•Gabriel• (Chapitre 89)

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Je regarde la salle aux murs froids ou je me trouve.

Elle est petite et il n'y a que quatre personnes en plus de deux gardes. Le juge, Edilyn, mon avocat, et l'homme qui représente l'accusation.

J'ignore ce qui s'est passé mais ce n'est plus Gaëtan de toute évidence. J'espère qu'il ne lui est rien arrivé. Vu le regard dur de ma sœur, je n'en jurerai pas. Nous sommes tous assis dans le bureau du juge, et celui-ci est derrière son bureau.

La situation pourrait presque paraître détendue à un inconnu s'il n'y avait les deux gardes debout derrière mon siège. Le juge O'Brien s'adresse actuellement directement à ma sœur. Il me paraît avoir vieillit d'un coup depuis notre dernière visite.

Celui qui fut pour moi le meilleur des oncle, puisque c'est le mot qui se rapproche le plus de ce qu'était pour moi cet ami de mes parents, a de toute évidence des scrupules à participer à mon jugement.

Mais je sais qu'il est droit et honnête, et qu'il ira jusqu'au bout s'il le faut, sans faillir. Pour le moment, j'écoute ce qu'il dit à ma sœur.

-Vous ne pouvez plus faire mettre à mort Gabriel ainsi. Le peuple est pour lui.

Edilyn relève la tête et remet d'une main rageuse ses longs cheveux noirs dans son dos.

-Bien sûr. Nos chers parents se sont bien débrouillés pour que ça aille dans ce sens. Ils veulent sauver leur fils, sans aucun soucis de justice.

C'est au tour de mon avocat d'intervenir. Je contemple ce petit homme bedonnant s'avancer.

Je crois qu'il n'y a pas sur terre d'homme plus bête et méchant que celui-ci, et aussi condescendant. Pourtant, lorsqu'il prend la parole, je suis forcé de réviser au moins un peu mon sévère jugement.

-Princesse, il me semble que tout le monde parle de justice, justement. Remettre en prison votre frère, mais gracier le pilote en fuite et ne pas mettre le prince à mort. Je ne comprends pas que cela vous pose un quelconque problème.

J'ignore ce que ma charmante sœur a en ce moment mais elle ne me paraît pas dans son état normal. Elle est toujours aussi froide et cruelle mais ne prend aucune précaution. Elle balance quelques mots bien placés à la tête de mon avocat :

-Vos belles leçons de morale, gardez-les pour vous. C'est quand même moi qui ait réparé les dégâts quand votre fils si bien élevé a dévalisé un magasin. Alors taisez-vous et laissez-nous parler entre gens civilisés.

Je n'ai jamais vu une voix aussi sèche.

L'homme ressemble maintenant à un poisson hors de l'eau. Il ne trouve rien à répliquer et se rassois sur son siège alors qu'il ne s'en était levé que quelques minutes plus tôt. Je comprends maintenant mieux pourquoi mon avocat s'est montré si complètement nul.

Il est tout aux ordres de ma sœur... Et cela explique aussi sa haine de la royauté d'une certaine façon.

Mais vu son regard maintenant incendiaire, je pense qu'il est en train de réaliser qu'il n'a pas vraiment choisi le bon camp... Le juge se tourne alors vers Edilyn.

-Très bien. Le jugement de la peine de mort a déjà été rendu. Assassiner votre frère sera donc parfaitement légal. Faites-le mais...

Elle secoue la tête, agacée tandis que je sens cette habituelle peur m'envahir comme chaque fois qu'on parle de ma satanée condamnation. Edilyn ordonne d'une voix sèche :

-Finissez donc votre phrase. Vous cherchez à ménager votre petit suspens ? On est pourtant pas dans un de vos feuilleton à la noix là !

J'esquisse un sourire sarcastique. Quel tact ma sœur... Mais je me rembrunis aussitôt et attends la réponse du juge qui ne tarde pas.

-Très bien. Je pense qu'une fois votre frère tué, vous ne pourrez pas tenir une seule journée. Toute la population se révoltera.

Edilyn n'a même pas un clignement des yeux. L'argument ne la touche pas le moins du monde. Je devine qu'elle s'attend déjà à cette éventualité et qu'elle a tout prévu. Mais le juge n'en a pas terminé avec elle.

-Cela ne vous fait peut-être rien, mais les autres pays ne vous laisseront pas longtemps régner si vous continuez comme ça. Bien maniées, les associations mondiales ne vont pas tarder à entrer en jeu. Êtes-vous vraiment prête à prendre le risque ?

Je sens alors la résolution de ma sœur vaciller.

Je remarque également le dégoût du juge. Je crois qu'il ne supporte pas ses propres paroles. Edilyn laisse un interminable moment de silence chargé d'électricité passer. Elle finit par enfin se décider à prendre la parole.

-Ah oui ? Je ne peux pas te tuer ?

Elle se tourne vers moi. Pas possible. On est en train, dans ce bureau absolument impeccable, de parler de ma mort prochaine. Il n'y a que moi que ça dérange ? Je prends un visage absolument impénétrable.

-Tu m'en vois vraiment ravi. J'aimerai assez garder ma tête sur mes deux épaules...

Elle esquisse une moue dubitative. Ses yeux brillent fugitivement d'une lueur trop froide.

-Ah oui ? Tu espères encore t'en sortir ? Alors tu vas être heureux. Je vais te donner une dernière chance.

Je crains le pire là. Vraiment. Car le visage d'Edilyn reflète tout sauf la sympathie.

-Et qu'est-ce que ce sera, cette dernière chance ?

J'ai l'impression que nous ne sommes plus que deux dans la pièce. Moi et ma sœur. Un affrontement. Elle esquisse un sourire terriblement ironique.

-Un combat à dos de dragon. Sans filet de sécurité. Et mort au perdant.

Je crispe mes lèvres.

-Tu sais bien que je n'ai jamais voulu pratiquer ce genre de sport. C'est juste une façon théâtrale de me faire mourir, c'est ça ?

Elle hoche la tête, tranquille. Elle se tourne ensuite vers le juge.

-Monsieur, vous m'avez dit que je ne pouvais pas le laisser mourir. Laissons le ciel décider. Après tout, il existe peut-être une justice céleste quelque part qui lui laissera la vie sauve.

Je doute qu'Edilyn me laisse la moindre chance. Jamais elle ne me laissera ne fus-ce qu'une once d'espoir. J'ai soudain une terrible appréhension. Je l'attrape par le bras.

-Qui sera sur l'autre dragon ?

Elle esquisse le pire sourire que je lui ai jamais vu.

-Je vais faire annuler une peine. Quelqu'un va revenir de sa punition.
-Quelle punition ?

-Binaire interstellaire...

Je pâlis. Elle ne peut pas faire ça... Je vais revoir Marguerite. Celle qui m'a jadis permis de fuir. Mais cette fois-ci, je ne la laisserai pas payer à ma place.

Ce combat de dragon, je vais le perdre.

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant