Ysaïne (Chapitre 165)

321 60 50
                                    

Esteban fronce les sourcils, comme s'il regrettait de m'avoir parlé. Il se contente de lâcher :

-Tyrio. Je l'ai connu jusqu'à mes douze ans où mon père nous a séparé trouvant que ce n'était pas une fréquentation digne de moi. De toute façon, ses parents à lui pensaient la même chose, ayant vu à plusieurs reprises ma mère. Maintenant que tu as pu découvrir ma vie privée, tu peux partir ?

Je me contente de répondre à son ton froid par un regard neutre avant de remettre sur mon épaule Rajah qui glissait et d'ouvrir la porte. Mais, avant de sortir, je laisse tout de même tomber :

-Désolée vraiment Esteban. Je n'aurais peut-être pas dû embrasser comme ça Idwin après la promesse que je t'avais faite de l'oublier. Si un jour tu veux revenir... n'hésite pas.

Je disparais de la pièce sans attendre de réponse -il ne fait de toute façon pas un geste pour me retenir-, traverse la seconde salle et sors rapidement. Mais, alors que je m'approche déjà vers Denis dans l'espoir de quitter au plus vite ce maudit endroit, une drôle de furie habillée de rose criard accourt vers moi et s'exclame :

-Majesté ! Ahhh vous ne pouuuvez pas nous quitter aiiiinsi... Je cooompte sur vous pour le déjeuner. J'ai fais serviiir.

Puis, Dariela me bouscule sans attendre de réponse et je la vois entrer dans le salon derrière moi puis crier :

-Mon petit annnge ? Déjeuner !

Et elle rejailli presque aussitôt de la pièce. Je ne suis toujours pas revenue de ma surprise qu'elle passe son bras sous le mien et m'entraîne -toujours sans un regard pour Denis- dans le couloir avant que j'ai repris mes esprit :

-Le cher ange est un peu sauvageon... Majesté, c'est si merveilleusement gennntil à vous de veniiiir nous rendre visite ! Ah là là, quand je dirai à madame de Parsi, une peste de belle envergure si vous saviez !, que vous êtes venue chez moi, elle en sera verte de jalousie ! Ah ah ah ! Je suis désolée pour le manque de serviteurs... Nos robots nous ont tous quitté après les premières lois que vous avez mises en place... Non pas que je critique loiiiin de lààà ! Mais avouez que maintenant je doooois étudier la queeeestion pour retrouver des domestiques. Faire tourner la maison sans eux quelle horreur ! Heureusement que le cher ange m'aide, c'est un gentil garçon n'en doutez pas -bien que je n'ai jamais compris la raison pour laquelle il ne vient nous voir qu'une fois tous les trois ans- heureusement que son appartement a brûlé ! Ah ah ah !...

Nous avons eu le temps d'entrer dans une salle de transfert, de ressortir à un autre étage, de gagner une grande salle à manger moderne agrémenté d'un paysage panoramique défilant sur les murs numériques, et je n'ai pas pu placer un mot.

Dans la pièce nous attendent déjà Esteban (par où est-il passé pour aller plus vite que nous celui-là ?), son père et une petite femme replète qui vient d'apporter un plat fumant.

Esteban ne réagit pas à ma vue mais se contente de se tourner vers son père et de continuer visiblement une conversation où il est question de frontières, de pays, de liberté et de politique.

Dariela me désigne un siège à grand renfort de "ah là là si madame untel le savait..." mais je ne m'assois pas tout de suite et redresse la tête.

-Excusez-moi mais il manque un couvert.

Denis m'adresse un coup d'œil amusé et s'approche de moi pour dire :

-Ça n'a pas d'importance...

Je réplique dans un chuchotement :

-Oh que si, sans toi je ne vais pas survivre plus de dix minutes ici ! Alors monsieur-mon-garde-du-corps tu n'as pas le choix et tu ne te défiles pas !

Denis s'incline et hoche la tête :

-Pour une fois je vous aurai bien laissé vous débrouiller...

Je jurerais qu'Esteban nous fixe du coin de l'œil mais Dariela est déjà de retour avec une chaise, suivie de sa dernière domestique portant en équilibre précaire assiette fourchette cuillère et tout le bazars.

La mère d'Esteban m'adresse un sourire et dit :

-Bien sûr si vous tenez à avoir à table votre garde... Après tout chacun ses petites excentricités !

Venant d'elle, le mot est complètement... délirant. Tout le monde s'assoit néanmoins sans plus de problème et je dépose Rajah à terre pour qu'il puisse explorer la pièce pendant le repas. Denis est à ma droite et Esteban à ma gauche. Ses deux parents sont face à face un peu plus loin et j'apprécie que la table soit ronde et que je ne sois pas à la place d'honneur ou je ne sais quoi d'autre du même genre. Ils me paraissent vraiment capable de tout !

Dariela anime la conversation et j'écoute d'une oreille très distraite, regrettant amèrement d'être venue ici sur un coup de tête. Charles -le père- arbore une mine sévère qui dissuade toute tentative de conversation. Esteban de son côté garde le silence et mange en laissant ses yeux se fixer sur le mur face à lui. Il ne me reste que Denis d'à peu près raisonnable mais il est trop occupé à nourrir discrètement mon dragon sous la table alors qu'il sait que j'essaie désespérément de lui apprendre un minimum de bonnes manières. Dont celle de ne pas aller quémander auprès de chaque invité, ce qui peut se révéler légèrement gênant dans un grand dîner officiel !

Au dessert -il me semble qu'une éternité s'est écoulée depuis le début du repas- je me tourne vers Esteban, affrontant son regard neutre posé sur moi. L'avantage, c'est que là il ne peut pas feindre de m'ignorer et m'envoyer balader.

-Le sali s'il te plaît...

C'est tout ce que j'ai trouvé à dire alors que je n'ai absolument pas besoin de sauce. Esteban ne s'y trompe pas et, au lieu de me passer le récipient, répond d'une voix grave malgré tout couverte par l'espèce de pépiement de sa mère.

-J'aurais préféré que tu ne viennes pas ici.

-Tu me détestes maintenant ?

-Non. Après tout, c'est juste que...

Il hésite, me jette un coup d'œil puis demande soudain :

-Tu iras au mariage de l'autre ?

Idwin. Je ne détourne pas les yeux et réponds avec franchise :

-Oui. Je ferai tout pour pouvoir y aller.

Prise d'une inspiration subite j'ajoute :

-M'y accompagnerais-tu ?

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant