Chapitre 26 : Azylis

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-Des dragons ! Oh, Aevin, ils sont... Trop mignons !

-C'est bien une remarque de fille ça...

Mais je peux voir derrière sa moquerie apparente ses yeux briller de la joie d'avoir réussi à me surprendre. Il y a tant à voir autour de moi !

Aevin et l'ami de son père se sont un peu éloignés et discutent à l'autre bout de la pièce. Mais moi, je suis fascinée par tous ces dragons entrain d'éclore. J'interroge l'une des personne qui s'active près des œufs.

C'est un homme d'une soixantaine d'années au visage peu engageant mais entièrement prêt à me répondre depuis qu'il m'a vu avec son patron.

-Les dragons qui n'arrivent pas à sortir de leur coquille, vous les aidez ?

Il me regarde comme si je venais de proférer une énorme bêtise.

-Non, bien sûr que non. Ce sont les faibles qui ne sortent pas de leur coquille, c'est en quelque sorte un premier test. S'ils ne sortent pas au bout de deux heures, ils meurent d'épuisement ou étouffés... Celui-là, par exemple, n'a déjà plus la force de lutter...

Je détourne mes yeux de l'homme pour me concentrer sur l'œuf qu'il désigne. Je suis au fond profondément révoltée par ce discours. Je n'aime pas les raisons qu'il évoque. L'œuf qu'il a montré diffère des autres par sa taille et sa couleur. Il est plus gros, et entièrement noir, ce qui s'oppose aux couleurs bariolées des autres.

Il n'est agité que de quelques soubresauts, alors que la plupart des œufs sautent en l'air a chaque coup de bec du bébé dragon pour sortir.

Sans trop savoir pourquoi, j'allonge la main pour toucher l'œuf. Je vois mon interlocuteur me faire signe de ne surtout pas faire ça mais son avertissement arrive trop tard.

Un cri aigu, déchirant, empli d'une souffrance innommable me traverse l'esprit. Je sens en un instant cette douleur se peindre sur mon visage. Je retire précipitamment ma main.

-Qu'est... Qu'est ce que c'était ?

-Il ne faut jamais faire ça ! Le cri est horrible n'est ce pas ? Vous voulez sortir un peu ?

Non, j'ai les idées assez claires pour désirer vivement une réponse.

-Mais c'était le cri du dragon non ?

Il hésite quelques secondes avant de répondre sans ambages.

-Oui.

Il me tourne ensuite le dos, se désintéressant visiblement et fort impoliment de mes questions. Légèrement hésitante, je repose ma main sur la coquille de l'œuf. Ce n'est plus la douleur qui me traverse, mais un terrible sentiment d'abandon. Je me sens le cœur renversé.

Ces dragons qu'ils inventent en laboratoire et dont la vie est entièrement entre leurs mains... Ce sont des créatures intelligentes ? Qu'est ce qui les différencie de nous dès lors ?

Le fait que ce soit les hommes qui les fabriquent ? Cette idée me révulse. Elle me révolte profondément. La main toujours sur la coquille, je sens dans ma tête le dernier souffle qui résonne. Il n'y a plus d'air.

D'où me vient alors ce mouvement instinctif ? Je déchire d'un coup sec la coquille. Quelques bouts me restent sur les doigts. Je m'éloigne précipitamment. Je n'ai pas oublié qu'on n'a pas le droit d'aider un dragon à sortir de sa coquille...

Au bruit de l'œuf brisé, l'homme se retourne. Il fixe la bestiole qui revient lentement à la vie sur la table. Noir, une tête légèrement triangulaire, il doit faire la taille de mon avant bras. L'homme s'approche et observe attentivement le dragon.

-C'est étonnant ! Je ne l'aurai pas cru, qu'il sortirait de sa coquille...

Il me jette un coup d'œil soupçonneux. Mais son attention est heureusement de nouveau distraite par l'animal.

-Je m'en doutais !...

Une inquiétude totalement irraisonnée au fond du cœur, je demande d'une voix qui se voudrait assurée :

-De quoi ?

-Cette bestiole est à moitié aveugle...

Il dévisage avec un dégoût visible le dragon qui continue de s'agiter sur la table. J'observe l'animal plus attentivement. Ses yeux sont grands ouverts, brillants. On ne peut rien y deviner d'un possible handicap. En revanche, sa démarche est incertaine, contrairement aux autres dragons qui s'agitent dans tous les sens.

Je jette un coup d'œil à l'infirmier. Il est en train de remplir une seringue de verre. Je sens mon rythme cardiaque s'accélérer.

-Vous allez faire quoi là ?...

-Le tuer. Personne ne voudrait d'un dragon aveugle.

Mon cri sort automatiquement de ma bouche, sans que je réfléchisse au conséquences, et je me positionne entre lui et le dragon.

-Si ! Moi ! Moi, je suis prête à le prendre !...

Mon cri a fait réagir les autres personnes de la salle. Les soignants nous dévisagent maintenant plus attentivement. Aevin revient vers moi suivit de notre guide du départ.

-Que se passe t-il ?

Je remarque qu'il n'a pas utilisé mon prénom. C'est vrai que pour le moment mon identité doit rester plus ou moins secrète...

-Il veut tuer le dragon...

Même à mes yeux, ma réponse me paraît ridicule. Enfantine plutôt. Aevin reste interloqué. Les mots sortent tous seuls de sa bouche :

-Et alors ? Je suppose qu'il a un défaut quelconque ?...

On dirait qu'ils parlent d'une machine... Dans un tic de nervosité, je me mordille les lèvres.

-Il est à moitié aveugle. Mais ce n'est pas pour moi une raison suffisante...

Tous me regardent, s'attendant presque à me voir éclater de rire en disant "c'est une blague". Mais je reste silencieuse. Dans mon dos, les petits couinements du dragon accentuent ma décision. Je continue.

-Au pire, on peut peut être vous donner un peu d'argent pour que vous le gardiez...

Mais l'ami du père d'Aevin me coupe aussitôt, doucement mais d'un ton sans appel.

-Non, nous ne gardons aucun animal inutile ici.

Je fixe Aevin d'un œil légèrement suppliant, et j'en ai parfaitement conscience.

-Alors, on peut peut être vous l'acheter...

J'ai l'impression d'être une enfant prise la main dans le bocal de bonbons. Il me regardent tous comme si j'était totalement ridicule. Mais je suis désolée, cet animal, ce n'est pas un simple objet que l'on peut envoyer à la casse si l'on en a envie... C'est autre chose. Aevin me répond.

-C'est impossible. On vient d'en parler de ce dragon, et c'est en fait un nouveau test. En clair, il n'existe actuellement qu'en un exemplaire. Adulte, il devrait atteindre au moins les sept mètres de long... Et même mort, il vaut une fortune pour les fermes de recherche en concurrence avec celle-ci... Ce n'est pas vraiment dans mes moyens...

Sept mètres de long... J'ai vraiment un don pour m'attirer des ennuis. Je sais le risque que je prend. Jamais Aevin ne pourra compléter mon "éducation". Je ne serai pas une parfaite habitante de l'année 2716...

-Bien. Je vous l'achète.

Je fais une pause. J'ai juste le temps de voir la frayeur se peindre sur le visage d'Aevin et la supplique muette qui se reflète au fond de ses yeux. J'ai captivé l'intérêt de la petite assistance. Je continue.

-Je suis Azylis d'Alcy. La gagnante de la loterie...

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant