Edilyn (Chapitre 99)

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-Rhaaaa !...

Ma main frappe durement la table devant moi et je reste immobile quelques secondes, fixant d'un regard sombre la fenêtre devant moi. Je ne veux pas me retourner vers mon visiteur, ni voir son insupportable visage. Mais il n'y a pas d'échappatoire possible, ou en tout cas pas dans l'immédiat. Je déplie les doigts de ma main et commence à tapoter doucement la table devant moi. Je me décide enfin à entrouvrir les lèvres au bout de longues minutes d'un lourd silence.

-Ezeor, vous n'avez aucun ordre à me donner.

-Nous sommes alliés à partir d'aujourd'hui. Et sans moi votre bataille serait déjà perdue...

Je pivote vers lui sur mon siège et croise ses yeux sombres. Il ne me regarde pas et murmure :

-Vous m'avez donné votre parole.

J'acquiesce, tentant de ravaler ma colère et mon désarroi.

-Oui. De vous épouser et que nos deux pays s'allient. Pas que votre fils devienne l'héritier d'Astra.

Ezeor se tourne alors vers moi à son tour et nos yeux se croisent, me donnant l'impression que la même décharge d'électricité nous traverse tous les deux. Aucun de nous n'a l'habitude de rencontrer la moindre résistance... C'est presque un miracle que nous soyons encore tous deux en vie dans la même pièce.

Ma main se pose mécaniquement sur ma ceinture et je laisse échapper une légère grimace. D'un commun accord, nous avons laissé nos gardes respectifs nous enlever nos armes. Et je ne suis plus certaine de savoir qui conserve l'avantage de cette bataille...

Je me lève alors de mon siège d'un geste nerveux, rompant notre échange de regards, et vais me positionner devant la fenêtre. Dans l'immense rue d'Ivy, le combat fait rage presque juste à mes pieds. Je ne peux voir d'ici les générateurs mais je suppose qu'ils doivent être des cibles de choix... La voix d'Ezeor retentit alors derrière moi, me faisant perdre le fil de mes pensées et la colère revient m'empoisonner le cœur.

-Si Astra et L'Eveland veulent s'allier de manière durable... Il leur faut un héritier. Et vous n'en avez aucun à proposer. Il me semble donc logique que ce soit mon fils, Idwin... Et puis, je vous rappelle que sa sœur est morte ici, assassinée par vous si je ne m'abuse...

Je n'y pensais plus. Peut-être parce que je veux tout oublier en ce moment... Ma main se crispe sur la vitre froide.

-Theresa Aragon. Elle avait laissé mon frère gagner une épreuve des Jeux Olympiques parce qu'elle trouvait cela juste. Une punition me paraissait... nécessaire.

Même à moi ma voix me paraît trop aigue et mes gestes saccadés. Le regard dans le vague, je me retourne pourtant pour faire face à mon nouvel allié et demande d'une voix à peine audible :

-Vous ne voulez pas la venger ? Pourquoi vous allier avec moi ?...

Un sourire froid étire ses lèvres. Il répond d'une voix grave et posée :

-Ni Idwin ni moi n'aimions cette gamine. Trop immature... Trop faible. Elle n'aimait pas nos discussions et critiquait la plupart du temps ma manière de gouverner. Elle parlait de justice, de qualités humaines, mais cela ne servait qu'à cacher le fait qu'elle n'était jamais capable de prendre une décision quand il le fallait. Mais le peuple l'adorait... Et elle était mon héritière directe. Vous m'avez rendu ce jour là un vrai service et je vous en suis merveilleusement reconnaissant.

Est-il ironique ? Non. Plutôt cynique. Je frissonne dans ma robe d'apparat et retient une réponse qui me brûle les lèvres. J'ai eu des enfants. Je les aimais tant... Je les aime toujours. Comment pouvait-il détester sa fille ?

Je lui cache mon regard en me retournant de nouveau vers la fenêtre et inspire doucement. Pas question qu'il s'aperçoive de mon trouble.

Je me force à reprendre la parole d'une voix égale, froide, mais il me semble que quelque chose s'est rouillé dans mes pensées et que je n'arrive plus à réagir comme quelques minutes auparavant. Je ne peux envisager que l'on n'aime pas ses enfants...

-Pourquoi tenez-vous tant au mariage ?

-Pas pour votre beauté légendaire Altesse. Mais pour que personne ne discute la légitimité de cette alliance... Qui sait ? Cela donnera peut-être naissance à la plus belle des histoires d'amour...

Je me mords violemment l'intérieur des joues et un goût de sang envahit mon palais. La colère se mêle à mon désarroi et mes peurs refluent lentement, laissant cette rage qui m'a toujours habitée reprendre le contrôle. Nous ne sommes pas encore mariés... Et quand la guerre sera terminée, nous verrons qui de nous deux sera vraiment le plus fort...

Quand à cette histoire d'héritier... Pour quelle raison est-ce que je m'en préoccupe exactement ?

Sans prévenir, la porte de la salle s'ouvre alors d'un coup et je me redresse vivement. Un garde noir, essoufflé, n'articule même pas les politesse d'usage devant deux souverains et crie :

-Majesté, l'un des deux générateurs vient de céder !

Ezeor perd alors aussitôt de sa superbe et son visage se décompose instantanément.

-Même avec mes cavaliers et leurs dragons ? Comment est-ce possible ?

Je reste personnellement impassible, fermant lentement les poings. C'est toujours dans l'adversité que je suis la plus forte paradoxalement... Je coupe d'une voix dure :

-C'est fait c'est tout, donc ça doit être possible...

Je me tourne ensuite vers mon garde noir et lance :

-Donne l'ordre de concentrer nos forces sur les générateurs. Abandonnez leur tout le reste de la ville s'il le faut... Mais reprenez celui que vous avez perdu !...

Le garde s'incline et balbutie :

-O... Oui Altesse...

Et il sort en courant de la pièce. Ezeor s'est levé et son regard se pose sur moi, fou de rage :

-Vous ne savez pas diriger une armée ! Comment se fait-il qu'ils soient sur le point de prendre le palais et donc la capitale du pays ? Mes hommes sont tenus en retrait dans le Sud et vous ici vous n'êtes même pas capable de...

Un seul de mes regards suffit à le calmer et je m'applique à garder le contrôle de moi-même malgré ma respiration qui s'accélère.

-Ils ne tiennent pas encore le palais.

Je jette un nouveau regard à Ezeor et termine :

-Ce serait peut-être le moment pour moi de renégocier les termes du contrat, vous ne trouvez pas ?...

-N'espérez même pas !

Mon sourire froid s'agrandit. J'ai l'impression de savoir de nouveau où je vais et je réponds d'une voix lente :

-Très bien. Disons que nous nous marierons pour fêter la victoire. Et que votre -merveilleux, l'adjectif convient ?- fils sera officiellement notre héritier...

Je ferme les yeux quelques secondes, refrénant l'envie soudaine d'essuyer d'un geste brusque les gouttes de sueur de mon cou. J'aurai besoin d'Ezeor même après la victoire. Si nous gagnons.

Et j'en prends brutalement conscience.

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant