Ysa (Chapitre 1)

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12 ans plus tard par rapport à la fin du tome 2. Année 2737.

-Ne bouge pas le chat...

L'animal lève deux yeux bleus vers les miens et j'esquisse un léger sourire. Un coup d'œil à la glace me rassure : ma tenue est impeccable. Bottes sombres, hautes, pantalon blanc serré et tunique bleue avec une large ceinture rouge. Pour l'occasion il faut bien malheureusement que je renonce à mon bandana...

D'un geste rapide j'attache un anneau d'or à mon oreille gauche puis le second à la droite. Sans ce petit détail, je suis certaine que personne ne me reconnaîtrai...

-Ysa ! Qu'est ce que tu fabriques encore misérable enfant ?

J'esquisse un léger sourire en direction du chat et tourne les talons sans répondre à la voix surgie du salon. Je gagne la pièce et m'arrête quelques secondes à l'entrée. Astrala me fixe depuis un large fauteuil avec mauvaise humeur.

-Maudite gamine...

-J'ai dix-huit ans aux dernières nouvelles.

-Et tu espères que je changerai maintenant mes habitudes ? Tu es en retard...

Je hausse les épaules.

-Je n'aime pas suivre les plans de Jean. Je n'ai aucune envie de cambrioler cette fichue broche...

Astrala se lève brusquement et s'approche de moi. Je ne bouge pas d'un centimètre mais esquisse un sombre sourire.

-Enfant, tu ne devrais pas ignorer les ordres...

-Crois-tu que j'ai peur d'une misérable bande de voleurs ?

-Ysa...

La menace voilée dans ce simple mot est si nette que je devine qu'elle s'attend à me voir changer d'attitude. Mais je me contente de dire d'une voix faussement douce et raisonnée :

-Allons Astrala. Je vous quitte, j'en ai assez de vos secrets. Si tu veux que je reste, dis moi pourquoi je ne peux garder mes cheveux à leur couleur d'origine...

J'espère un peu malgré moi. Mais la vieille sorcière resserre sa main parcheminée autour de mon bras et se contente de répéter :

-Ysa...

Je dégage mon bras, déçue malgré moi mais sans le montrer et pousse un léger sifflement. Quelques minutes plus tard, répondant à mon appel, mon chat se frotte contre mes jambes avec des ronrons de bonheur.

Astrala tente de nouveau de me raisonner :

-Je t'ai appris tout ce que je savais...

-Pour que je prenne ta suite, je me souviens. Il est toujours temps de changer de programme... Je m'installe à mon compte.

-Le chat...

Je plonge les doigts au fond du sac que je porte en bandoulière à l'épaule et en ressort quelques pièces de monnaie électronique.

-Je suppose que tu es remboursée avec ça ?

Chez nous, personne ne refuse jamais de l'argent. Astrala ne me surprend donc nullement en tendant sa main ridée et en rangeant dans un pli de ses vêtements les piécettes.

Je me baisse alors sans un mot supplémentaire vers mon chat, le prend dans mes bras et le pose sur mes épaules. Il a l'habitude et il s'installe dans ma capuche avec un léger ronron de bonheur.

Alors, sans attendre une autre parole totalement superflue, je tourne les talons et me dirige vers la porte. J'entends dans mon dos la voix soudain paniquée d'Astrala :

-Ysa ! Non, tu ne peux pas partir !...

Je me retourne brièvement, la main sur la poignée, et jette un coup d'œil à la femme qui m'a élevée. Je l'aime sincèrement. Mais elle m'a elle-même appris à préférer l'indépendance et ma liberté à tout autre chose.

-J'en ai assez d'obéir à des ordres. A bientôt.

Et je sors. Mais je ne suis pas aussi rassurée que j'en donne l'air et au lieu de précipitamment m'éloigner vers les salles de téléportation, je me dirige en courant vers ma gauche et m'immobilise dans un petit couloir. Comme je m'y attendais, les doubles portes s'ouvrent brusquement de la pièce que je viens de quitter et Astrala semble en jaillir. Son visage est pâle et défait et je l'entends murmurer :

-Il va me tuer s'il apprend ça...

J'en doute, mais en revanche elle passera le plus sale quart d'heure de sa vie. À moins que ça ne dure un an. Je caresse doucement mon chat en espérant qu'il ne miaule pas et attend quelques secondes. Astrala ne tarde pas à hurler :

-Fanzars !

Le cri de ralliements de toutes les canailles qui servent notre chef. Des hommes et femmes jaillissent aussitôt de différentes pièces et accourent vers elle mais personne ne me remarque dans l'ombre du petit couloir désert. Tant mieux, ça fait partie de mon plan pour sortir d'ici.

Une dizaine de personnes est bientôt rassemblée devant Astrala. Mais je n'ai pas besoin d'entendre leur conversation.

Je m'enfonce prudemment dans le couloir et ouvre tout doucement la porte du fond : elle me permet de rentrer dans l'appartement que je viens de quitter. Tandis qu'Astrala me cherchera aux portes de transfert... Je l'entends crier aux hommes :

-Trouvez la à n'importe quel prix ! Même si vous devez la blesser pour l'avoir !...

Je fronce les sourcils mais décide de me concentrer sur ce que j'ai à faire. Je désire connaître le secret de mes origines depuis toujours... Mais ma mémoire semble refuser de fonctionner. Parfois, il me semble juste me rappeler fugitivement d'un détail. Ainsi, les hommes à cicatrices évoquent toujours pour moi un sentiment inexplicable de sécurité et d'amour fraternel -ou paternel ?- je ne saurais le dire. Et j'ai depuis longtemps compris que j'étais importante pour Astrala et Jean, ce qui m'a toujours intriguée. Mais je secoue la tête pour me débarrasser de ces pensées parasites et me concentrer.

Je suis maintenant dans l'appartement et je gagne rapidement les portes fenêtres de la première pièce avant d'enfin sortir à l'air libre avec l'impression de sortir de prison.

Je suis presque libre de faire ce que je veux...

Mais les extérieurs de la tour sont surveillés et rien n'est encore gagné. Sauf qu'ils doivent tous s'attendre à ce que je tente de m'emparer d'un dragon -quelle horreur je n'ai jamais pu les supporter- ou un aéronef. Les deux sont à mon avis trop bien protégés.

Je me colle contre la paroi vitrée dehors et sors alors de mon sac deux petits tubes en argents. À peine les ai-je posés sur mes bras qu'ils s'attachent automatiquement, à la manière d'une ventouse.

J'inspire alors fortement, jette un léger coup d'œil derrière moi en étant certaine de ne rien regretter particulièrement à part l'excellente cuisine d'Astrala, puis appuie sur la pierre incrustée de chacun des bâtonnets simultanément.

Je m'élève aussitôt dans les airs et ne tarde pas à laisser échapper un rire. Ils permettent de voler... concentrant mes pensées, je ne tarde pas à m'élever brusquement dans le ciel puis à me diriger droit devant moi vers une autre tour que j'ai déjà repérée.

Si cette technique de vol est très peu courante, c'est parce qu'elle fait partie des plus dangereuse. Mais cela ne fait que me donner envie de tenter l'experience...

Sur chacun des bâtons brillent une petite batterie lumineuse. Je dois la regarder à chaque instant, car elle se vide généralement d'un coup ou presque. Mais pour le moment, je ne pense qu'à deux chose : voler correctement jusqu'à la tour en mobilisant mes pensées, grâce à mes deux propulseurs, ainsi que tenir mon chat contre moi. Je crois d'ailleurs qu'il ne me pardonnera jamais ce drôle de voyage.

Mais je suis libre pour la première fois de ma vie... Mes yeux brillent alors d'une façon particulière : je viens de réussir le premier des défis que je me suis lancé.

Reste à réussir les autres...

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant