•Gabriel• (Chapitre 62)

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Edilyn... J'aimerais me dire que ce n'est pas possible.

Que ce n'est pas elle qui a mis ce fichu bracelet à Thaïs. Mais comment en être certain ? Quel serait son intérêt ? Son intérêt... Diriger Thaïs.

Je me redresse sur la branche de mon arbre ou je me suis assis pour réfléchir et tirer mes pensées au clair. Je me mordille pensivement la lèvre. Diriger Thaïs... Bien sûr ! Et tous les autres !

Je suis maintenant prêt à parier que le mystérieux chef des camps c'est elle. Ma chère et tendre petite sœur. Mais dans tout cela, un point reste dans l'ombre. Quel pourrait bien être son motif ?

Je commence lentement à redescendre de mon arbre. C'est bien joli d'avoir laissé Thaïs partir avec la barque, mais maintenant je fais comment ?

Comme d'habitude, avec les moyens du bord. Il me faut un tronc d'arbre assez grand pour flotter avec moi assis par dessus. Pas si facile que ça à trouver.

Je repense avec un sourire à ma tumultueuse évasion. J'ai l'impression qu'une éternité s'est écoulée depuis. Je grimace.

Je viens d'apercevoir le morceau de bois idéal coincé dans un enchevêtrement de racines affleurant à la surface de l'eau marécageuse. Mais pour le rejoindre, il va falloir que je nage sur quelques mètres.

Je n'ai jamais été un parfait athlète mais je sais quand même en faire un minimum. Ce qui m'embête plus en fait, c'est l'idée d'avoir mes vêtements trempés.

Heureusement que la journée est en train de commencer et que les températures grimpent rapidement... Je saute dans l'eau et arrive rapidement près du tronc de bois flottant convoité.

Mes doigts agrippent la surface rugueuse et je commence à dégager ma future embarcation des racines qui l'empêchaient de dériver.

J'y arrive au bout de quelques minutes et grimpe enfin sur le bout de bois. Mes jambes sont dans l'eau mais au moins je ne me fatigue pas à nager.

Je plonge brusquement avec inquiétude ma main dans ma poche et soupire de soulagement en sentant sous mes doigts la surface lisse de la sphère.

J'ai un instant imaginé le pire, par exemple qu'elle soit tombée dans l'eau.

Je saisis au passage la première branche un peu large qui me tombe sous la main et commence lentement à ramer pour aller vers le lieu de mon rendez-vous avec Azylis.

A ce rythme, je risque de devenir rapidement un pro de la géographie de cette fichue forêt... J'aperçois brusquement un mouvement furtif à la surface de l'eau qui me tire de mes pensées grinçantes.

Puis plus rien. Ai-je rêvé ? Non, le revoilà plus près... Je perds brusquement le peu de couleurs qui me restait au visage. Un crocodile...

Ou un caïman, je n'ai jamais vraiment saisis la différence. Je sors brusquement de son étui mon pistolet et appuie sur la gâchette.

Peine perdue, mon revolver vient de séjourner avec moi dans l'eau et la poudre est littéralement trempée... Je n'ai rien à en espérer.

Je m'écarte du passage de l'animal en sachant au fond de moi que s'il veut attaquer, ce ne sera pas suffisant comme défense.

Mais le crocodile ne fait même pas mine de m'avoir seulement aperçu. Il continue sa route et de loin, on jurerai vraiment ne voir qu'un simple bâton de bois.

Il devait avoir déjeuné deux minutes avant... Ou c'est un petit miracle. Tout cela ne me rassure pas vraiment et je résiste à l'envie de me cacher au sommet d'un arbre très difficilement.

Il faut absolument que je rejoigne au plus vite le lieu de rendez-vous. En un seul morceau j'espère...

J'aimerais que ma vie soit un roman. Et que j'en sois le héros. Ainsi, je serais certain de ne pas finir bêtement avalé par un crocodile...

Quoique, ce serait peut être le moment fort du roman... "Sacrifice (presque) volontaire du héros pour nourrir un caïman pratiquement mort de faim..." J'imagine d'ici le succès...

Je fronce les sourcils. Oh, ça se vendrait sûrement si on ajoutait que le héros était le prince Gabriel... Je grimace.

J'ai encore beaucoup d'amertume au fond de mon cœur, de toute évidence. Je repense à Edilyn tout en ramant énergiquement.

Que s'est-il passé pour qu'elle change aussi vite en si peu de temps ? Avant de subir la prison et la fuite, étais-je comme elle ? Je frémis à cette idée tant elle me révolte.

Je revois le regard plein de frayeur de Thaïs quand j'ai seulement émis l'idée de lui ôter son bracelet. Tu me le payeras Edilyn... Mais quel est l'intérêt de ma sœur de posséder son armée privée ?

Je ne comprends toujours pas très bien... Elle a déjà tout. Que pourrait-elle bien vouloir revendiquer ? Le pouvoir avant l'heure ? Obliger nos parents à le lui céder ? Je secoue la tête.

C'est totalement impossible, elle ne peut pas en être arrivée là... La branche qui me servait de rame vient hélas de rendre l'âme.

Cassée en deux... Allons bon, je n'ai plus qu'à en trouver une autre... Je soupire presque malgré moi. J'observe alors plus attentivement le paysage qui m'entoure.

Un radieux sourire vient alors illuminer mon visage. Pas besoin de trouver une nouvelle "rame". Je suis arrivé au lieu du rendez-vous. Enfin presque.

J'arrive sur la zone de terre sèche... L'eau n'est plus du tout profonde et je parie que j'ai pied... Je tente aussitôt l'expérience.

Exact, plus besoin de mon embarcation de fortune. Je me laisse tomber dans l'eau et m'amuse malgré moi à m'en mettre partout comme un gamin.

Cela me détend légèrement et un sourire affleure de nouveau à mes lèvres.

De toute façon, vu l'état actuel de mes vêtements, je ne vois pas trop ce que je pourrais leur faire subir de pire. Le feu peut-être...

Et encore. Au fur et à mesure que j'avance, le niveau de l'eau baisse rapidement.

Ça y est, je suis sur la terre ferme. Et véritablement au lieu du rendez-vous. Enfin, terre ferme, c'est vite dit.

J'ai plus sous mes pieds un mélange de boue et de plantes vaseuses assez peu ragoûtant. Mais qu'importe.

Une certaine joie mêlée d'appréhension habite mon cœur. Je n'ai maintenant plus qu'à attendre l'heure que j'ai moi-même fixée. Je lève la tête en quête d'un abri.

Je choisis un arbre assez gros et grimpe rapidement sur les branches. Je commence à avoir une sacrée habitude de cet exercice.

Je n'ai plus qu'à attendre qu'elle vienne... Je ferme les yeux pour mieux imaginer son visage aux traits fins.

Azylis.

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant