Intemporel T1 & 2

Gabriel (Chapitre 134)

Je fixe la cheminée en silence, les yeux dans le vague. Nous sommes toujours assis dans le petit salon et la question d'Azylis résonne dans mon esprit. "Comment as tu fait lorsque tu es arrivé dans mon époque ?"

Quelle question... Je l'ai lu dans les yeux de ma mère, dans le regard d'Aevin, mais je n'ai jamais voulu y répondre. Je prends pourtant la parole.

-Honnêtement, je ne sais pas trop comment j'ai fait... Si je te racontais, tu me prendrais pour un fou... Dans la précipitation, je n'ai pas programmé la machine spatio-temporelle. Tous les paramètres se sont affolés et elle m'a catapultée dans ton époque, ce que je n'avais pas du tout prévu au départ. Bon, à vrai dire, dans la panique, je n'avais rien prévu du tout. Mais j'ai plus tard réfléchis et j'en suis arrivé à la conclusion que j'aurai sûrement choisis une époque beaucoup plus proche de la mienne, aussi bien en matière de technologie que de manière de vivre.

Je n'ai jamais autant approfondis mes propres pensées pour quelqu'un d'autre. Je relève les yeux et fixe Azylis avec un sourire. Elle paraît songeuse et amusée d'une idée qu'elle est seule à connaître. Elle se décide pourtant à me répondre.

-Bon, tu n'as pas vraiment répondu à ma question principale, mais du coup j'en ai une autre à te poser. Si tu avais eu le choix, tu serais allé dans le futur ?

Malgré moi, tous les conseils de mes professeurs, à l'Academie, me traversent à cet instant précis l'esprit. Et celui-ci, la règle d'or que l'on entendait toujours. "Ne va jamais que dans un monde que tu connais. Seul le passé peut se révéler source d'enseignements. Nous ignorons tout du futur, et c'est bien mieux ainsi. INTERDICTION D'ALLER DANS LE FUTUR SOUS PEINE D'ÊTRE EFFACÉ."

Je me secoue mentalement. Mais mon trouble n'a pourtant pas échappé à Azylis.

-Non, je ne serais pas allé dans le futur. C'est quelque chose de totalement proscrit et interdit chez nous. Nous n'avons même pas le droit d'aller ne fus-ce que d'une année en avant...

-Mais je parie que tu en as souvent rêvé...

Je souris cette fois ci franchement avant de répondre.

-Parfaitement. Mais il ne faut pas croire, malgré toute mes folies, j'ai quand même conscience de quelques règles de sécurité élémentaire nécessaires si je veux rester en vie...

-Mmm... Je reste convaincue que si tu en avais eu l'occasion, tu aurais un jour ou l'autre tenté l'expérience. Mais, bref, passons à un autre sujet. Je ne veux pas avoir l'air d'insister mais tu n'as toujours pas répondu à ma première question... Qu'est ce que tu as fait quand tu es arrivé dans mon époque ?

J'esquisse un vague sourire, me remémorant avec quelques difficultés les sombres souvenirs de ce jour là.

-Je me rappelle bien de l'arrivée... J'étais tellement déboussolé que j'ai raté l'atterrissage de la machine. Une véritable catastrophe ! Bien sanglé dans mon harnais, j'ai alors regardé le tableau de bord. Et l'horrible vérité m'est immédiatement apparue. J'étais revenu sept cent ans auparavant... Très peu d'homme avaient fait ça dans l'histoire des machines à voyager dans le temps. J'étais anéantis, sous le choc, persuadé d'être arrivé dans un monde ou je ne pourrais jamais vivre...

Azylis m'interrompt alors, les yeux dans le vague elle aussi, en train d'imaginer toute la scène, je n'en doute pas un instant.

-Et tu as quand même décidé de descendre ?

Je secoue la tête en souriant à cette idée tant je me rappelle avec une soudaine clarté des événements de naguère.

-Oh, non, loin de là ! J'ai pris deux minutes pour reprogrammer la machine et j'ai déclenché un nouveau départ...

-Mais alors, pourquoi est ce que je t'ai rencontré ?!

-Bah, c'est là tout le problème... La machine n'a jamais démarré. J'ai vite trouvé la panne, et j'ai rapidement conclu que j'en avais pour deux semaines de réparations actives. Ce n'était donc pas trop un problème si ce n'est que sans eau et nourriture, ma situation s'annonçait plutôt désagréable... Et puis, dans tout ce bazars, j'avais eu le bon goût d'atterrir en plein centre de la forêt Amazonienne.... Enfin bon, la situation n'était pas reluisante. Pour accéder à la machine, tu as dû trouver ma clef ?

Azylis acquiesce immédiatement, un petit sourire aux lèvres.

-Oui, le petit bâtonnet en argent ? Il est toujours dans ta machine maintenant je crois...

Je souris moi aussi.

-Bah, au pire, si tu l'avais perdu, ce n'aurait pas été si grave. J'utilise généralement plus les puces électroniques implantées dans mes bras. Mais ce bâtonnet permet une chose que ne permettent pas mes dispositifs internes : transplaner d'un point à un autre. Le seul problème, c'est qu'il est ou directement lié à ma machine, ce qui t'a permis de la trouver, ou lié à une image que l'on visualise dans son esprit. Je n'avais absolument rien à imaginer... Je ne savais même pas à quoi ressemblaient les constructions de chez toi ! Mais je me suis alors rappelé de nos cours de culture générale.

Je ne peux m'empêcher de faire une nouvelle légère pause avant de continuer.

-Certains très vieux monuments avaient été reconstruits après le saccage des différentes guerres. Notamment un monument extrêmement célèbre de chez toi, la Tour Eiffel.

Azylis laisse échapper un petit cri de profonde stupéfaction.

-Et où a-t-elle été reconstruite ?

Je souris malicieusement. J'ai la conviction qu'elle n'aura aucun mal à trouver la réponse à la question que je m'apprête à lui poser.

-A ton avis ?

Azylis ne prend que quelques secondes pour réfléchir avant de répondre lentement.

-A Astra. Peut être même à... Dans la capitale, à Ivy ?

J'acquiesce, sans bien comprendre les motifs de sa pâleur.

-Oui, c'est ça, toute la ville est organisée autour de la tour Eiffel comme point central. Mais à quoi penses tu ?

-Je fais juste un lien que j'aurai dû faire depuis bien plus longtemps. Si tous ces bâtiments célèbres ont été détruits... Il y a eu des guerres ? Que sont devenus la France, l'Angleterre, la Chine...? Enfin, les grandes puissances ?

Cela ne m'affecte pas personnellement. Pour moi, tout cela appartient à un vieux manuel poussiéreux ou à une tablette numérique de cours d'histoire. Je me corrige mentalement. Azylis est tout sauf un produit historique poussiéreux... J'oublie toujours que paradoxalement, mon passé est son futur. C'est difficile à assimiler...

-Tout a disparu dans une énième guerre mondiale, Azylis. De petits royaumes se sont alors créés, autour de gens forts, capable de les défendre et de leur donner une nouvelle vie. Ça n'a pas été facile...

-Et tout ça, ça c'est fait à peu près quand ?

Je souris, doucement.

-Ça n'a pas d'importance tout ça, Azylis... Et je comprends mieux l'interdiction de connaître le futur. Ça ne peut pas apporter le bonheur...

-Admettons. Mais cela veut dire que bientôt, dans deux ou dans trois cent ans, il y aura une terrible guerre...

-Non. Nous sommes actuellement en 2716. Il ne peut rien nous arriver.

-Si, puisque nous allons retourner en 2016.

Décidément, elle aura toujours le dernier mot.