Edilyn (Chapitre 194)

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-Ah ah ! Sobibor, reste tranquille !

Incroyable, je viens de rire ? Je me suis écartée des habitations, ne supportant plus le regard de chaque personne que je rencontrais, jusqu'aux gamins qui m'évitaient, et je joue maintenant entre les arbres avec mon dragon qui siffle en se déplaçant rapidement en s'aidant de ses pattes et de ses ailes.

Seule. Ne pas y penser. Je me laisse alors tomber à terre sur l'herbe humide et penche légèrement la tête de côté, admirant Sobibor qui vient me rejoindre de sa démarche fluide et élégante avant de lever la tête vers moi en sifflant.

-Ed... Edil... Ed...

Je mets un petit moment à comprendre avant de saisir tout à coup et un sourire me monte aux lèvres lentement tandis que je commence à caresser le dragon. Je complète dans mon esprit, espérant parvenir à joindre la voix hésitante :

-Edilyn. Sobibor.

Le dragon laisse échapper un nouveau sifflement tandis que je tente de lui cacher ma joie grandissante devant ses efforts pour entrer en contact avec moi. Il est enfin assez grand visiblement pour apprendre à parler... mentalement.

Il tente de répéter et se dandine alors d'une démarche pataude en même temps qui me fait de nouveau rire.

-Edi... Edilyn ! So... Sobi... Sobiiiiboor.

Mes mains courent le long de ses écailles brillantes, le caressant entre les oreilles, avant de doucement de nouveau corriger cette fois-ci à haute voix :

-Sobibor. Toi. Sobibor...

La bestiole arque son dos fin, étend ses ailes comme si ça l'aidait à se concentrer, s'étire et redit sans faute :

-Sobibor. Edilyn. Sobibor. Edilyn.

Et il paraît alors si fier de lui qu'il s'écarte de ma main pour faire des tas de petites cabrioles autour de moi et que sa "voix" résonne dans ma tête en répétant à l'infini :

-Edilyn ! Sobibor ! Edilyn et Sobibor !

Je ris doucement en le regardant et esquisse ensuite un sourire aux reflets pourtant tristes. Je préfère ne pas me replonger dans mes pensées maintenant...

C'est alors que j'entends un bruit derrière moi. Ce n'est que le craquement lointain d'une branche mais je devine une présence.

Je résiste pourtant à l'envie de me retourner d'un bond, sans vraiment savoir pourquoi, et mon sourire déserte mes joues pâles.

Sobibor revient vers moi et donne de petits coups réguliers dans ma main tandis que je détourne les yeux. Ma respiration se fait plus rapide lorsque je me retourne lentement, m'attendant à voir l'un de ces parfaits inconnus que je croise chaque jour. Sauf hier où j'ai vu Thaïs, sauf qu'elle m'a évitée, ce qui est compréhensible...

Mais l'homme immobile, appuyé au tronc d'un arbre, n'est pas un inconnu. Il ne m'a pas vue et je me rencogne dans l'ombre instinctivement, retenant mon souffle pour mieux le détailler.

Je me suis promis de ne plus quémander sa présence ou une parole de sa part. Gaëtan... Fidèle à mon souvenir. Ses boucles de cheveux mi-long cascadent sur son front, lui couvrent les oreilles et la nuque. Il exhale un soupir presque semblable à celui qui s'échappe de mes lèvres au même instant.

Je caresse les écailles de mon dragon d'un geste saccadé, avant de redresser la tête en voyant Gaëtan se tourner vers moi. Il doit m'apercevoir car même d'ici il me semble qu'un éclair traverse ses yeux brillants tandis qu'il se détache de l'écorce de l'arbre et se redresse.

Je détourne alors les yeux et les posent devant moi sur le sol, refusant de lui laisser voir la tristesse qui se peint sur mes traits. Les doigts de ma main gauche plongent dans la terre meuble et je retiens un nouveau soupir.

Pourtant ne pas le voir en sachant qu'il m'observe m'est insupportable. Je finis par de nouveau tourner ma tête vers lui sans pour autant me relever.

Il est resté exactement dans la même position, et son regard se pose sur mon visage sans que je puisse rien deviner sur ses traits. Ses mains tremblent cependant et lorsque nos yeux se croisent, il relève la tête lui aussi, hésitant, se tournant à demi comme s'il allait faire demi-tour. Mais finalement il reste là, et retrouve cette immobilité égale à la mienne.

Sobibor n'est pas conscient de la tension entre nous. Le petit dragon, curieux, m'échappe et rejoint en quelque pas Gaëtan jusqu'à venir se frotter dans ses jambes pour réclamer des caresses en poussant de petits cris aigus.

Gaëtan hésite un long moment. Ce n'est qu'au bout d'un nouvel instant de silence qu'il se baisse et passe ses doigts fins sur les écailles de l'animal.

Lorsqu'il se relève, je détourne de nouveau les yeux pour les poser devant moi. Je ne me sens pas la force de me relever ou de tenter de lui parler.

Et il y a ma fierté... Mais elle paraît si lointaine à cet instant précis ! Il n'y a plus que nous deux, et j'ai l'impression que les minutes qui s'écoulent me maintienne dans un état étrange hors du temps.

Les pas de Gaëtan se font alors entendre et mon cœur accélère sa course dans mon cœur tandis qu'une inquiétude irraisonnée s'empare de moi. Et s'il s'en allait déjà ?

Mais non. Son pas se rapproche au contraire et bientôt je distingue juste devant moi, à un mètre à peine, sa silhouette. Mon dragon revient en même temps vers moi, mais je ne relève toujours pas les yeux.

Parce que je sais que mon regard me trahirait. Parce que je sais que n'importe qui pourrait lire dans l'instant tout l'amour que j'éprouve pour lui.

Un souffle de vent caresse ma figure, écartant quelques-unes de mes mèches de cheveux sombres, mais à cet instant précis Gaëtan s'accroupit sur le sol devant moi. Je relève alors mes yeux, et nous restons ainsi un instant en silence.

Il murmure enfin sans sourire :

-Sais-tu que je ne t'ai jamais vu un regard aussi... aussi noir ?

Je veux parler mais ne parviens qu'à lâcher :

-Je... Ce n'est pas ça.

Sa voix se fait douce lorsqu'il répond d'une voix comme détachée :

-Peux-tu me dire pour quelle raison aucune de mes promesses ne tient jamais quand je t'ai en face de moi ? C'était un supplice de ne pas te voir... mais maintenant...

Il se penche alors doucement et je me redresse. Je crois qu'aucun baiser ne m'a jamais donné cette impression unique, mêlée de sécurité, d'un soulagement indicible, et d'une flamme dévorante d'amour...

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant