Edilyn (Chapitre 68)

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Je contemple la chambre de mes filles. Jamais elles n'ont voulues avoir chacune la leur. Attachée l'une à l'autre comme les deux doigts de la main...

Je m'approche lentement du premier lit et mes doigts courent sur la couette tandis qu'un sourire triste m'envahit.

Deux valises. Les voir rend la réalité plus tangible. Il ne reste que deux jours de trêve... Je revois Saldya me demandant : "Maman, je peux emmener avec moi la petite danseuse ?"

Et la pâleur qui m'avait envahie. Ainsi qu'une envie dérisoire de répondre non et de garder pour moi ce souvenir de mon frère... Mais j'ai accepté en lui demandant pourquoi elle la voulait.

Et sa réponse "je ne sais pas... je l'ai toujours aimée. Elle est belle..."

La porte de la chambre s'ouvre alors en coup de vent et je sors de mes pensées pour ouvrir grand les bras à mes deux filles qui se précipitent vers moi.

Je les serre contre moi avec force et pour une fois Eslimea ne se fait pas prier et murmure même :

-Oh Maman, j'aimerai tant que nous restions ensemble...

Je l'embrasse sur la joue et caresse d'un mouvement mécanique celle de Saldya tandis qu'elles s'écartent déjà de moi.

Nous nous regardons alors toutes les trois et je murmure :

-Qu'est-ce que vous allez me manquer mes chéries !...

Saldya ne répond rien mais je la devine prête à exploser en larme. Elle finit pourtant par réussir à prendre la parole et demande :

-Maman, irez-vous avec nous à la gare ?

Je secoue la tête tandis que je lutte de toute mes forces contre la tristesse qui m'envahit toujours plus.

-Non chérie... On en a déjà parlé. Personne ne doit savoir que vous partez...

Eslimea hoche la tête mais ses lèvres tremblent. Elle finit par oser me regarder en face pour dire quelque chose qui lui tient visiblement à cœur :

-Maman... Je ne veux plus hériter de ce pays.

Je la regarde quelques secondes, enregistrant ce que je viens d'entendre. Je sais que je n'oublierai jamais ses yeux graves à cet instant précis. Elle pense chacun des mots qu'elle vient de prononcer... Elle demande alors avec inquiétude devant mon manque de réaction :

-Maman ? Je suis toujours votre... votre petite fille n'est-ce pas ?

Saldya me dévisage elle aussi et les larmes me viennent alors naturellement aux yeux sans que je puisse réagir. Je m'avance de nouveau vers elles et les resserrent très fort l'une et l'autre contre moi.

-Oh, mes chéries... Bien sûr que je vous aime. Vous êtes formidables... Eslimea, si tu ne veux pas de ce pays... Très bien, on s'en ira toutes les trois très loin d'ici...

Je m'éloigne un peu et m'assois sur le lit derrière moi. Saldya demande gravement :

-Quand serez vous avec nous Maman ?

-Bientôt chérie... Très bientôt...

Je n'en pense pas un mot. Je prends brutalement conscience que si je ne gagne pas la guerre, jamais je ne les reverrai. Mais j'ai pris la bonne décision même si c'est très dur... Là où je les envoie elles seront en sécurité...

Eslimea glisse un regard à sa sœur avant de se tourner de nouveau vers moi. Ses yeux me paraissent encore plus brillants que les miens et j'essuie du bout des doigts une larme qui coule sur sa joue avant qu'elle ne dise :

-Pourquoi ne prend t-on pas le même train ?

Je détourne les yeux. Ce n'est jamais facile de leur dire à quel point tout le monde les déteste... Je cherche mes mots puis finis par avouer tout de go :

-Deux jumelles comme vous... Tout le monde vous reconnaîtrait immédiatement. Tandis que seules, vous passez beaucoup plus inaperçues mes adorables chéries...

Quelqu'un toque alors à la porte de la chambre et je devine avec un nouveau serrement de cœur que le moment des adieux définitifs est venu. Je me relève, les embrasse l'une et l'autre, puis prend la parole d'une voix que j'espère calme sans en être sûre :

-Entrez !...

Esteban ouvre aussitôt la porte. Ses yeux se posent sur nous et je lis la même tristesse que la mienne dans son regard. Il murmure cependant en se redressant :

-C'est le moment altesse... on ne peut plus attendre.

J'acquiesce lentement. Deux gardes noirs entrent dans la pièce et s'emparent des valises de mes deux princesses. Elles sortent derrière eux de l'appartement et m'adressent en partant un dernier regard que je leur rends. Esteban est le dernier à quitter la pièce. Quelques secondes plus tard, je me retrouve absolument seule.

Alors, abandonnant toute ma retenue, je me laisse aller et m'écroule sur le lit, sanglotant comme une enfant. Les larmes coulent sans s'arrêter sur mes joues tandis que je suis secouée de spasmes incontrôlable.

J'ai l'impression de perdre petit à petit tout ce que j'aime... les minutes passent et je me calme petit à petit. Ou sont-elles déjà en ce moment ? Dans un aéronef en direction des deux gares ?

Chacune à l'un des bouts de la ville... Je me redresse lentement, le regard vide, et reste ainsi prostrée pendant un temps qui me paraît infini. Je ne veux pas rejoindre mon appartement vide. Mon bureau.

Tous ces soucis que je ne supportai que parce qu'elles étaient là avec leur sourire...

Je ne veux plus hériter de ce pays... Les paroles d'Eslimea. Et Saldya n'a pas relevé. Là, tout de suite, sur le moment, la seule chose que j'aimerai faire c'est les rejoindre, oublier tout ce qui me retient ici. Mais peut-on effacer aussi facilement toute une vie ?

Je contemple ce qui m'entoure en tâchant d'oublier la tristesse qui me sert la gorge. Je me relève lentement, avance de quelques pas dans la grande pièce. Une musique entêtante semble galoper dans mon cœur tandis que j'avance à pas lents vers la porte. La main presque sur la poignée, je me retourne vers la pièce déserte et pendant encore quelques minutes laisse l'atmosphère triste de la chambre m'envahir.

Alors, sachant que je viens de passer je ne sais combien de temps ainsi, j'ouvre lentement la porte. Je sors en tâchant de retenir mes larmes et m'immobilise derrière le battant que je viens de refermer.

Je me retourne lentement vers celui-ci, sentant soudain un nouveau sentiment s'emparer de moi. La peur.

Un papier blanc est fixé sur le battant à l'aide d'un fin poignard. Seuls quelques mots y sont tracés.

Tu espérais vraiment nous cacher ça ?

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant