Intemporel T1 & 2

Chapitre 15 : Gabriel

Une nouvelle journée qui commence. Si j'avais une fenêtre, je pourrais peut-être deviner l'heure qu'il est. En attendant, je n'ai plus qu'à supposer. Sûrement dix heures du matin. Je redresse la tête. Encore un pas dans le couloir ! Une nouvelle visite donc... Lorsque la porte s'ouvre et laisse entrer mon visiteur, j'ai l'impression de recevoir un coup de poing dans l'estomac.

Non, ce n'est pas possible... Une exclamation s'échappe de mes lèvres tandis que le nouveau venu s'adosse à la porte que le garde vient de refermer.

-Aevin ! Tu es venu !...

Devant moi, je le vois froncer les sourcils. Une hésitation semble se peindre sur son visage. Il m'en explique rapidement la raison.

-Je ne sais pas si j'aurais dû... Ils ont tous voulu me retenir, me déconseillant de te voir. Finalement, ils m'ont laissé passer...

Aevin se décide à s'asseoir sur le sol humide de ma cellule. Tout son être me rappelle une multitude de souvenirs et ma joie doit se voir sur mon visage. Ainsi, passant sur le fait que je suis responsable du sort de sa sœur, il est venu !... Lorsque je prends de nouveau la parole, l'émotion forme une boule dans ma gorge.

-Aevin... Qu'est-ce qui est arrivé à Marguerite ? Je ne veux pas garder ce sujet entre nous pendant tout cet entretien sans en parler... Et je voudrais tenter de m'excuser si c'est encore possible...

Mon compagnon d'enfance garde un visage grave. Mais je le vois se détendre imperceptiblement. Il est heureux que j'ai directement abordé le sujet auquel nous pensons tous les deux.

-Elle est en punition binaire interstellaire...

Mes yeux s'agrandissent d'horreur. Non, ce n'est pas possible. Les juges n'ont pas pu faire ça ! La gorge serrée par l'appréhension, je demande d'une petite voix :

-Et... Pour combien de temps ?

Aevin ferme un instant les yeux, tentant de cacher la douleur qui l'envahit.

-Pour l'éternité.

Je me tais. Je ne trouve rien à répondre. Le silence devient presque palpable entre nous. Aevin esquisse un sourire légèrement contraint. Il continue.

-Bon, à la base, je n'étais quand même pas venu pour ça... Alors, depuis le temps, comment vas-tu ?

Avec une grimace, je réponds, sur un ton mi-sérieux, mi-rieur.

-Très honnêtement, en ce moment, ce n'est pas la grande forme... Il y a des moments, comme ça...

Aevin éclate de rire. L'étincelle malicieuse que je connais bien s'est rallumée dans son regard. A ce moment-là, nous nous détendons complètement. Quelques minutes plus tard, nous rions tous les deux comme des gamins. Je crois pouvoir affirmer que nous nous sommes mutuellement manqués pendant ces cruelles dernières années...

Au milieu d'un nouvel éclat de rire, je retiens une triste pensée. Dommage de se réconcilier avec son meilleur ami au seuil d'une mort pratiquement certaine... Aevin interromps mes réflexions par une nouvelle phrase qui éveille mon intérêt.

-Tu te rappelles ? Ce soir, c'est la loterie...

-Tu imagines vraiment que je pense encore à ces trucs-là ?...

Je retiens un sourire. Lui aussi. La loterie. Ce n'est pas un tirage au sort comme les autres... Elle n'a lieu qu'une fois par an et se passe au niveau mondial. Combien de fois nous a-t-elle fait rêver tous les deux ? Plus Aevin que moi peut être, car j'avais déjà un certain niveau financier...

Chaque année, il n'y a qu'un gagnant. On n'achète pas de ticket. On le mérite. Des micros-puces électroniques disséminées sur toute la planètes enregistrent automatiquement une participation par personne. Ainsi, un enfant de quelques jours peut gagner. C'est déjà arrivé une fois. Tout est fait et calculé par des ordinateurs.

Cette loterie est toujours un immense événement, car le gagnant reçoit non seulement une fortune considérable, mais aussi un ticket d'argent.

Ce ticket d'argent, c'est quelque chose d'unique qu'on ne peut gagner qu'à ce moment. Il permet d'obtenir n'importe quelle faveur de n'importe quel gouvernement. Mais il ne sert qu'une fois et ne peut être profitable qu'à vous. Je devine la pensée d'Aevin. Ais-je aujourd'hui une quelconque chance de gagner ?

Sans doute... Comme les milliards d'autres habitants... Autant dire que le pourcentage me permettant un espoir est plutôt faible... J'interroge Aevin.

-Que ferais-tu si tu gagnais ?

Il n'hésite pas un instant dans sa réponse.

-L'argent me servirait à financer des recherches pour retrouver ma sœur dans l'espace. Le ticket à obtenir sa grâce...

Bien sûr, comment n'ais-je pas pu y penser plus tôt ? J'ai tout à coup tellement envie qu'il gagne ou que ce soit moi le vainqueur... Dans les deux cas, nous pourrions sauver Marguerite. Bien sûr... Je pourrai également m'en servir pour moi. Et j'avoue que cette idée est plus que séduisante.

Mais j'ai une dette à payer, et je ne l'oublie pas. Un instant, nous restons une fois de plus silencieux. Je regrette qu'Aevin m'ait mis dans le cœur ce fol espoir. Je décide de changer de sujet.

-Et côté politique, comment ça va à Astra ?

Aevin hausse les épaules avec une moue désabusée.

-Toujours le même bazar. Les jeunes refusent le service militaire, et pour trouver un motif à leurs envies d'indépendance, ils cherchent à renverser le gouvernement actuel. Ils sont de plus en plus nombreux à se révolter et à rejoindre les maquis. Personnellement, je les trouve stupides et inintéressants. Ils veulent détruire un système politique qui a fait ses preuves, tout en ne proposant rien pour le remplacer...

Je fronce les sourcils. Les soucis du royaume m'ont toujours touchés très personnellement... Bon, d'accord, ça peut paraître comme une évidence quand on sait que je suis le prince d'Astra mais... Bref. Cette histoire de maquis existait déjà il y a quelques années, mais elle n'avait pas encore prit de telles proportions...

-Que font mon père et ma mère pour remédier à ça ?

Aevin hésite un dixième de secondes avant de me répondre. Puis il choisit la voie de l'honnêteté et de la franchise.

-Tes parents ont été très détruits par le choc de ton emprisonnement puis de ta fuite... Ils ne sont plus que l'ombre d'eux-mêmes. En fait, dans les milieux révolutionnaires, les agitateurs murmurent que c'est Edilyn qui tient aujourd'hui dans ses mains les rênes du pouvoir...

Edilyn... Encore et toujours elle. Je sens ma mâchoire se contracter sous l'effet de la colère. Encore une fois, je tente d'aborder un sujet moins sensible. Mais derrière la porte de ma cellule, le garde hurle :

-Plus que deux minutes de visite !...

Vite, profiter du temps qu'il nous reste... La présence d'Aevin apaise tellement ma solitude !

-Tu en as croisé, récemment, des jeunes rejoignant les maquis ?

Aevin hoche la tête. La porte s'ouvre et le garde lui ordonne sévèrement de sortir. Il obéit et me lance une fois la porte fermée :

-Oui ! Une jolie blonde au prénom bizarre... C'est la dernière en date ! Elle s'appelle Azylis...

Non ! Je voudrai qu'Aevin revienne. Mais il a disparu au bout du couloir, et même en jetant un coup d'œil à travers les barreaux, je ne peux plus le voir. Tout s'est passé si vite ! Comment est-ce possible ?

Azylis...