•Azylis• (Chapitre 51)

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Je tente de cacher l'appréhension qui m'envahit en apprenant que je vais devoir choisir ce que je vais faire de mon ticket gagnant dans seulement quelques jours.

J'attrape d'une main Dynamite qui était couché à mes pieds et le pose sur mes genoux pour éviter d'avoir à réfléchir.

Je finis par me lever et mon petit dragon commence alors un jeu qu'il paraît trouver très drôle : s'amuser à me courir après. Une jolie variante du chat et de la souris, avec moi dans le rôle de la souris et lui dans celui du chat...

Sympathique... Mahaut, de son côté, part je ne sais où en me prévenant que je ne la verrais pas de la matinée. Je finis par poser ma main sur la tête de Dynamite et commence à caresser mécaniquement ses jolies écailles.

Il émet alors un bruit qui pourrait peut-être passer pour le ronronnement d'un chat s'il ne faisait pas à mes oreille le tintamarre d'un tracteur qui démarre...

Mon dragon grandit un peu trop vite à mon goût. Il fait déjà dix bons centimètres de plus que quand je l'ai adopté. J'appréhende quand même un peu le moment où il atteindra les sept mètres...

Je m'assois dans un fauteuil et laisse le temps passer, simplement heureuse d'être là et de ne pas penser à mes soucis pour quelques heures.

Tout pourrait continuer longtemps comme ça si Mahaut ne débarquait pas en courant dans mon appartement, en balançant au passage contre le mur ma pauvre porte qui n'a strictement rien demandé. Je me lève d'un bond, inquiète de ce soudain bouleversement que je peux voir sur son visage.

-Mahaut, calme-toi, qu'est-ce-qui se passe ?...

Je n'ai jamais vu cette lueur qui brille au fond de ses yeux violets. Elle est tout simplement terrifiée.

-Azylis, fais quelque chose, je t'en supplie ! Ils ont décidé de recommencer !

Cette fois-ci, c'est certain, c'est vraiment grave. Qu'est-ce-qui se passe, encore ? Ce n'est jamais possible d'avoir un minimum d'explications par ici...

-Mahaut, par pitié, fais un effort ! Qui "ils" et que veulent-ils recommencer ?...

Elle devient alors terriblement sérieuse. Trop sérieuse.

-Oh, seulement... "Ils", ce sont les mécaniciens du palais, et ce qu'ils veulent recommencer... Un effacement complet de mes mémoires.

Je ferme un instant les yeux. Bien sûr, ça allait arriver un jour ou l'autre... Mais pourquoi maintenant ? Qui leur donne la permission de faire subir ça à une créature intelligente ?

-Reste ici alors. Attend qu'ils viennent te chercher, je vais essayer de faire quelque chose.

-Tu n'y arriveras pas !...

-Mais si, ne t'inquiète pas...

J'ai l'impression soudaine de consoler un petit enfant. Mahaut s'assoie dans le plus proche fauteuil, et je recommence mécaniquement à caresser les écailles de Dynamite.

Mais le cœur n'y est plus. Je guette le pas des hommes qui ne devraient pas tarder à arriver dans le couloir. Que leur dirais-je ? Je tente une nouvelle fois de refouler au plus profond de moi la pensée qui m'est déjà venue à l'esprit.

Si jamais mes arguments s'avéraient totalement inutiles, laisserais-je Mahaut se faire effacer ses mémoires ? Alors qu'il me suffirait d'utiliser mon ticket pour lui sauver la mise... Mais c'est impossible de me demander ça. Ce n'est qu'un robot. A cette pensée, mon cœur se serre un peu plus.

Qu'est-ce-qui fait de l'homme sa supériorité sur le reste de la nature ? Sa capacité de penser. Or, Mahaut possède sans aucun doute possible cette qualité qui aurait dû rester humaine. Alors, pourquoi donnerais-je la priorité à Gabriel ou même à Marguerite dans mon cœur par rapport à elle ?

Mais les mots dansent dans ma tête. Après tout, ce n'est qu'un robot, et sa mémoire a déjà été réinitialisée des centaines de fois... Mon esprit est décidément trop rétrograde.

Je suis restée dans mon fichu vingt-et-unième siècle. Nous redressons toute les deux la tête tout à coup en entendant des pas dans le couloir puis un "toc,toc" discret à la porte. Dynamite lâche un petit nuage de fumée, furieux que j'arrête mes caresses.

-Entrez !

Deux hommes de la sécurité interne du palais pénètrent dans la pièce. Ils me sourient fort aimablement et poliment. L'un d'eux prend la parole.

-Nous venons chercher le robot matricule 715-Mahaut... Nous ne voulions surtout pas vous déranger...

Puis, il fait un petit signe à Mahaut pour lui intimer de les rejoindre. J'interviens tout de suite.

-Non, Mahaut, ne bouge pas...

Monsieur, cet effacement est-il vraiment nécessaire ? Ne pourrait-on pas le reporter ?

Je déteste mes mots qui sonnent si peu humains mais je n'ai pas le choix. L'homme secoue aimablement la tête.

-Non, c'est impossible, je suis vraiment désolé.

J'ai l'impression d'être à ses yeux une petite fille capricieuse qui l'embête un peu inutilement... Mais il est toujours patient.

-Écoutez, je ne sais pas si en tant que gagnante de la loterie je...

-Non mademoiselle, il n'y a rien à faire... Mahaut, viens ici.

Je ne peux pas laisser faire ça. Ce n'est tout simplement pas humain. Non, bien sûr, puisque c'est de la robotique... Je ferme un instant les yeux, tentant de prendre l'attitude la plus calme possible.

-Bien, j'utilise mon ticket gagnant pour prendre Mahaut à mon service. Elle m'appartient désormais.

Laissant les deux hommes sous le choc de ce qu'ils viennent d'entendre, je me retourne vers la petite fille de cent ans d'âge :

-Bien sûr, tu es libre maintenant de faire ce que tu veux...

Mahaut est la seule à sentir dans ma voix ma tristesse. Je ne sauverai pas Marguerite. Et pourvu que Gabriel ne se fasse pas rattraper... L'autre homme prend alors la parole.

-Bien... je... nous allons l'annoncer aux journalistes, au roi et à la reine... Dans ces conditions, bien sûr, nous n'effacerons pas les mémoires de Mahaut...

La porte claque. Je souris à Mahaut qui ne me rend pas cette joyeuse expression du visage.

-Azylis, qu'est-ce-que tu as fait ! Je... je ne suis qu'un robot et... Je vais m'en vouloir toute ma vie !

Je m'approche d'elle et pose doucement ma main sur ses épaules.

-J'avais des rêves. Mais jamais je ne me le serais pardonné si je n'avais rien fait... Je n'aurai pas pu être heureuse. Tu peux le comprendre ça ? En clair, j'ai juste agis par égoïsme... Je veux être heureuse !

Elle esquisse un pâle sourire.

-Bien sûr, par égoïsme... Azylis, décidément, tu n'es vraiment pas comme les autres...

-C'est un compliment ?

-Je ne sais pas, à voir !

Nous éclatons toutes deux de rire devant son ton de nouveau malicieux. Mais il y a maintenant autre chose entre nous. Un lien plus précieux qui rend nos échanges plus profonds...

Lorsque j'ai utilisé mon ticket pour elle, il s'est passé quelque chose... Dans quelques heures, il faudra que je justifie pour les journalistes mon choix.

Et pour Aevin qui ne pourra jamais comprendre. Et pour Gabriel. La suite de la journée s'annonce bien...

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant