enfin, vous avez une idée de ce que c'est que la technologie non ?...

Le jeune homme rentre la tête entre les épaules et balbutie une réponse.

-T... Tout à fait merci.

-Bien, voilà une affaire réglée.

Un homme de soixante ans au moins et à la courte barbe blanche aux reflets argentés prend alors la parole avec un pli soucieux qui lui barre le front.

-Et pour les maquisards princesse ? Que comptez-vous faire ? La plupart sont maintenant en dehors du système et on ne peut pas tout simplement leur dire au revoir et les renvoyer chez eux... Ce serait une véritable source de problèmes !

Je m'immobilise sur place et leur tourne le dos pour regarder à travers la baie vitrée le spectacle de la mer en contrebas cognant avec férocité contre les rochers.

Je garde quelques secondes le silence avant d'enfin répondre posément d'une voix neutre.

-Le problème est déjà réglé amiral. Tous ces jeunes vont maintenant former ma police privée. Ils sont déjà engagés et le projet leur a beaucoup plu. Ils y ont pratiquement tous adhérés.

Le parfait silence qui me répond me laisse deviner le choc des participants de la réunion. J'esquisse un froid sourire. L'amiral balbutie légèrement lorsqu'il reprend la parole.

-Ecoutez... Je... Enfin vous ne pouvez pas, c'est totalement contraire à nos lois et...

Je me retourne d'un bond et la plupart des personnes reculent dans leurs sièges et détournent le regard. L'amiral passe une main nerveuse sur son front avant de poursuivre.

-Enfin... Je veux dire que...

Je le coupe brutalement, sûre de moi et presque arrogante.

-Avez-vous une autre solution à proposer amiral ? Ou préféreriez-vous les voir tous dans les rues en train de vandaliser et de terroriser les habitants ?

L'homme baisse lentement la tête, affreusement mal à l'aise. Derrière mon dos, Yves passe son pistolet d'une main à l'autre d'un geste mécanique. L'amiral laisse un instant son regard errer sur le "jouet" que tient Yves. Il se décide enfin à répondre lentement.

-Non... Je n'ai pas d'autre solution à proposer...

-C'est bien ce qu'il me semblait. La discussion est close mesdames et messieurs. À demain pour une nouvelle réunion. J'aborderai d'autres sujets qui vous intéresseront probablement beaucoup.

Je fais demi-tour d'un geste vif et me dirige vers la porte sans attendre une réponse qui ne vient de toute façon pas. Yves me suit, pâle fantôme me garantissant pourtant le silence des autres.

Ils commencent tous à comprendre ce que c'est que d'avoir peur... Arrivée devant mes appartements, j'entre rapidement et reste un instant indécise, au milieu de mon salon, avant de me tourner vers Yves, de lui rendre le contrôle de son esprit à l'aide de la télécommande que je garde sur moi et de l'interroger sèchement.

-Bon sang Yves ! Où est encore passé Gaëtan ?

-Ah ! Content que vous me laissiez enfin libre de mes mouvements... Je vais aller le rejoindre tout de suite si vous me laissez faire...

Je lève les yeux au ciel.

-Répondre à une question c'est impossible ? Où veux-tu le rejoindre ?

-Au mariage de Thaïs et d'Aevin qui va débuter dans quelques minutes à l'église St Agathe.

Le sang se retire de mon visage et je sens une étrange torpeur envahir mon esprit.

-Très bien, vas-y...

-Merci et...

-Sors ! Va t-en ! Dépêche-toi de disparaître !...

Je n'ai pas pu retenir les mots qui m'écorchent la bouche au passage. Yves sort calmement de la pièce en haussant les épaules et je m'écroule sur une chaise, la tête entre les mains.

Tout ce tourbillon de rage que je fais subir à mon entourage ces dernières heures... Toute cette colère que je laisse apparaître sur mes traits...

Juste pour oublier. Pour oublier ça. De les avoir revu ensembles dans cette tour, tournés l'un vers l'autre... Est-il possible que la jalousie me ronge toujours autant le cœur après tant d'années ?

Il faut le croire puisque je sens ce sentiments envahir un peu plus chaque parcelle de mon être. J'ai tout fait pour éviter de penser à eux... À lui... Tout.

Et pourtant ma rage ne m'a pas sauvée. Je sens l'amertume se répandre dans mon cœur. Je sais déjà que je ne vais pas résister. Je vais aller contempler ce qui va me détruire encore un peu plus...

Je me relève lentement, lissant ma robe d'un geste de la main et dépliant mes doigts crispés pour retrouver ma belle attitude parfaitement impassible. Je me rappelle parfaitement les mots d'Yves...

Le lieu où Thaïs et Aevin vont se marier... D'une démarche assurée et tranquille extérieurement, parfaitement maîtrisée, je me dirige vers la porte de mon appartement que je venais de franchir.

Je traverse les couloirs et gagne l'une des plateforme de départ où m'attend vingt-quatre heures sur vingt-quatre un aéronef et un chauffeur.

Je monte dans l'engin et donne l'adresse d'une voix neutre, maîtrisée elle aussi. Quelques minutes de trajet, l'occasion d'observer les dégâts de mon petit combat sur notre belle capitale, Ivy...

Heureusement, les milliers de robots sont partout à l'œuvre et les tours se remontent à une vitesse hallucinante qui paraît presque irréelle. L'aéronef se pose alors sur une plateforme et le chauffeur lâche quelques mots.

-Princesse, nous y sommes...

J'acquiesce de la tête et descends rapidement. Juste avant d'entrer à l'intérieur de l'édifice, je me retourne vers l'homme pour murmurer un dernier ordre :

-Déplacez l'aéronef... Ici, il gênera certainement. Je vous rejoindrai à la plateforme numéro quatre.

Il hoche la tête et j'entre dans le lieu qui me semble alors presque maudit par ma seule présence.

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant