Gabriel (Chapitre 184)

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Edilyn m'adresse un regard presque amusé avant de chuchoter en guise de réponse :

-J'ai toujours su que tu aurais la sottise de réagir ainsi...

La phrase me pénètre plus que je ne voudrai l'avouer. Si Edilyn avait été la meilleure reine possible, ne me serais je pas révolté de la même manière ? Refusant de céder le pouvoir ? Je ne le saurai probablement jamais, une nouvelle question qui vient s'ajouter à toutes celles qui me hantent déjà...

Tous se relèvent lentement. Ma mère reprend la parole, légèrement plus posément. Elle continue de descendre les marches. Mon père la suit et ses yeux cherchent les miens.

J'y lis quelque chose que je n'y avais pas vu depuis des années et qui me va droit au cœur : de l'amour mais surtout de l'admiration. De la reconnaissance... Je suis revenu.

Les mots de ma mère parviennent alors à mon oreille tandis que je détache mes yeux de mon père.

-Le conseil propose également un autre décret. Ils ont révoqué celui permettant la mort du prince... Ils ont voté le bannissement définitif du prince Gabriel.

Ma mère est maintenant devant moi. Mon père derrière, occupé à évaluer de son regard d'acier la valeur de notre petite armée. La reine ignore royalement sa fille, c'est le cas de le dire, pour se tourner vers moi et dire doucement :

-Gabriel, ne reviens plus jamais. Je souffre de te le dire, mais ils ont voté l'exil définitif... Dans une autre époque de ton choix, mais ayant au moins deux centenaires d'écart. De plus, si tu ne remet ne fus-ce qu'un orteil ici un jour, tu seras tué...

J'esquisse un pâle sourire tandis qu'elle pose sa main sur mon épaule. Je regarde ses yeux assombris par le chagrin d'un nouvel adieu.

-Je commence à avoir l'habitude...

-Non. Aujourd'hui, c'était ta dernière chance...

-D'accord... Je ne reviendrai plus jamais.

-Tu me le jure ?

-Je...

Edilyn nous interrompt heureusement à ce moment précis. Sa voix forte porte dans toute la salle tandis que ses yeux de braise se fixent sur moi.

-Très bien. Avez vous tous entendu ? Le prince Gabriel est libre. Il a trois jours pour quitter notre époque. Notre monde...

Elle sait choisir les mots pour me briser... Devant tous. Pourtant, ma satanée fierté presque légendaire me fait redresser la tête et répondre.

-Ce sera une véritable délivrance... Je ne regretterai pas grand monde ici.

Mes yeux se fixent dans les siens et l'instant suivant, c'est elle qui vacille, qui hésite. Doute t-elle maintenant du fait que je serais toujours aveuglement prêt à l'aimer ? Mais son froid contrôle reprend vite le contrôle.

-Ce n'est pas réciproque. Personne ici ne regrettera le prince assassin.

Puis, elle clôt cette discussion que tout le monde a pu entendre en se tournant vers les gradins.

-Mon premier acte de reine sera de remettre le pays dans le droit chemin que seul d'incroyables événements ont pu lui faire quitter : la paix intérieure. Nous allons reconstruire, nous allons tout mettre ensemble, et nous n'allons plus nous entre-déchirer dans une guerre inutile... Puis je compter sur vous ?

Et l'ovation s'élève dans la salle tandis que je garde un goût amer dans la bouche. Cette guerre... Qui la créée toutes pièces ? Edilyn... Mais il n'y aura jamais que quelques personnes pour s'en apercevoir. Je n'ai plus rien à faire ici. Dans cette époque. Dans mon monde...

Je lève les yeux et je laisse mon regard faire lentement le tour de la salle. De nouveaux arrivants viennent de faire leur apparition... Et parmi eux, mon ami d'enfance, Aevin...

Il ne me regarde pas mais fixe Thaïs qui est en train de monter les marches pour le rejoindre. Lorsqu'ils sont côte à côte, je les vois échanger un grand et lumineux sourire avant de se lancer dans une enthousiaste conversation.

J'éprouve un bref accès de joie en voyant que nos l'un ni l'autre n'est occupé à applaudir. L'instant d'après, je suis de nouveau gagné par l'inquiétude. Je ne veux pas qu'ils se mettent stupidement en danger...

Au regard froid et presque haineux qu'Edilyn vient de poser sur eux, je pressens des ennuis. Mais ma mère a suivi ce regard. Elle murmure quelques mots à l'intention de sa fille, la nouvelle reine toute puissante, mais que j'entends aussi.

-Edilyn... Il y a un autre décret secret celui-là. Tu n'as le droit de faire tuer personne. Et les condamnations de feront devant le conseil.

Un bref éclair luit un instant dans ses yeux tandis qu'elle détache comme à regret son regard d'Aevin et de Thaïs.

Elle répond d'une voix neutre.

-Cette directive était inutile.

Et elle se tourne lentement pour regarder ailleurs. Elle jette encore un léger regard à notre mère pour lâcher quelques derniers mots :

-Mais je crois que Thaïs acceptera de me suivre pour revoir son frère...

-Sans doute mais...

Je me suis approché d'un pas, intervenant dans la conversation alors que la salle résonne toujours des milliers d'applaudissements.

Edilyn me jette un regard de mépris.

-Je ne parle pas aux proscrits.

Je ne baisse pas les yeux et les fixe dans les siens. J'ai l'impression que nous sommes deux serpents attendant l'un et l'autre le moment d'attaquer.

-Je souhaite que tu ressentes un jour au plus profond de toi tout le mal que tu as fait...

Elle semble hésiter quelques secondes puis répond d'une voix lente.

-Tu ne peux pas lire mon cœur. Et si c'était déjà le cas ?

-Non, tu réparerai alors ton inhumanité...

Elle jette comme malgré elle un regard à Aevin en haut des marches, inconscient de cet observation. Je comprends alors tout en un éclair et j'attrape fermement le bras de ma soeur.

-Tu l'aimes... Et tu es jalouses.

-Lâche-moi !

Elle tente de dégager son bras avec une brusquerie inaccoutumée, et j'aperçois un bref instant toutes les émotions qu'elle cache derrière son rempart de froideur. Mais je ne peux pas me laisser attendrir. Pas maintenant.

-Et lui, il aime Thaïs...

Nous sommes seuls au monde. Les applaudissements couvrent nos voix. Personne n'entend notre discussion tandis que nos cœurs se brisent un peu plus en mille morceaux. Son regard perd encore un peu plus de son contrôle.

-Lâche-moi Gabriel... Et laisse moi.

-Tu ne te venges pas ?

-Oh si ! Je te ferai payer au centuple ce que tu viens de me faire... Mais légalement, quand tu reviendras...

Je lâche brusquement son bras et la contemple un instant avec incertitude.

-Pourquoi reviendrais-je ?

-Parce que tu as toujours été le prince parfait par excellence. Parce que tu aimes ce pays plus que tout ce que tu pourras jamais posséder... Et même si ton... Ton Azylis parvient à te retenir dans le passé, tu seras éternellement malheureux...! N'est ce pas la plus raffinée des vengeances ?

Elle  me tourne alors le dos pour remonter les gradins l'un après l'autre, dans une démarche superbe de reine, et je reste silencieux, le seul à la voir telle qu'elle est vraiment. Et hanté par les mots qu'elle vient de me jeter à la figure.

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant