•Edilyn• (Chapitre 80)

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Gaëtan me regarde.

-Te ramener Thaïs... Pour faire quoi ?

-Tu as peur pour elle ?

-Je sais ce que tu es capable de faire...

Je hausse franchement les épaules pour tenter de cacher mon anxiété.

-Crois moi, personnellement je la laisserai bien ou elle est... C'est Eric qui réclame sa présence.

Je fuis maintenant le regard de Gaëtan. Je ne devine que trop bien ce qu'il pense. J'ai encore au fond de moi un véritable fond d'humanité à exploiter...

Je songe amèrement qu'il ne tient qu'à un fil. La vie d'Eric. C'est la dernière personne dont je me sente réellement proche.

J'ai parfois envie de changer, de devenir meilleure. Mais je ne peux pas, c'est tout simplement trop contraire à ma nature. Ce serait comme m'engager sur un terrain glissant dont je ne connais pas les contours.

Ça fait peur, c'est prendre un risque. Je préfère garder ma froideur. Gaëtan recule jusqu'à la porte.

-A tes ordres. La prochaine fois que je serais devant toi, il y aura Thaïs à mes côtés...

J'acquiesce et la porte claque. Si la journée continue au même rythme émotionnel, je vais rapidement finir complètement vidée.

Alors que je m'apprête à me rassoir dans le premier siège venu, j'entends un nouveau "toc,toc" à la porte.

Je lève les yeux au ciel et crispe mes dents. Qui veut encore venir me voir ? Je jette un coup d'œil à la glace la plus proche et constate que j'ai un visage à peu près normal.

-Entrez...

Allons bon... Mes chers parents. Qu'est-ce qu'ils me veulent encore ? J'esquisse un sourire sarcastique. Vu le nombre de choses répréhensibles que j'ai faite ces derniers temps, je me demande vraiment sur quoi ils vont m'accuser...

Je me lève et ne salue pas. Je propose un siège à mes parents mais ne fait pas le moindre effort pour leur donner l'impression d'être accueillis. Je n'avais strictement aucune envie de les voir aujourd'hui avec déjà tous les problèmes que j'affronte.

Je laisse pourtant échapper un léger tic inquiet en tapotant du bout des doigts l'accoudoir du fauteuil ou je me suis installée.

Nous sommes tous les trois assis mais j'ai l'impression que l'atmosphère entre nous est... Différente de d'habitude.

Mon père ne me regarde pas. Il semble dans une colère noire. J'ai l'impression qu'ils cherchent la bagarre. Très bien, vu mon humeur, ils vont trouver à qui parler.

-Qu'est-ce qui vous amène ?

Ma mère me regarde. Ses yeux sont si froids qu'elle arrive à me faire peur. J'attends la suite. Maintenant, mon pied s'agite en cadence avec mes doigts.

-Nous venons partager avec toi une importante décision.

Je sens la curiosité me saisir. Un brin de condescendance aussi. Pensent-ils vraiment que leurs décisions sont encore si importantes ?

Mon père prend la relève.

-Tu cherches à condamner ton frère.

-Je suis pour la justice.

-Il y a des choses qui devraient être pour toi plus importantes que le pouvoir, Edilyn.

-Ah oui, vraiment ? Ce n'est pourtant pas ce que vous m'avez appris... Le pays avant tout. N'est-ce-pas respecter cette idée que de vouloir la meilleure justice pour un assassin ?

Ma mère intervient aussitôt.

-Nous ne sommes pas ici pour écouter tes discours creux et sans fins, Edilyn. Nous venons juste te dire que nous allons lancer des réformes...

Tient donc... Une nouvelle taxe sur le commerce des fromages par exemple ? Je retiens un sourire plus que sarcastique. Mais je ne cherche pas à changer ma voix moqueuse.

-Mais allez-y, expliquez vous, ça m'intéresse énormément...

-Tu te souviens des maquisards ?

Si j'avais été en train de boire ou de manger quelque chose, je me serais étouffée. Cette réforme est peut être plus importante que ce que j'imagine...

-Difficile d'oublier cet important problème que vous êtes incapables de gérer.

Mon père me fixe des yeux. Il ne reprend même pas ma phrase. J'ai l'impression désagréable qu'il est certain de prendre ensuite sa revanche.

-Bien. Je n'aurai aucun regret vis-à-vis de toi Edilyn après cette charmante conversation...

J'ai tout à coup plus peur que ce que je voudrais bien admettre.

-Regretter quoi ?

-Ta mère et moi, nous comptons mettre fin à cette histoire de maquis. De manière complètement définitive... Nous allons mettre fin à la monarchie et mettre en place une république.

Étrangement, avant la colère, c'est une certaine admiration froide qui m'envahit. Bien joué papa... Mais il n'en est pas question.

-Qu'est ce qui vous dit que c'est ça que veulent les maquisards ? Ils sont juste révoltés contre le pouvoir en place, donc contre vous ! Vous allez renoncer ainsi au travail de tous vos ancêtres, juste parce que vous n'arrivez pas à gérer une révolte ?

Je fais une légère pause. Je remarque au passage que les mains de ma mère tremblent.

-Vous faites ça contre moi. Vous allez détruire votre monde pour me combattre. N'avez-vous vraiment pas d'autres armes ?

Ma mère redresse alors la tête. Je vois les larmes qu'elle retient.

-Il n'y en a pas d'autre contre toi Edilyn. J'ai tout fait pour toi. Je t'ai aimé autant qu'une mère pouvait le faire. Mais je dois aujourd'hui pour la première fois me résigner. J'aurai aimé que tu ne sois pas ma fille.

J'accuse le choc en silence. En crispant mon visage pour ne laisser échapper aucune émotions. Quelque chose se brise en moi sans que je parvienne à définir exactement ce que c'est.

-Très bien. Vous n'avez de toute façon pas le pouvoir de faire ça. Essayez donc de faire passer ne fus-ce qu'un vague projet. Le parlement est dans ma poche. Et vous le savez.

Ma mère se lève.

-Je ne te pardonnerai jamais ces quelques mots. Ils révèlent toute ta nature.

Je cache mes sentiments. Je ne lis que du mépris sur son visage. Elle a encore réussi à m'atteindre...et j'en suis furieuse.

Mon père se lève à son tour. Je reste assise, levant les yeux vers eux avec une lueur de colère et de suffisance. Il prend la parole.

-Grâce à toutes tes manigances, nous n'avons effectivement aucune chance devant le parlement. Mais il reste le peuple. Et lui sait encore qui est son dirigeant. Et ce n'est pas toi.

Je plisse les yeux tandis que mes parents quittent la pièce.

Vous avez décidé de combattre ? Très bien, mais il faudra aller jusqu'au bout.

Et c'est un combat à mort.

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant