Intemporel T1 & 2

Chapitre 12 : Azylis

Toujours dans l'aéronef, je ne trouve plus de questions à poser à Aevin. Mon cœur et mes pensées s'affolent. Comment Gabriel pourrait-il être un assassin ? J'ai envie de hurler mes pensées au ciel, mais je ne peux pas. J'aimerai simplement pouvoir douter de cette affirmation que me lance à la figure un parfait inconnu.

Mais comment ? Quelle raison pouvait bien pousser Gabriel à quitter son époque pour partir à l'aventure dans un passé inconnu ? Si ce n'est celle-ci : la fuite. Ma voix est amère lorsque je suis assez calme pour enfin poser mes questions.

-Un assassin ? Et qui a-t-il tué ? Et surtout, pour quelle raison ?

Aevin garde un instant le silence. Ses yeux sont fixés au loin, devant nous, devant notre aéronef qui poursuit sa course rapide sur les routes éclatantes de la cité.

-Il a tué Sady Wigham, une jeune adolescente de notre âge. Ceux qui ont étudié son cas lors du procès ne sont pas tous d'accord sur la motivation réelle de ses actes.
Pour la plupart, c'est son éternel goût du danger et des frissons qui l'a conduit à commettre cet assassinat sordide et inutile, mais pour d'autres, c'est par jeu -ce qui peut sembler pareil au premier abord- où sur un coup de folie. Quoi qu'il en soit, lui ne s'est jamais défendu lors du procès. Et il n'a jamais voulu révéler ses pensées en public.

Aevin fait une petite pause dans son discours tandis que j'enregistre les informations. Un espoir fou monte dans mon cœur. Et si Gabriel avait un secret, une raison de la tuer qu'il aurait gardée pour lui ?

Une raison qui n'en ferait pas un simple criminel, ou le personnage sombre que je peux m'imaginer à travers les mots d'Aevin. Mais celui-ci continue d'une voix plus basse, comme chargée d'un lourd regret.

-Mais si son procès fut le plus médiatique de l'histoire, c'est son évasion qui a vraiment défrayée la chronique. Dancy, la forteresse imprenable... Et puis, cette fuite complètement folle dans les spirales du temps. Comment le retrouver ? Mais par des procédés que les journaux n'ont pas révélés, nos policiers ont fini par le repérer. Et par le récupèrer. C'est donc la troisième fois que l'on entend partout parler de Gabriel...

Le silence s'installe. Mes yeux se brouillent de larmes que je tente de cacher. Je n'ai rien révélé à Aevin du réel endroit d'où je viens, alors autant continuer sur cette lancée plus que prudente... Ainsi, Gabriel n'était rien d'autre qu'un assassin en fuite ? Ma colère contre lui grandit à cet instant.

Je voudrai l'avoir devant moi pour pouvoir lui hurler au visage ma rage et ma rancoeur. J'ai l'impression d'être écartelée au milieu de mes sentiments. L'amour bien sûr, et toute la violence qui va avec, mais aussi maintenant, la colère, la tristesse, l'inquiétude, et, pire que tout, le doute...

Je veux concentrer mes pensées sur autre chose. Je ne veux plus penser à lui. Et pourtant, mon sentiment d'urgence continue de grandir en moi. Un détail me revient soudain à l'esprit. Dans son petit discours, Aevin a parlé de Gabriel en l'appelant par son prénom. Est-ce courant par ici ? Ou est-ce que cela lui a échappé ?

Je n'ai pas le temps de poser la question car l'aéronef s'est stabilisé. Aevin se tourne vers moi, avec pour la première fois depuis un petit bout de temps, un vrai sourire sur le visage.

-Bon laissons tout ça, c'est ici qu'on descend ! Tu me suis ?

J'hoche la tête, avec une légère appréhension. Aevin est déjà sur la petite plateforme de verre devant laquelle s'est arrêté notre engin. Lorsque j'y pose à mon tour le pied, je tressaille malgré moi. Surtout, surtout, ne pas regarder en bas ! Lorsque je sens la surface solide sous mes pas, je fais quelques pas en avant.

Lorsque je me retourne, je vois l'aéronef démarrer tout en douceur vers une destination qui m'est inconnue. J'interroge Aevin.

-A quel étage sommes-nous ?

Il laisse échapper un nouveau sourire.

-Je te l'ai dit, ici, ce n'est qu'un village. Les tours ne sont donc pas très hautes... 305eme étage.

Je me retiens d'hausser les épaules. C'est ça, pour lui, une petite hauteur ? Décidément, il vaut mieux que j'évite de regarder sous mes pieds... Mais pourquoi leurs plateformes sont elles en verre ?! Heureusement, je n'attends pas longtemps. Aevin s'est avancé jusqu'à une porte coulissante métallique.

Il sort de sa poche son écran numérique et le passe rapidement devant un petit boîtier. Deux notes de musique résonnent et la porte commence à s'ouvrir. Lorsqu'il entre à l'intérieur, je le suis sans réfléchir. Tout, plutôt que cette plateforme qui me rappelle douloureusement mon vertige.

Lorsque j'entre à l'intérieur, je retiens mon souffle. Tout l'appartement est en fait de forme circulaire. La pièce où nous sommes ressemble à un salon de chez nous et j'aperçois un escalier en colimaçon qui monte un étage plus haut et qui descend un étage plus bas. Partout, des plantes en pot agrémentent de leurs couleurs la pièce aux tons colorés.

D'immenses baies vitrées circulaires apportent la lumière nécessaire, même si la lumière est actuellement allumée car le soir commence à tomber. C'est vrai que, pour moi, cette première journée a été rude ! Je n'ai pas déjeuné et cette simple pensée suffit à m'amener des réclamations de la part de mon estomac.

Le sol est recouvert d'un parquet foncé et des petits canapés ou des fauteuils occupent l'espace restant. Tout le décors est extrêmement moderne -sans blagues, on est quand même dans mon futur !- et dégage une atmosphère chaleureuse et confortable. Une jeune femme de quarante ans peut être, aux cheveux noirs coupés courts, fait irruption dans la pièce.

La mère d'Aevin ? Au sourire qu'ils échangent, je devine que mon pressentiment est juste. Elle se tourne vers moi, toujours avec ce merveilleux sourire si accueillant au visage.

-Bonjour ! Moi, c'est Tavena... Et toi ? Qui es-tu ?

Un instant, je laisse échapper une légère hésitation. Dois-je dire mon nom de famille ? Ou vaut-il mieux garder ces renseignements personnels ? Aevin prend la parole à ma place.

-Elle s'appelle Azylis... La même histoire que d'habitude. Je lui ai proposé de rester ici un ou deux jours puis elle partira quand je lui aurai donné les informations.

Une étincelle grave apparaît dans les yeux de Tavena. Elle hésite à dire quelque chose, je le vois bien sur son visage, puis elle s'abstient. Elle finit par répondre, un nouveau sourire aux lèvres :

-Bien, alors montre-lui la chambre réservée aux invités, et laisse-la s'installer. Le dîner est prêt dans une demi-heure.

A cette simple évocation, je sens mon estomac gargouiller. Aevin hoche la tête, puis, sans me concerter du regard, il se dirige vers l'escalier que j'ai aperçu. Avant de le suivre, je me tourne vers sa mère avec un sourire :

-Merci de bien vouloir m'accueillir...
-Ne t'inquiète pas, c'est un plaisir.

Pourtant, je vois bien au fond de ses yeux la lueur triste qui y danse. Je voudrai l'aider, mais je n'ai rien à dire, je ne la connais pas, et ce ne sont pas mes affaires. Pourtant, mon cœur est lourd lorsque je grimpe les marches de l'escalier sur les traces d'Aevin. Une fois sur le palier supérieur, je vois tout de suite la porte ouverte et j'entre sans attendre.

Aevin est là, immobile, tous sourires, sa lueur malicieuse de nouveau présente au fond de ses prunelles. Alors que je pose mes affaires sur le lit au design étrange -c'est à dire mon casque que j'ai toujours à la main-, je remarque un superbe portrait accroché au mur.

C'est celui d'une jeune fille aux cheveux sombres et aux yeux en amande. Il n'y a pas de signature. Juste un titre en bas de la peinture.

Marguerite Savigny.