Gabriel (Chapitre 183)

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Thaïs, sa panthère et Yves sortent de la pièce, suivis de la plupart des regards. Je ne vois pas comment me tirer de ce guêpier. Maly regarde avec défi ma soeur mais ce n'est certainement pas cela qui va nous aider.

J'ai enfin compris ma fatale erreur. Je suis venu arrêter cette guerre inutile... Mais Edilyn n'a jamais eu l'intention de la faire durer. Elle aime cette ville et ce pays à peu près autant que moi-même. Même si elle préfère les murs et les constructions aux habitants...

Dès qu'elle jugera l'effet suffisant, elle fera cesser les combats. Et je n'aurai été qu'un pion inutile sur son échiquier. Une tentative de contrôler le commandant, de le mettre à l'épreuve. Peut être d'autres choses encore que je ne soupçonne même pas.

Edilyn se tourne vers le commandant.

-Commandant ! Faites venir quatre de vos hommes. Les plus fiables.

L'ordre retentit dans la salle et le commandant s'exécute rapidement. Je jette un coup d'œil aux personnes désignées. Deux garçons de vingt-cinq ans maximum, aux cheveux caramels et visiblement frères jumeaux, une fille, petite et menue mais à l'air trop sérieux et mature sur le visage, ainsi que... Aevin.

Mon cœur rate un battement et nous échangeons étrangement un superbe sourire. Ça fait du bien de se revoir de nouveau... Je sens pourtant dans toute son attitude une sourde inquiétude et ces yeux devient régulièrement vers la porte ou vient de disparaître Thaïs.

En revanche, je suis étonné de l'effet que sa venue provoque sur Edilyn. Ses yeux l'on vu et elle a précipitamment détourné la tête avant de respirer fort et de se reprendre pour le fixer parfaitement calmement. Une attitude que je ne m'explique pas et qui m'intrigue...

Mais ce n'est pas vraiment le moment de s'en préoccuper. Edilyn semble lutter contre elle-même pour ne pas éviter ou tenter au contraire de croiser le regard d'Aevin mais elle n'hésite en revanche pas à se tourner carrément vers moi.

-Bien, vous deux, occupez vous du robot. Amenez la à l'atelier de démolissage.

L'un des garçons aux cheveux caramel et Aevin s'avancent vers Maly. Si celle-ci pousse un cri de stupeur et d'indignation, personne ne l'entend excepté moi. J'ai appris à me soucier du jugement d'un robot, notamment en bonne partie grâce à Azylis. Mais pour tout la plupart des gens dans cette salle, ce n'est qu'une machine maintenant destinée à la casse. Rien de plus.

-Edilyn... S'il te plait, ne fais pas...

Les mots m'ont échappés tandis que les deux jeunes gens ont empoignés Maly. Aevin m'adresse un regard désolé mais son attention semble toujours ailleurs. Edilyn se tourne vers moi avec un visage neutre apparent.

-Ne fais pas quoi ?

Mais Maly qui se débat fermement à la manière d'un petit chat sauvage lancé quelques paroles :

-Ne la supplie pas Gabriel ! Elle a une pierre à la place du cœur !

Un éclair brille dans les yeux de ma soeur mais je crois aussi voir poindre une curieuse lueur dans ses yeux, indéfinissable, étonnante. Elle se retourne vers moi et annonce d'une voix forte, atone.

-Tuez le prince.

-Edilyn, tu n'as pas le droit ! Et le jugement ?...

Les gardes hésitent. Elle sort alors calmement son écran d'une poche intérieure et appuie sur quelques touches avant de reprendre la parole.

-C'est maintenant officiel. Le conseil vient de voter ton élimination Gabriel.

Amusant. Maintenant qu'elle s'apprête à m'éliminer, au sens propre du terme, elle recommence à me tutoyer et à m'appeler par mon prénom.

L'autre nouvelle beaucoup moins drôle c'est que les gardes qui ont leur écran sur eux ne tardent pas à faire circuler la nouvelle : ce que vient de dire ma soeur est parfaitement exact.

Je suis pourtant totalement et déraisonnablement pas inquiet. J'aurai dû mourir au moins une centaine de fois cette année et un miracle est toujours intervenu à temps pour me sauver la mise. Alors pourquoi cette fois-ci serait elle différente des autres ?

Le commandant écarte d'une main les deux jeunes gens et il s'avance vers moi jusqu'à n'être plus qu'à deux mètres. Il échange alors quelques mots à voix haute avec ma soeur.

-Puis-je m'en charger moi-même ?

-Allez-y.

Personne ne bouge dans la salle. Edilyn détourne les yeux et je sens un frisson glacé me parcourir l'échine. Il n'y aura pas éternellement un miracle... Et si cette fois-ci était la bonne ?

Le pistolet sophistiqué du commandant monte de quelques centimètres, chargé, et se braque sur ma poitrine. Le doigt s'approche avec une lenteur exaspérante de la gâchette... Juste au bon moment, je roule sur moi-même et j'entends la détonation retentir en l'air. La balle va se ficher dans le mur sans que personne ne lève le petit doigt pour m'aider.

Je suis certain qu'Azylis va affreusement m'en vouloir, à l'enterrement... Elle sera peut être absente du coup... Je roule une nouvelle fois sur moi même et évite la deuxième balle.

Mais lorsque je veux me relever, je sens le canon glacé du pistolet posé sur ma tempe. Le commandant est à quelques centimètres de moi... C'est le moment de faire une prière.

-ASSEZ ! LE PREMIER QUI TOUCHE À UN CHEVEUX DE SA TÊTE SUBIRA LE MÊME SORT !

Ah bon ? Si on m'arrache un cheveux, on fera de même à mon tortionnaire ? Je me relève, retenant le rire hystérique qui menace de me submerger. Le commandant a reculé de deux pas, le pistolet abaissé. Quand je dis que les miracles existent toujours...

Quatre personnes se tiennent maintenant dans l'encadrement de la porte, en haut des gradins. Thaïs de retour et sa belle panthère... J'espère qu'il n'est rien arrivé de trop grave à Yves... Maly, elle aussi de retour, et... La reine et le roi.

C'est ma mère qui vient de hurler les paroles qui m'ont sauvées la vie. Nos regards se rencontrent et elle esquisse un très bref sourire avant de redevenir tout à coup furieuse et autoritaire.

Elle descend lentement les marches et ses paroles nous pénètrent tous dans la salle, chacun étant touché à sa manière par sa noblesse et son intelligence.

-Pourquoi vous entre-tuez ? Vous souhaitiez Edilyn au pouvoir ! C'est ce que vous revendiquiez... C'est fait. Le Conseil vient de publier à la seconde un décret. La princesse Edilyn est aujourd'hui votre reine.

Tous s'inclinent. Même mes parents ploient la tête : c'est la tradition. Je suis le seul à rester parfaitement droit et immobile, debout au centre de la pièce.

Les yeux de braise d'Edilyn rencontrent les miens et je murmure, juste assez fort pour être certain qu'elle entende :

-Je suis à partir d'aujourd'hui le premier révolté du pays.

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant