•Thaïs• (Chapitre 67)

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-Bien, pourquoi as-tu quitté le camp ?

-Mais je vous l'ai déjà dit au moins un millier de fois ! Parce que j'ai eu peur des balles et de la pagaille qui régnait partout !

-Pourquoi être revenue alors ?...

-Parce que je veux faire partie de votre armée.

Je prends un ton neutre en disant ces mots. Presque malgré moi, ma main gauche vient serrer mon poignet droit et le bracelet qui s'y trouve.

Cela fait deux bonnes heures que je réponds aux questions du commandant sous le regard de ces deux aides de camp armés de longs fusils.

Joyeuse ambiance. L'attention du commandant est alors distraite par le vibreur de son écran.

Il attrape le petit engin de verre avec un soupir et lit le court message qui s'y affiche.

Il repose ensuite l'écran pour se tourner vers moi, changeant radicalement son attitude.

-Thaïs, tu es nommée chef de section à la place de Lydie qui est toujours portée disparue. Tu acceptes ta nouvelle fonction ?

Le message... Edilyn ? J'ai compris depuis longtemps que c'est elle qui dirige le camp, même si je n'ai pas compris son intérêt à prendre part à cette histoire.

Les maquisards. A moitié des jeunes prônant une nouvelle république sans vraiment réfléchir et à moitié des personnes embrigadées contre leur volonté et tenues grâce à leurs secrets.

On me propose d'être leur chef. Très bien.

-J'accepte.

Le commandant griffonne quelques mots dans un dossier me concernant sans doute puis me congédie d'un geste.

Je me dirige vers la porte de la cabane et pose un premier puis un deuxième pied sur l'échelle avant d'entamer ma descente.

Je vais enfin pouvoir avoir des réponses à mes questions. Arrivée en bas, je reprends ma barque et me dirige tranquillement vers le quartier général de la section une.

Dont je suis maintenant officiellement la responsable. Je repense à Lydie. A la sphère dorée qui doit toujours briller dans les mains de Gabriel...

J'arrime ma barque et saute sur le ponton. J'attrape d'une main mécanique, maintenant habituée à cet exercice, le premier barreau de l'échelle.

En haut, dans la petite cabane biscornue qui nous sert de réfectoire, je constate qu'il n'y a encore personne et que je suis seule.

Ce n'est pas vraiment pour me déplaire. Je me laisse tomber sur l'un des rondins de bois qui fais office de siège rudimentaire et laisse mes yeux errer sur les planches d'eriola, un arbre typique d'ici, qui constituent les murs.

Je repense tout à coup au passé. A la mort de mes parents. A mon frère Éric. A Aevin.

Tant de pensées que j'espérais avoir déjà réussis à écarter de mes préoccupations. De toute évidence, c'est loin d'être réussi.

Je ferme les yeux. J'ai besoin de réfléchir et de tirer au clair mes propres souvenirs. Je replonge dans mon passé.

***

Les professeurs d'Eric nous ont tous avertis que l'on constatait chez lui de léger tremblements des mains et parfois même des bras.

Cela peut être assez grave, mais aucun de nous n'en a conscience à la maison.

Deux jours avant, maman s'est encore mise en colère contre Eric parce qu'il avait joué avec sa nouvelle boîte de feutres sur les murs.

Je me souviens d'avoir été moi-même énervée car les murs en question étaient ceux de ma chambre.

Mon père décide de prendre un rendez-vous avec mon frère chez un médecin spécialisé qui lui a été conseillé.

Les examens sont réalisés assez rapidement, dans la semaine, et nous attendons sans trop d'appréhension les résultats.

A vrai dire, à quatorze ans, c'est plutôt l'inquiétude de mon piètre niveau scolaire qui me travaille.

Non pas qu'il soit si mauvais mais il est loin d'être excellent. Or, mes parents m'ont prévenue. Jamais ils n'auront les moyens de me payer des études supérieures.

Ma sœur est tout à fait mon contraire. Lydie est tout simplement une élève parfaitement brillante.

A moi de tout faire pour décrocher une bourse. Pourtant, actuellement, je joue à gâcher ma vie en faisant tout sauf travailler...

Ces ennuis me paraissent si lointains... Quelques jours plus tard, le médecin en personne rappelle.

Il nous fixe rendez-vous à toute la famille pour nous communiquer les résultats des analyses d'Eric.

Lydie est à ce moment-là en vacance chez deux de ses amies, et elle ne serra pas là pour le rendez-vous. Mais qu'importe, ce n'est pas si grave...

Je grimace quand j'apprends que je vais perdre toute une après-midi inutilement. Moi qui voulait aller voir une amie et laisser le temps passer en ne faisant pas grand chose...

J'ai réellement souvent rêvé de pouvoir poser mon doigt devant l'aiguille de l'horloge et en bloquer ainsi l'avancée. Bloquer le temps pour pouvoir rêvasser pendant des heures, libre de toute contrainte.

Ce rêve ne m'a pas quittée. Mais j'ai depuis appris que la vie, c'était aussi autre chose que simplement perdre son temps.

Le docteur nous dévisage en silence l'un après l'autre. On est assis sur des chaises, tout les trois, c'est à dire papa, maman et moi.

Eric tente désespérément de gagner le sol du haut des genoux de mon père qui le tient fermement.

Ce silence qui s'éternise... Nous avons compris. En tout cas, personnellement, j'ai saisis que quelque chose n'allait pas.

Mais je n'ai pas tout de suite compris alors que mon monde si fragile allait s'écrouler comme un château de cartes.

Le docteur prend enfin la parole.

-Il va falloir être forts. Votre enfant, Eric, est atteint d'une maladie rare, que l'on peut difficilement soigner. On peut tout au plus tenter de stabiliser son état. Les médicaments et perfusions sont hors de prix... Eric possède une espérance de vie qui varie entre dix et quinze ans.

Le choc. Je me tourne sans comprendre vers le petit garçon plein de vie qui s'agite sur les genoux de mon père. Six ans...

Il ne dépassera pas les quinze sans... Je crois que c'est à partir de ce moment-là que j'ai réellement détesté les statistiques.

Pile à ce moment, une nouvelle arrivante entre dans le bureau aux murs immaculés.

C'est une psychologue. Charmante, elle nous sert la main à tous avec un sourire qui encouragerait le plus dangereux des criminels à lui confier tous ses secrets.

Ma mère pleure. Mon père aussi. Et moi, je ne peux pas... Je suis sous le choc.

Mon petit frère a réussi à descendre des genoux de mon père qui ne fait plus attention à rien.

Devant mes yeux et ma gorge serrée, il fait quelques pas et tombe soudain, sans aucune raison apparente.

Ça y est, ces sanglots qui refusaient de venir me submergent maintenant comme une mer en furie sur un bateau en plein naufrage.

C'est exactement dans cet état que je me sens actuellement.

Mais il n'y a pas de bouée de sauvetage. Je me noie dans mes larmes.

Lorsque nous sommes rentrés à la maison, mon petit frère n'a pas compris pourquoi je lui ai mis dans les mains sa boîte de feutres et lui ai désigné mon mur à colorier...

Je voudrais que tu vives, Eric...

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant