Eric (Chapitre 46)

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Une, deux... Je perds rapidement le fil. Cela fait combien de temps que je grimpe ainsi les marches de verre ? Le soleil se reflète sur la tour devant moi et m'éblouit, rendant plus pénible encore le périple.

Cigarette s'est envolé et a disparu de ma vue depuis plus de deux heures mais je ne vois pas ce que je peux y faire. Je n'en peux plus et mon souffle se fait de plus en plus rare dans ma poitrine. Parlant pour moi-même, je murmure d'une voix rauque :

-Ouf, une pause...

Je m'assois sur la marche juste au dessus de moi et enlève mon sac à dos. Je laisse ensuite mes yeux se poser sur les marches que je viens de gravir et reste quelques minutes parfaitement immobile.

Je ne vois même plus le sol... Je ne m'étais pas trompé, les dimensions de l'escalier sont titanesques. Quel intérêt de faire une construction aussi étrange ?

-Tous fous ces gens-là...

Mais ma voix semble résonner étrangement dans le silence ambiant et je reste un instant silencieux, mal à l'aise. Je prends alors mon sac à dos et le pose sur mes genoux. Je l'ouvre rapidement et en explore le contenu avec plus d'application que précédemment.

Je n'ai plus rien à manger si ce n'est quelques fruits étranges que j'ai cueilli au passage. Mais je ne suis absolument pas certain qu'ils soient comestibles...

Ma main entre en contact avec un petit sachet et je le retire alors pensivement du sac. Il contient des fleurs qui devraient être séchées... ramassées en chemin elles aussi. Mais elles ne sont ni fripées ni même abîmées. Elles ont en fait gardé toute leur beauté et leur fraîcheur...

Sauf que ces plantes là je sais ce que c'est si je ne me suis pas trompé. Des fleurs d'éternelle jeunesse...

J'hésite un instant puis secoue la tête et remets le sachet dans mon sac. Ma main agrippe alors une petite bouteille et un sourire m'échappe lorsque je la ramène à moi. De l'eau. On dirait qu'il m'en reste un peu en réserve...

Je la porte à ma bouche et avale avec précipitation quelques goulées du liquide. Mais je me force ensuite bien malgré moi à éloigner la bouteille et à la remettre dans mon sac.

Je continue ma fouille minutieuse et sens alors sous mes doigts une petite boîte rectangulaire. Je ne m'en souviens pas et cela m'intrigue. Je la sors à son tour et l'ouvre doucement. Je manque alors défaillir de joie. J'avais totalement oublié ça... des cachets nutritifs.

Je déteste cette nourriture à consommer en moins de deux minutes et sans véritable goût -enfin si, mais c'est infect-. Mais elle calme parfaitement la faim...

Les mains moites de sueur, je défaits prestement de leur emballage deux cachets et les enfourne dans ma bouche sans attendre.

Beurk... Myrtille et poulet rôtis en même temps. Les deux en saveur chimique bien entendu...

L'idée que je puisse encore faire le difficile dans ma situation m'arrache un sourire et je range plus calmement la précieuse boite dans mon sac.

-Bon, plus le temps de dormir, on y retourne...

Et lentement, je me remets en route. Tout recommence. Les marches glissantes qui se ressemblent toutes, le soleil brûlant sur ma peau, la fatigue...

Je cesse de faire attention à ce que je fais. Mais cela ne m'empêche pas de maudire les constructeurs un demi-million de fois. J'essaye en même temps de faire taire le doute grandissant en moi : Thaïs, Aevin et les enfants sont-ils vraiment là-haut ? Comment auraient-ils pu monter l'escalier ?

L'après-midi défile sans que je m'en aperçoive, rythmée par ma montée lente des marches et les pauses.

La nuit ne tarde pas à tomber. Si je ne me trompe pas, j'ai bien dû monter les trois quarts de l'escalier... Peut être plus.

Je m'accroche à cette idée et m'assois de nouveau sur une marche. Il me semble que je suis littéralement vidé de mes forces. Je n'ai plus une goutte d'eau et ma gorge me semble desséchée et en feu.

Mais je sais que je n'ai aucune chance d'arriver là-haut dans mon état. Je me résigne alors à l'impossible : dormir sur l'une des marches glissante de l'escalier.

Alors que je m'installe tant bien que mal, je ne peux m'empêcher de penser qu'un simple vent trop fort pourrait me faire basculer en arrière. Je tomberai alors dans l'escalier... si par miracle je m'en sortais vivant, aurai-je le courage de tout recommencer ?

Si j'avais une corde, je tenterai de m'accrocher quelque part. Mais je n'en ai pas. Alors, me tenant le plus droit possible pour prendre le moins de place envisageable, je me laisse lentement sombrer dans un sommeil peuplé de cauchemars.

***

L'aube. Je rouvre lentement les yeux et étouffe un bâillement. Le soleil colore d'orange les marches et fait de nouveau briller la superbe façade parfaitement lisse de la tour.

Je me sens ragaillardi même si mon corps me fait toujours cruellement souffrir notamment au niveau des courbatures. Je n'ai pas l'habitude d'un tel niveau physique... Je songe alors avec un léger sourire à Kim qui adore tellement le sport. En plus d'être une gymnaste de talent, je ne connais personne capable de la battre à la course à pied. À l'exercice des derniers jours, elle s'en serait bien mieux sortie que moi...

Je rassemble mes affaires, c'est à dire que je remets mon sac sur mon épaule après avoir avalé un cachet nutritif, et me relève pour faire face au haut de l'escalier.

-Ahhh !...

Un cri de surprise m'échappe lorsque Cigarette plonge vers moi, me passant à deux doigts du visage.

Je manque basculer en arrière et l'un de mes pieds glisse de la marche. Je ne me rattrape que de justesse en poussant un nouveau cri furieux :

-Espèce d'assassin ! Cigarette, reviens ici tout de suite !

La première frayeur passée, je dois bien m'avouer que je suis franchement content de le retrouver. Avoir de la compagnie, même si c'est juste parce que vous avez dans votre sac de la nourriture, enfin plus vraiment maintenant de toute façon, c'est toujours agréable.

Mais le dragon virevolte encore quelques minutes autour de moi puis s'élève de nouveau. Il ne tarde pas à de nouveau disparaître de ma vue et un terrible sentiment d'abandon m'envahit tandis que je lutte contre moi-même pour me ressaisir.

Je remarque alors devant moi quelque chose de stupéfiant. Un petit papier...

La main fébrile, je l'attrape vivement avant que le vent de me l'enlève. Il porte encore la trace des griffes de Cigarette qui a dû me l'apporter...

Il n'y a que quelques mots. Mais ils me réchauffent le cœur en même temps qu'ils m'apportent de nouvelles interrogations.

On t'attend.
Thaïs, ta sœur qui t'aime.

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant