•Gabriel• (Chapitre 56)

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Le commandant se met à sa place habituelle, c'est à dire au centre de notre petite formation en carré.

Il est dans une colère noire lorsqu'il prend la parole.

-Maintenant, ça suffit !... Je sais que le prince est parmi vous, et aucune section n'est venue le dénoncer... Puisque vous n'entendez rien d'autre que la manière forte, on va y aller !

Je crispe mes mains. Que veut-il dire ?

La réponse ne tarde pas. Et elle nous coupe à tous le souffle.

-Le chef de la section ou l'on trouvera l'homme recherché serra mis à mort ! Et sans pitié pour personne...

Cette fois, plus personne ne parle. Remarquez, tout le monde était déjà silencieux. Mais l'atmosphère devient tout à coup pesante, comme chargée d'une soudaine gravité.

Je me tourne vers Lydie.

-Je ne te laisserai pas mourir pour moi !

Les autres membres de notre section nous regarde tandis qu'elle me répond avec un sourire légèrement contraint.

-Ne fais pas l'imbécile, ce ne sont que des menaces en l'air pour te pousser à te dénoncer... Tu ne vas quand même pas tomber dans leur piège stupide ?

Je plonge mes yeux dans les siens.

-Lydie, fais tout ce que tu veux, mais ne me mens pas. Ils mettront à mort le chef de section. Et ce serra toi.

Les six autres continuent de suivre notre échange. Lydie me répond d'une voix neutre.

-Rappelle-toi, ils ne peuvent rien contre moi...

A quoi fait-elle allusion ? Ah ! A son secret... La sphère Acia. Non, il ne peuvent pas la tuer, mais vivre enfermée dans une bille de verre pendant plusieurs millénaires, est-ce un sort plus enviable ?

-Bien sûr que si, ils peuvent quelque chose contre toi ! Et je ne te laisserais pas me protéger... Je vais me dénoncer.

Je m'avance d'un pas. Cette fois-ci, c'est Thaïs qui m'agrippe par le bras pour me retenir.

Le chahut a attiré l'attention des autres sections. Dans quelques secondes, tout le monde aura les yeux rivés sur nous...

Je me retourne vers Thaïs et murmure d'une voix suffisamment forte pour que tout le monde entende :

-Plus personne ne sacrifiera jamais sa vie pour moi. Il n'y aura pas de deuxième Marguerite...

Elle recule, abandonnant la lutte malgré les larmes que je vois au fond de ses yeux.

Mais c'est au tour d'Yves d'intervenir. Tout se passe alors en un éclair. Il me pousse en arrière, de façon à ce que je regagne mon rang, et c'est lui qui s'avance.

Il prend la parole et tous les yeux se focalisent sur lui tandis que le commandant s'approche.

-Je refuse que l'on tue le chef de section qui ne fait que protéger l'un de ses membres !

Tout le monde écoute. Tout le monde regarde, fasciné.

Mais moi, je suis inquiet. Pas pour Yves. Pour le commandant. Ne voit-il pas cette drôle de lueur qui s'est allumée au fond des yeux de notre camarade ?

Je remarque la petite bosse au niveau de la ceinture, sous la large chemise. Le revolver.

Que se passe t-il ?... Ou est le Yves que nous connaissons ? Le gentil garçon rieur ?

Le commandant s'immobilise à deux mètre du jeune homme. Ils sont au centre du carré que nous formons. On se croirait dans un western...

-C'est toi, le prince ?

Il sort alors de son manteau ce qui me fait tellement frémir : la photo.

-Non, inutile de vérifier, je n'ai pas cet honneur.

Et puis, brusquement, Yves se retourne et s'adresse à nous, tous les jeunes rassemblés.

-On nous a amenés ici pour faire de nous une armée ! Bien, mais il fallait surveiller la poudrière ! La révolution !

Et il braque son revolver sur le commandant.

C'est un déferlement. En un instant, la belle organisation du camp s'écroule. Nous ne sommes plus qu'une marée de jeunes déchainés.

Dans le bazar ambiant, je tend l'oreille pour tenter d'entendre le bruit de la détonation.

Mais ce bruit n'a pas retentit. Yves n'a pas et ne tirera pas. Je comprend tout à coup.

Il veut juste me laisser m'enfuir en profitant du désordre...

Je tourne les talons lorsque je les entends. Les balles. Ou plutôt leurs sifflements quand elles passent près de mes oreilles.

En un instant, je repense à tous les excellents moments que j'ai passé ici. Pourquoi est-ce que tout vire soudainement à l'enfer ?

Je comprend. Le commandant s'est déjà dégagé. Je ne veux pas savoir ce qu'est devenu Yves. Tout ce que je sais c'est que pas mal de jeunes ont pris son parti.

Et que parmi eux beaucoup étaient armés. Et que les partisans du commandant ripostent.

Je cours vers la forêt avec une unique idée en tête : fuir le plus loin possible. Tout le monde fait pareil, mais peu de gens sont touchés par les balles.

Je comprends une nouvelle chose. Ce n'est aujourd'hui qu'un avertissement. Ceux qui ont des armes ont reçus l'ordre de ne pas tuer mais de faire peur. Enfin, sauf si l'autre en face se défend.

Et si Yves avait reçut un ordre pour faire ce qu'il a fait ?... Pour savoir qui était fidèle et qui ne l'était pas ?

Mais moi, s'ils me rattrapent, ils ne me feront pas de cadeaux... Et je n'ai pas le temps d'expliquer la teneur de mes réflexions à Lydie et Thaïs qui courent à côté de moi.

Les barques, enfin. Nous nous ruons sur la plus proche et entreprenons de la pousser vers l'eau.

Nous grimpons à la vitesse d'un éclair à bord et je prend aussitôt l'une des rames.

Nous avons réagit et couru plus vite que les autres. Déjà quelques jeunes gardent les barques et empêchent d'autres éventuels départs.

Quand à nous, je suis certain qu'ils ne vont pas tarder à nous poursuivre...

Sympathique... Je suis poursuivi par les gardes officiels et par cette petite armée d'hors-la-loi...

Tout s'est passé si vite ! Notre embarcation continue de s'enfoncer dans les marécages. Je prend la parole et trouble le silence qui s'était installé entre nous suite au choc.

-Il va falloir trouver un abri... La nuit est en train de tomber...

Thaïs murmure une réponse.

-Mais ils vont nous rattraper si on s'arrête...

Je me tourne vers Lydie. C'est juste à ce moment que je remarque sa main crispée et la tache rouge qui s'élargit à vue d'œil sur son chemisier.

Je ferme un instant les yeux. La ressemblance est tellement frappante avec Sady au même instant...

Non Lydie, je t'en supplie, ne me dis pas que ces balles t'ont touchée au cœur !

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant