Intemporel T1 & 2

Chapitre 33 : Gabriel

Sady... Est-ce possible ?

Quel déluge d'émotions me traverse alors ? L'espoir insensé, complètement fou, de ne pas être un criminel ?

Les cheveux longs, bruns-roux, des yeux sombres, un visage aux traits fins, seule l'attitude semble différente de celle que j'ai connu jadis.

Elle surprend l'insistance de mon regard. Nos yeux se croisent. Si je m'attendais à une réaction quelconque, j'en suis pour mes frais. Elle n'a pas le moindre mouvement de surprise qui pourrait témoigner qu'elle m'a reconnu...

Je ne comprends plus... Mais, fort égoïstement, j'en suis au fond de moi content même si ce n'est qu'un mystère de plus qui s'ajoute aux autres. Je suis toujours un prisonnier en fuite recherché par l'Etat, et je ne l'ai pas oublié...

Mais pourquoi cette attitude ? Ai je tellement changé qu'elle ne me reconnaisse pas ? Elle fait un geste agacé de la main. Mon regard l'énerve.

-Bon, toi, le nouveau, laisse tomber tes chiffons et suis-moi.

-Je ne m'appelle pas "le nouveau" mais Gabriel...

Je guette du coin de l'œil une réaction. Peine perdue. J'en suis une nouvelle fois pour mes frais. Juste un geste d'agacement.

-Oh !... Mais c'est vrai que ça change tout... Dépêche toi...

Et sans attendre, elle se dirige vers la porte et met un premier pied sur l'échelle puis un autre jusqu'à disparaître de ma vue. Je la rejoins rapidement et commence moi aussi ma descente.

Déjà que je n'aime pas beaucoup monter sur les échelles, mais alors les descentes, n'en parlons pas ! Je serre les dents silencieusement. Après tout, j'ai intérêt à me dépêcher car cette fichue fille est déjà en bas...

J'ai la tête dans les nuages lorsque je pose les pieds sur le ponton. Elle m'attend avec impatience dans une barque et j'y monte rapidement. Elle prend les rames, et je renonce à lui proposer mon aide, sûr d'essuyer un refus et ignorant notre exacte destination.

J'ose cependant une question :

-Lydie... C'est ton vrai prénom ?

Elle lève vers moi ses yeux empreints d'un charme à la fois si particulier et tellement indéfinissable... Nous nous éloignons du ponton et elle rame en cadence. Elle grimace :

-De quoi te mêles-tu, le nouveau ?

C'est à mon tour de grimacer. Je déteste son attitude condescendante... Si elle continue comme ça, je vais recommencer à la détester. Je ne vais quand même pas la tuer deux fois !

Le doute me saisit. Et si ce n'était pas Sady ? Pourtant, physiquement, il n'y a aucun doute, c'est la même personne...

-Je t'ai déjà dit il me semble que j'avais un prénom. Tu as le droit d'en faire usage. Et tu n'as pas répondu à ma question...

-Laisse tomber, je ne partage avec personne ne fus-ce qu'un détail sur ma vie privée...

En disant ces mots, je vois une petite étincelle illuminer ses yeux un bref instant. Mais je n'ai pas réussi à définir ses émotions.

Je garde un prudent silence. Nos premiers échanges n'ont pas été particulièrement chaleureux et je n'ai toujours aucune idée de si oui ou non j'ai affaire à Sady...

Cet espoir fou de ne pas être un assassin continue de me serrer le cœur. Je regarde le paysage plus attentivement. Nous avançons dans notre barque un peu plus profondément dans les marécages.

De chaque côté, des milliers de cabanes très sophistiquées sont perchées dans les arbres. Des passerelles permettent de passer d'arbre en arbre sans toujours avoir à utiliser les barques. J'admire malgré moi cette organisation qui m'apporte de nouvelles questions. D'où viennent tous les matériaux nécessaires à de telles constructions ? Ou trouvent t-ils la nourriture ? L'eau ? Qui sont les chefs ?

Tant de questions que j'aimerai résoudre...

Lydie laisse soudain la barque dériver vers un petit ponton. Nous sommes au milieu d'une espèce de "clairière" (je ne sais pas trop si ça se dit quand il y a un marécage au milieu) et des passerelle de bois relient entre eux les arbres de manière à former un U parfait.

Avant même que je ne réalise que nous avons accostés, Lydie est déjà sur le ponton en train d'arrimer la barque. Je la rejoins rapidement en tentant d'éviter au passage de chuter lamentablement dans l'eau.

Coup de chance, j'y arrive... Nous passons du ponton à une immense cabane aux formes compliquées grâce à une échelle de corde car elle se situe à deux mètre de hauteur. Nous progressons en silence car ma co-équipière garde un silence rageur, sourcils froncés et mâchoire serrée.

Lorsque j'entre dans la cabane, je constate que c'est en fait un mini-réfectoire de fortune. Deux adolescents sont installés à une table de planches confectionnée de rondins de bois. Une fille aux longues tresses noires et un garçon aux cheveux bruns un peu trop long à mon goût.

Ils se lèvent immédiatement à notre arrivée. Enfin, plus pour leur chef de section -c'est à dire Lydie- que pour moi, c'est certain. Mais je peux voir assez facilement qu'ils m'observent avec une curiosité manifeste.

Lydie croise les bras et s'adresse à la jeune fille.

-Bien. Thaïs, voici un nouveau. Il ne connaît absolument rien de notre organisation. Tu lui expliques rapidement ?

La jeune fille hoche la tête en silence avant de se tourner carrément vers moi. Lydie continue à l'intention du garçon :

-Et toi, viens avec moi, on va aller chercher les autres, il faut absolument consolider le numéro 9.

Le même schéma se répète et le garçon hoche la tête silencieusement avant de la suivre. Ils disparaissent par la porte à l'autre bout de la cabane avant de s'engager sur une passerelle pour gagner, je le suppose, le baraquement suivant.

Je dévisages plus attentivement Thaïs. Ses longs cheveux noirs lui arrivent à la taille, elle n'est pas très grande et dégage je ne sais quelle impression de fragilité et de charisme. Quelques taches de rousseurs agrémentent son visage et son nez donne tout de suite un certain caractère décidé.

C'est un mélange assez hétéroclite qui m'étonne pendant quelques secondes. Elle porte un pantalon noir et un élégant tee-shirt blanc que je ne peux m'empêcher de trouver légèrement déplacé au milieu de ce drôle d'endroit.
Elle prend alors la parole.

-Bonjour... Alors, comme tu as pu l'entendre, je m'appelle Thaïs et je ne suis ici que depuis quelques temps... Le malheur pour moi a été de tomber dans cette section, mais sinon, la vie au camp est pas mal ! Ici, tu es dans le réfectoire de notre section, section qui comprend l'ensemble des "bâtiments" de cette zone (le U si tu préfères) et nous possédons une dizaine d'embarcations. Nos bâtiments s'étendent sur deux étages, là nous nous trouvons au premier niveau... Nous sommes actuellement huit jeunes en te comptant toi... Voilà, voilà... Je te fais visiter les lieux ?

Je souris devant cette rapide présentation et le ton très accueillant de ce discours. Seul un point m'étonne.

-Juste, avant de visiter et si ma question n'est pas indiscrète, pourquoi regrettes-tu d'être tombée dans cette section ?

-Parce que je suis sous le commandement de Lydie...

-Vous ne vous entendez pas bien ?...

-Oh si tu savais à quel point ! Il est difficile de se détester plus que nous deux... Lorsque Lydie est partie, elle imaginait en avoir fini avec nous... Et je la retrouve ici !

Sa tristesse dans ses derniers mots est palpable. Néanmoins, devant mon air d'incompréhension, elle enchaine.

-Oui... Lydie est ma sœur...