Intemporel T1 & 2

Gabriel (Chapitre 185)

Ma soeur sort de la pièce. Elle entraîne quelques gardes à sa suite et la salle se vide peu à peu. Mon père et ma mère restent devant moi, presque gênés. Je prends calmement la parole, cachant la tornade de sentiments qui est en train de me ravager de l'intérieur.

-Papa, maman, vous vous en voulez ?

Mon père fait un pas de plus vers moi. J'ai l'impression d'être revenu des années en arrière, quand j'avais fait une bêtise et que je craignais non pas une juste punition mais de l'avoir déçu. Sauf que j'ai l'impression que les rôles sont inversés aujourd'hui. C'est lui qui imagine me décevoir.

-Gabriel... Si tu savais comme je suis égoïstement heureux que tu sois revenu. Je crois qu'au fond de moi, je t'ai pardonné depuis longtemps. Mais je souffrais dans ma fierté d'avoir un fils assassin. J'ignore ce qui s'est passé, j'ignore comment tous te voient aujourd'hui, mais moi, je suis de nouveau heureux. Et fier de toi. Maintenant, c'est moi le lâche...

L'exclamation jaillit de mes lèvres avec une violence qui me surprend moi-même.

-Non ! Non, c'est totalement faux ! Vouloir sauver des vies, même en condamnant son propre bonheur, c'est grand... C'est beau. Vous ne pouvez pas vous traiter vous-même de lâche !

Il esquisse un sourire fugace. Éternellement jeune, plein d'énergie, une certaine beauté insaisissable et une noblesse imprimée dans chacune des attitudes... Le portait le plus fidèle de mon père. Même aujourd'hui, alors qu'il s'écroule au fond de lui-même, il garde la même attitude calme et autoritaire. Tranquille. L'image même de mon père éternellement présent. Il me répond enfin de sa voix presque douce pour l'occasion.

-Selon mes critères, j'ai faillis à mes devoirs. La seule chose que j'espère, c'est que nous avons encore du temps devant nous pour remettre les choses en place...

Ma mère s'approche elle aussi, avec une émotion encore plus apparente pour moi qui la connaît bien mais indétectable à tout étranger.

-Nous n'avons pas abandonné notre projet de république. Nous réussirons... En attendant, pars Gabriel, il est temps...

Je fronce les sourcils et demande brusquement, presque brutalement :

-Si... Si un jour je peux revenir, me préviendrez vous ?

Une ombre d'hésitation traverse le regard de mon père avant de complètement s'effacer. Le dernier doute. Un sourire éclaire ses traits fins.

-Bien sûr. Au revoir alors Gabriel.

Ma mère hoche la tête et murmure :

-Nous nous sommes déjà dit adieu n'est ce pas ?

J'acquiesce lentement, la gorge serrée.

-Oui. Pas besoin de... De recommencer.

Nous échangeons un regard. Un mot de plus et nous craquons tous les trois. Ils me tournent alors lentement le dos et se dirigent vers la sortie en montant les marches.

La salle est maintenant déserte, silencieuse, angoissante. Le dépôt d'armes sans aucune protection... Je suppose qu'Edilyn a prévu des choses que j'ignore...

J'ignore où sont passés les autres. Maly, Thaïs, Aevin... Et même cette fichue panthère qui me manquerait presque.

Je sens un profond coup de blues m'envahir lorsque je me dirige vers l'un des gradins pour m'assoir sur une marche et que mes pas résonnent dans la pièce silencieuse.

Je reste quelques minutes, quelques heures peut être dans mes pensées, sans imaginer quelque chose de cohérent. Je suis pourtant troublé dans mes noires pensées par une soudaine présence à mes côtés. Je ne tourne même pas la tête jusqu'à ce que le jeune homme prenne la parole.

-Alors, Gabriel, on dirait bien que ça ne va pas comme tu veux ?

Je redresse la tête et croise les yeux malicieux d'Aevin, pourtant presque graves lorsqu'ils se posent sur moi. Il est calmement assis à mes côtés, imperturbable, curieux, mais aussi présent, tout simplement...

-Je ne sais pas... Je crois que je suis perdu. Et triste...

-C'est embêtant ça... Je voulais t'envoyer Thaïs car je la trouve beaucoup plus douée je moi pour consoler mais elle a tenu à ce que ce soit moi... Que puis-je te dire ? Je vais te poser une vraie question. Qu'est ce qui compte aujourd'hui le plus pour toi ?

Après un léger sourire à l'évocation de Thaïs, je laisse la question d'Aevin me pénétrer le cœur. Je n'ai pas besoin de réfléchir longtemps, on ne ment pas avec le cœur. L'image d'Azylis, souriante, triste, déçue, moqueuse ou amusée apparaît devant mes yeux. Oui, je l'aime. Je plonge mes yeux dans ceux de mon meilleur ami d'enfance. Une touche d'espoir commence à de nouveau germer dans mon cœur desséché.

-Azylis... Tu as raison, tout n'est peut être pas perdu...

Il ne répond pas et le silence s'installe entre nous, dans l'immensité de la salle. Mais ce vide de paroles n'est pas pesant. Au contraire, il repose après les coups de griffes d'Edilyn et les émotions de la journée.

Je le fixe alors avec un léger sourire.

-Au fait, tu es un sacré cachotier... Tu me racontes, Thaïs et toi ?

Aevin n'est nullement gêné par ma question. Un sourire d'abord malicieux éclaire ses traits puis lumineux lorsque ses pensées se concentrent sur la jolie jeune fille aux cheveux sombres.

-Bah, l'histoire est presque banale... Quand tu t'es retrouvé en prison, j'ai continué à venir au palais. Question d'habitude ou véritable plaisir, je ne sais... Malgré tout ce que tu avais fait, ton absence creusait un sacré vide... Mais bref, passons. J'ai rapidement noué des liens plus forts avec ta soeur, mon frère Gaétan nous accompagnait dans tous nos jeux... Ainsi que la nouvelle connaissance d'Edilyn, et accessoirement sa meilleure amie, Thaïs.

Il fait une légère pause tandis que je laisse mon imagination me remonter quelques années plus tôt. Aevin continue d'un ton égal.

-Petit à petit, la complicité entre Thaïs et moi est devenue plus forte, et l'amour s'est imposé à nous comme une évidence... A ceci prêt qu'elle refusait ne fut-ce que d'en parler. Elle n'était vraiment pas riche, contrairement à moi, et elle ne vivait que pour son frère... Deux raisons suffisantes à ses yeux mais qui n'existaient pas pour moi. Gaëtan était tombé sous le charme d'Edilyn qui était alors tout autre qu'aujourd'hui.

Pas possible... Quelqu'un est tombé amoureux de ma soeur ? Jusqu'à quel point ?