Intemporel T1 & 2

•Azylis• (Chapitre 71)

Mes nerfs vont craquer. Mahaut semble dans le même état que moi. J'ignore si un robot peut avoir un disfonctionnement au niveau de ses rouages à cause du stress...

Finalement, après expérience, le jeu d'échec version 2716, ce n'était vraiment pas agréable. Je me suis dit que si je survivais à cette terrifiante soirée, j'essaierai de construire un plateau et des pièces.

En sachant que j'ai toujours été incapable ne fus-ce que de tailler un morceau de bois... Ça n'a pas d'importance, j'aurai le jeu d'échec le plus biscornu de l'histoire.

Je sens la tension monter en moi. Il fait nuit dehors et j'entends le va-et-vient des gardes devant ma porte de l'autre côté du mur.

J'ai l'impression d'être de nouveau à l'école lorsque je regardais toutes les trois minutes l'horloge en attendant avec impatience la sonnerie.

On ne change pas avec l'âge... Ou alors ça ne va pas en s'améliorant. Je grimace. Il manque dans cet appartement une horloge murale. Je n'ai pas d'écran dans ma poche, moi.

Et de toute façon, je préfère actuellement éviter d'utiliser une technologie que je ne connais pas. Je suis certaine qu'ils arriveraient à s'en servir contre moi.

L'heure du rendez-vous... Elle approche non ? Je tends l'oreille à l'affût du moindre bruit inhabituel.

Je sais pourtant par expérience que les aéronefs sont parfaitement silencieux. Je repense tout à coup à une phrase d'Aevin.

Les aéronefs fonctionnent grâce à l'énergie dégagée par les routes... Comment Gary pourrait-il arriver alors jusqu'à ma fenêtre ?

Je suppose que ce sera un engin spécial. Plus rien ne peut maintenant m'étonner.

Je vérifie une nouvelle fois que j'ai tout prévu. Le dragon est dans sa caisse de transport qu'il est d'ailleurs en train de consciencieusement s'appliquer à démolir et mon petit sac de voyage est prêt.

Je ne peux de toute façon pas emmener grand chose. Un robot et un dragon, c'est déjà suffisamment encombrant.

Allons bon, voilà que je me met à parler comme les habitants d'ici... Pas de doute, ils ont une influence néfaste sur moi.

-Mahaut, tu penses qu'il devrait arriver dans combien de temps ?

Elle esquisse un sourire crispé.

-Je dirais que...

Son visage s'illumine tout à coup et elle laisse échapper un petit cri de joie.

-Je dirais qu'il est là et qu'il nous fait signe !

Je me retourne d'un bond vers la fenêtre et laisse échapper un profond soupir de soulagement.

Je comprends à ce moment-là seulement que j'ai eu une peur bleue que Gary ait un empêchement quelconque.

Je souris. Heureusement que je l'ai accepté dans notre expédition... Il s'avère être un élément très précieux.

Je passe la bandoulière du sac de voyage que j'ai déniché dans l'immense dressing (enfin quelque chose de plus utile qu'une paire de talons ridiculement hauts) et j'attrape la caisse de Dynamite d'une main impatiente.

Bon sang, il faut absolument que je songe à le mettre au régime celui-là. Il m'arrache le bras...

Le moment de vérité. Mahaut pose sa main sur la poignée de la porte-fenêtre.

J'aperçois derrière la vitre Gary dans un aéronef semblable à bien d'autre posé sur mon immense balcon qui ressemble au reste plus à une terrasse.

Mahaut a la main qui tremble légèrement. Elle tourne lentement la poignée. La porte s'ouvre.

J'ai dans la tête à ce moment précis une phrase qui me traverse l'esprit. Elle provient je crois de la bande-annonce d'un Disney que je regardais il n'y encore pas si longtemps...

"Les portes d'un monde s'ouvrirent... Et le rêve devint réalité..."

J'ai l'impression que cette magnifique référence me convient parfaitement actuellement.

Je tente de courir vers Gary mais je ne peux pas aller vite à cause du poids de la caisse de Dynamite que je tiens à deux mains.

Dans le noir j'aperçois les dents blanches du jeune homme et j'en conclut qu'il me salue ainsi en guise de bonjour.

Je hoche la tête à mon tour et il m'aide à mettre Dynamite à l'arrière. Mahaut grimpe sur le siège à côté du dragon tandis que je monte à l'avant.

Toute cette opération se fait bien entendu dans le plus religieux des silences. Aucun de nous n'a oublié les gardes qui patrouillent devant ma porte.

Nous entendons alors les premiers cris.

-Alerte, la porte du balcon est ouverte !

La reine ne pouvait pas me prévenir que le laps de temps pour fuir serait aussi court...?

Notre aéronef commence lentement à prendre de la hauteur, beaucoup trop lentement à mon goût, et je ne peux pas m'empêcher de grimacer.

La reine a sûrement fait tout ce qu'elle a pu. Et je lui dois le plus grand merci que j'ai jamais eu à dire.

J'entends un craquement. Les gardes viennent de forcer la porte de mon appartement.

Je vous jure, de mon temps ce n'était pas comme ça... L'éducation se perd...

J'espère qu'ils ne vont pas saccager mon joli salon. Je m'étais bien habituée à sa décoration... J'avais fait attention, et pour la première fois de ma vie, je ne vivais pas dans un lieu en bazars !

C'est fou, il y a vraiment une première à tout...

Je me tourne vers Gary. L'aéronef a pris de la vitesse et le palais disparait rapidement derrière nous.

Mais les gardes sont maintenant en alerte. Ils ne vont pas tarder à se lancer à notre poursuite...

-On va retrouver Gabriel maintenant ?

Je ne sais pas trop pourquoi mais j'ai besoin de prononcer à voix haute cette simple phrase pour me rassurer.

-Oui, c'est ce qui était prévu, non ?

-Oui, c'est ça... Au fait, merci d'être venu me chercher et d'avoir pris tous ces risques...

Il laisse échapper un sourire qui me rappelle ceux d'Aevin. Il contient le même côté malicieux.

-J'adore secourir les gentilles demoiselles en détresse...

J'éclate franchement de rire. Je ne crois pas lui avoir donné l'impression à notre première rencontre d'être une jeune fille vraiment sympathique...

Derrière son aimable sourire, j'entrevois cependant une ombre d'inquiétude.

-Je me mêle peut être de ce qui ne me regarde pas mais qu'est-ce-qui ne va pas ?

Il n'hésite pas un instant à me répondre franchement.

-Je déteste tout ce que nous allons faire. Je ne suis pas certain de ne pas risquer inutilement ta vie en te donnant cette possibilité de fuite... Cela ne me plait pas.

Tandis que je réfléchis à ce que je viens d'entendre, il reprend la parole pour préciser sa pensée.

-Donc, je t'accompagne maintenant, je tente de retrouver ma sœur, mais si j'apprends que Gabriel est repris, je me débrouillerai pour essayer de rejoindre la capitale avant le début du procès... Et de veiller à ce que toi, tu ne sois pas reprise. Je m'en voudrais trop.

Je grimace dans l'ombre de la nuit. J'aperçois la forêt encore lointaine qui se rapproche à une vitesse ahurissante. Nous serons bientôt arrivés à destination.

Je ne veux pas que Gabriel soit repris...