Ysa (Chapitre 23)

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-Morte ? Astrala est...

Je n'arrive pas à finir ma phrase et m'immobilise, sous le choc. Grognard, le bras droit du patron riposte avec son odieux sourire :

-Tu croyais qu'il allait réagir comment à ta disparition ? Il s'est un peu mis en colère c'est tout... Ne me dis pas que tu étais attachée à la vieille...

Je ne peux soudain plus supporter son ton odieux et je me retourne d'un bond, profitant de sa surprise pour le frapper au visage. Les deux autres ne réagissent pas assez vite et je détale déjà dans le couloir sans regarder droit devant moi. Je crois que des larmes me brouillent la vue mais je n'ai pas le temps de réfléchir tant tout s'accélère.

Avoir vécu toute ma vie dans le danger m'aide à ce moment précis et je plonge au sol juste à temps pour éviter un tir. De toute évidence, ils me veulent toujours vivante et ils visent mes jambes...

J'ai intérêt à courir vite. Je me remets debout et accélère vers la salle de téléportation au bout du couloir. Il y a deux gardes noirs mais j'espère qu'ils me laisseront passer.

J'arrive devant eux lorsqu'une balle m'atteint au bras. Je laisse échapper une grimace en maudissant le hasard qui vient précisément de réveiller une vieille cicatrice et crispe les dents. Les deux gardes changent de couleur en entendant les tirs et ils s'avancent aussitôt, m'ignorant royalement et courant au devant de mes agresseurs. Je n'attends pas et me précipite dans la salle laissée sans surveillance pour entrer. La voix de transfert résonne alors.

-À quel étage souhaitez-vous vous rendre ?

Je ferme un instant les yeux, la main gauche sur mon bras d'où coule à un rythme régulier quelques gouttes de sang. Je me mords violemment la lèvre avant de dire :

-L'étage des appartements royaux.

-Il faut un code d'entrée. Quatre lettres.

Réfléchir... Je m'adosse à l'une des parois de verre et essaie de me mettre dans la tête de la reine. Normalement, personne n'arrive jusqu'ici. Alors pourquoi chercher quelque chose de très sécurisé ?

-Saes ?

-Non.

Ce ne sont donc pas les initiales de ses filles... À moins que dans l'autre sens ? Je crispe de nouveau les muscles de mon visage avant d'articuler :

-Essa ?

-Code validé. Transfert en cours.

Je ne sens que l'habituel petit picotement avant de rouvrir les yeux. Je me dirige rapidement vers la porte et sors dans un couloir plus chaleureux que le précédent. Il est immense lui aussi mais une moquette couvre le sol et même s'il y a des gardes en faction devant les différents appartements, on devine que c'est privé, contrairement aux grands salons de réceptions qui reçoivent toujours du monde.

Astrala... Je retiens la vague d'émotion qui menace de me submerger. Si je l'aimais, je ne m'en étais jamais rendue compte. Elle était dure, sévère, et pas facile à vivre.

Mais elle m'a élevée. Et je réalise en cet instant terrible qu'elle va me manquer et que je garderai toujours dans mon cœur sa vieille figure ridée éclairée parfois d'un très rare sourire lorsqu'elle recevait un joli magot du patron.

Comment a-t-il pu la tuer ? Elle était sa mère ! Je ferme les yeux en m'immobilisant un instant dans le couloir et en m'appuyant au mur. Je ne dois pas attirer l'attention des quelques gardes... Mais une question me taraude. Astrala est-elle réellement morte à cause de moi ?

J'aimerai penser que non. Mais je ne suis ni stupide ni du genre à m'aveugler. Alors ? Regarder la vérité en face me fait atrocement souffrir mais je prends en même temps conscience de quelque chose d'inéluctable : tôt ou tard je serais partie. Même en connaissant les conséquences. Mais j'aurai essayé de la sauver...

-Mademoiselle ? Que faites-vous ici ?

Je lève la tête et me détache brusquement du mur. Je serre contre moi ma sacoche et me force à me reconcentrer sur la situation présente. Un garde noir s'approche lentement de moi. Il n'a l'air ni accusateur ni méfiant, il se contente de m'interroger. Je retrouve tout mon aplomb et lui oppose un visage parfaitement neutre avant de répondre :

-La reine m'envoie porter un message à ses filles. Pouvez-vous m'indiquer leur appartement ?

-Donnez-moi le message, je leur transmettrai.

-Non, c'est personnel.

Je le sens tout à coup sur la défensive. Il sort d'une de ses poches un petit appareil et le braque sur moi avant que j'ai pu réagir. Celui-ci émet alors un petit "bip" sonore et le garde se raidit aussitôt.

-Vous avez une arme sur vous.

Sa voix est si calme et neutre que l'on pourrait penser que cela lui est égal. Mais ses yeux brillent et sa main est posée sur ce qui doit être un pistolet à fusées.

-Votre machine doit se tromper monsieur...

Je commence à sentir la panique me gagner. Jamais la reine ne me pardonnera d'être venue ici. Quand à redescendre tout de suite, il n'en est pas question. Je ne sais pas comment s'est terminée la bataille en bas...

Mais le garde brandit déjà son arme devant moi. Je ne m'étais pas trompée, un pistolet à fusée...

-Sortez votre arme !

Cette fois-ci, il ne rigole plus. Mais quelle arme ? Un frisson me parcourt soudain. Et si Esteban avait raison ? Le pouvoir tueur du bijoux-serpent ne serait donc pas une légende ?

Sans quitter un instant des yeux le garde, je sors lentement de ma sacoche le bijoux. Je vais peut-être pouvoir retourner la situation à mon avantage... Mais c'est un gros risque.

À la vue du serpent, je vois le garde blêmir fortement. De toute évidence, il en a une peur bleue. Esteban a raison et il vaudrait mieux que je me renseigne un peu avant de commettre des vols... Mais je m'efforce de dire d'une voix assurée :

-Edilyn me l'a confié comme gage d'honnêteté. Mais j'avoue que je ne pensais pas devoir vous le montrer.

Je me fais légèrement accusatrice sur les derniers mots et je devine que j'ai touché une corde sensible du garde : il ne veut surtout pas prendre le risque de déplaire à la reine. Il hésite pendant de longue minutes et je sens mon rythme cardiaque s'accélérer.

Je veux comprendre les secrets de mon origine. Et savoir pourquoi Astrala est morte.

Le garde se décide enfin à dire :

-Très bien. Je vais vous conduire aux princesses. Mais laissez votre sacoche ici avec... avec le serpent.

J'acquiesce sans mot dire, n'osant pas montrer l'émotion qui s'empare de moi. Je range lentement le bijoux et ôte mon sac de mon épaule pour le déposer sur une petite table du couloir.

Sans un mot, le garde tourne alors les talons. Je me mets à le suivre, consciente du fait que je suis encore en train de braver un nouveau danger.

Mais je crois que cette fois-ci le prix en vaut la chandelle. Je vais peut-être enfin comprendre pourquoi Astrala m'a élevée pendant douze ans...

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant