Azylis (Chapitre 170)

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Tugdual paraît toujours dubitatif. Meredith ne me regarde pas vraiment, les yeux fixés sur la fenêtre. Elle finit d'ailleurs par se lever de son siège et aller s'assoir sur le rebord. Personne ne fait de commentaire. Mon père se décide à m'interroger, d'un ton bourru pour tenter de cacher à quel point la situation le dépasse.

-Et alors, qu'est ce que tu as découvert dans...dans le futur ?

Je doute qu'il ait accepté l'idée. Mais je crois que ma disparition soudaine puis ma réapparition grâce au bâtonnet l'ont suffisamment déstabilisé pour qu'il veuille entendre tout mon discours. Mais alors que je m'apprête à répondre, ma mère m'interrompt tout à coup.

-Azylis... Une chose m'étonne. En admettant que...que tu viennes du futur, comment se fait-il que tu aient pu parler aux habitants de là-bas ? Que vous ailliez la même langue ?

Tugdual fronce les sourcils comme si cette pensée ne l'avait pas encore effleuré. Personnellement, j'y ai déjà songé, et de nombreuses fois. Ce n'est que récemment que j'ai eu la confirmation de mes théories... Je ne suis pas étonnée qu'ils m'interrogent sur un détail. C'est plus facile à intégrer...

-J'ai atterris dans un pays nommé Astra. Il se trouve qu'il est battit en tout point sur l'ancienne France. La langue évolue peu... Même si nous avons eu quelques quiproquos assez amusants.

Je songe avec un léger amusement à la fois ou j'avais parlé d'un lézard. Un mot qui n'existait plus en 2716... Tugdual réagit pourtant au quart de tour. Exactement de la même façon que j'avais pris moi aussi la nouvelle.

-Azylis... Il y aura donc une guerre ? Et une disparition de notre pays ?

J'incline la tête en guise de réponse. En croisant les yeux sombres de mon frère, je ne peux m'empêcher de deviner exactement ses pensées. Il ne veut pas me croire. Il ne veut pas accepter ce futur inévitable. La France est son pays...

Meredith pose alors une nouvelle question, sans détourner les yeux de la fenêtre. Je remarque au passage que ses doigts caressent mécaniquement un petit chaton noir et blanc perché sur le rebord.

-Et... Tu n'as pas répondu à Papa tout à l'heure. Qu'est ce que tu as ensuite découvert ?

Elle me tourne toujours le dos, dans une attitude totalement contraire à celle qu'elle affichait précédemment. Moins décontractée et joueuse, plus mature aussi. Je me décide à répondre.

-J'ai découverts, comme je vous l'ai déjà dit précédemment, que Gabriel était effectivement en danger. Il était condamné à mort.

Tout le monde se redresse légèrement dans la pièce. J'ai l'impression que nous parlons depuis des heures... Il fait toujours nuit dehors et notre petit salon paraît merveilleusement confortable avec ses boiseries.

Ma mère m'interroge alors avec une certaine douceur dans la voix mêlée à son habituelle autorité.

-Pourquoi condamné ?

Aïe... Impossible d'y échapper. Je doute que mes parents puissent comprendre... Car je ne suis moi-même pas tout à fait certaine d'avoir tout saisi de mes propres émotions à ce sujet.

-C'était un assassin.

Je m'attends à une pluie de commentaires. Acerbes, surpris, furieux... Mais seul le silence accueille ma déclaration. Dans tout ce que je viens de raconter, c'est à peu près la seule chose qui semble normale. Enfin, la moins extravagante. J'imagine les pensées de mes parents... Je suis partie à la recherche d'un tueur. Dans le silence ambiant, je me décide à reprendre.

-Et... Enfin, il n'est pas que cela...

Tugdual fronce de nouveau ses sourcils et pose sa tête entre ses mains avant d'enchaîner.

-C'est qui exactement ? Un assassin et...?

-Juste le prince héritier du pays.

Voilà, c'est dit. Mais il semble que cette annonce soit aux limites de ce que ma famille peut supporter sans rien dire. Meredith s'est retournée d'un bond et le chat qu'elle caressait tombe par terre avec un miaulement outré auquel elle ne fait absolument pas attention avant d'aller se réfugier sous la commode, trouvant plus sûr de trouver un abri par les temps qui courent.

-Un prince ET un assassin ?... Comment est-ce vraiment possible ?

-Je n'en sais rien mais les faits sont là... Enfin bref, j'ai pu le retrouver, il a été gracié et est aujourd'hui vu par son pays comme un héros...

Ou presque et pas par tous le monde, mais autant éviter les détails... Notamment le cas d'Edilyn, ce n'est pas un super bon exemple de personne calme et civilisée... Je continue en affectant une attitude détendue, jambe croisées et mains posées sur les genoux.

-J'ai rencontré la reine actuelle après plusieurs aventures qui seraient trop longues à raconter... Elle m'a confiée avoir fait des recherches sur ma famille dans les mémoires informatiques. Elle avait découvert deux choses. L'une, qui a dû changer depuis, que je ne reviendrais jamais dans mon époque, et l'autre, que mon frère allait sauter d'un pont, le 14 février, à minuit, et mourir, suicidé... Peut être bien à cause de moi.

Meredith s'est rapprochée de notre cercle de fauteuil. Sans animosité, elle s'assoit sur l'accoudoir du canapé et se penche vers notre frère. Le simple fait que mes parents ne lui reprochent pas le fait de ne pas prendre un siège comme tout le monde montre déjà à quel point ils sont sous le choc de la nouvelle.

Mais je ne pouvais pas garder ça pour moi... Il fallait que je les prévienne, que quelqu'un veille sur lui car je ne serais pas toujours là pour lui sauver la mise... Meredith ne réagit pas par un soudain silence. Au contraire, elle apostrophe violemment Tugdual.

-C'est vrai ? Tu as vraiment voulu faire ça ? Alors, une disparition dans la famille, ce n'était pas suffisant hein ? Il a fallu que tu aies envie d'avoir ta petite part de gloire aussi... Et moi, tu as pensé à moi ? Et à papa ? Maman ?

Tugdual ne regarde pas Meredith. Il fixe ses yeux d'encre dans les miens avant de prendre lentement la parole, comme s'il pesait soigneusement chacun de ses mots, ce qui ne doit pas être loin de la vérité.

-Je n'ai rien pour me justifier. Mais je t'avais écrit une lettre, Azylis, au cas ou tu reviendrais... Vous, c'est à dire toi Meredith, papa, maman... Je ne savais pas comment vous parler. C'était impossible...

Ma bouche est presque entièrement desséchée lorsque je prends d'une voix lente moi aussi la parole.

-Tu comptes me la donner, cette lettre ?...

-Bien sûr...

Et il plonge la main dans sa poche.

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant