Intemporel T1 & 2

•Azylis• (Chapitre 36)

-Ouf !...

Je m'adosse à la porte de mon appartement en laissant s'exprimer ainsi mon soulagement. J'observe du coin de l'œil Mahaut, avec mon dragon sur les genoux, qui rie de ma mine défaite.

-Alors ? C'était si fatiguant ces deux malheureuses heures avec les journalistes ?...

-Moque toi va ! Ce n'est pas toi qui y était en attendant ! Et qui devait répondre à leurs fichues questions...

Je m'avance dans la pièce en tâchant de ne pas tomber du haut de mes talons... Pas très grands mais dont je suis totalement incapable de gérer la démarche...

Je m'assois dans le premier fauteuil qui vient et m'amuse quelques secondes à entortiller autour de mon doigt une mèche de mes cheveux clairs.

Je relève alors la tête et regarde le titre du livre que tient Mahaut dans ses mains. Je ne réprime pas le fou-rire qui me gagne.

-Qu'est ce que tu lis là ? "Fan de taxidermie, les secrets du métier ?" Mais qu'est ce que c'est que ce sujet de lecture du soir ?

Elle se joint à mon éclat de rire avant de prendre un ton très sérieux qui fait redoubler mon hilarité d'un cran.

-D'abord, c'est très intéressant. Je rêve d'avoir un petit renard empaillé ! Ensuite, j'adore tout ce qui touche à la nature, je ne sais pas si tu vois le genre...

Je tente de prendre un air sérieux. Si je continue comme ça elle va finir par me balancer un coussin à la figure... A moins que ce ne soit interdit aux servantes ?

-Si, si, je vois très bien... Dis donc, ce n'est pas courant tes passions !

Elle éclate d'un nouveau rire joyeux qui illumine son visage un instant.

-Non, du tout ! Au moins, je fais preuve d'originalité...!

-C'est vrai, voir le positif partout...

Je m'amuse à prendre un ton faussement ironique pour l'embêter et elle repart dans un nouvel éclat de rire. Nous sommes vraiment deux enfants...

Elle se penche alors vers moi en posant à terre Dynamite qui laisse échapper un petit nuage de fumée en signe de mécontentement et elle prend la parole.

-Au fait, tu me les racontes, ces deux heures avec les journalistes ?

-D'accord... J'espère que tu appréciera mes talents innés de conteuse !

Elle me tire la langue devant mon terrible manque de modestie et je laisse échapper un nouveau sourire. Puis, je commence à raconter mon extravagante soirée...

***

Je jette un coup d'œil à la glace. Mahaut a dû céder la place à deux ou trois femmes de chambre qui m'ont pratiquement forcée à passer d'autres vêtements pour la petite réception.

En voyant leur air guindé et revêche, je regrette un instant ma petite fille aux cheveux violets...

Lorsqu'elles me laissent enfin tranquille, je peux admirer mon fascinant reflet dans la glace sur pied qu'elles ont amenés. Est il possible que ce reflet soit...moi-même ?

J'ai un air de princesse antique là, avec la longue robe bleu de nuit et les sandales dorées à talons...

Je n'ai pas dû tout comprendre... C'est un bal costumé ? Je réprime une grimace lorsqu'elles insistent pour me maquiller...

Soit. Après tout, j'ai toujours aimé la peinture... Je laisse échapper un petit éclat de rire que je suis seule à comprendre.

Lorsqu'on vient me chercher pour me guider dans les méandres du palais, je suis tout en tâchant de tenir debout sur mes fichus talons...

La double porte d'une petite salle de réception est ouverte, comme une invitation à entrer.

Une pensée incongrue me vient à l'esprit. Ils font comment dans ce pays si le gagnant est un affreux timide ? Je m'arrête deux secondes avant d'entrer. Argh ! Je suis une timide...

Bref, passons. J'entre dans la salle. Les flashs crépitent de partout...

J'ai juste le temps d'apercevoir la famille royale assise sur des fauteuils qu'un journaliste se précipite vers moi. Bon, d'accord. Ils sont plusieurs à se précipiter...

-Vos premières impressions ?
-Que pensez vous du palais ?
-Qu'allez-vous faire de votre ticket ?

Les questions fusent sans que j'ai le temps d'y répondre. Un garde écarte la foule pour m'ouvrir un passage jusqu'au siège qui m'est destiné près de ceux de la famille de Gabriel...

Lorsque je m'assois, je jette un coup d'œil à Edilyn, impeccable et toujours de glace à mes côtés...

Deux minutes plus tard, les journalistes se sont calmés. Ils ont chacun droit à une question. Elles sont mises par écrit et on me passe une boîte contenant un million au moins de ces petits papiers-questions me semble t-il...

Je me relève en tentant de prendre une démarche claire et sûre de moi. Devant l'assemblée qui me fixe et les flashs, j'esquisse un nouveau sourire, légèrement contraint.

Première question : qu'est ce que cela fait lorsqu'on s'aperçoit qu'on a gagné ?

Je réprime un sourire en pensant à Aevin brandissant devant moi son écran... Je me décide à prendre la parole.

-Gagner a été pour moi une immense surprise je vous l'avoue... Je n'en suis toujours pas revenue, alors c'est assez dur de vous dire ce que cela fait...

Deuxième question : quel est votre aliment préféré ?
Mais qu'est ce que c'est que c'est que ces questions ? Je retiens une nouvelle fois un éclat de rire... Heureusement qu'Aevin m'a appris le nom de tout ce que l'on mange au petit déjeuner...

Je murmure une réponse qui fait sourire. Troisième question. Mes mains déplient le petit papier qu'on me tend... Les questions se suivent à la file et je regrette qu'il n'y ai d'horloge nulle part... Ils ont dit deux heures ? Ça fait combien de temps que je raconte ma vie privée en tentant désespérément de ne pas faire de faux pas ?...

Je déplie un énième papier. C'est le dernier. "Qu'allez-vous faire de votre ticket gagnant ?"

La réponse reste en suspens dans l'assemblée quelques instants. Malgré moi, je me retourne vers la reine. Son regard est fixé sur moi, empli d'une multitude de sentiments que je peux deviner. Elle aurait tant aimé que son fils gagne ce ticket lui ouvrant ainsi les portes de la liberté...

Je repense au regard brûlant de désespoir d'Aevin quand il me parlait de Marguerite. Comment trancher ? Je ne puis m'y résoudre. La justice voudrait que je l'utilise pour Marguerite. Mon cœur voudrait donner une nouvelle chance à Gabriel... Je me décide à répondre aux journalistes.

-Je ne sais pas.

C'est la fin de la réunion de ce soir.