Azylis (Chapitre 33)

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Image d'une couverture créée par Ysaiine

-Azylis ?

Je relève la tête des plans dans lesquels j'étais plongé.

-Oui, Christian ?

Il hésite puis tire une chaise ou il se laisse tomber. La pièce est plutôt encombrée et il pousse un léger soupir en regardant le bazar autour de lui.

-Tu ne peux pas faire ça.

Je me relève, soudain énervée, et hausse les épaules. Je le fixe résolument sans détourner mon regard.

-Qu'est-ce-que je ne peux pas faire ? Ça fait une semaine qu'on en parle Christian ! Il me semble que j'ai été ferme non ?

Christian tape du bout des doigts sur la surface du bureau et relève les yeux vers moi. Il paraît à son tour furieux.

-Azylis, nos hommes menacent de faire une mutinerie. Tous ça à cause de tes projets stupides "Égalité".

-Ah, vraiment ? Parce que toi non plus tu n'es pas d'accord ?

Il se lève d'un bond de son siège, soudain exaspéré, et crache :

-Mais enfin ça fait sept jours que je te répète ça matin et soir !

Je réplique froidement :

-C'est peut-être pour ça que je ne t'écoute plus depuis une semaine alors !

Il recule comme si je l'avais giflé. Il paraît si blessé qu'il me faut deux minutes pour ravaler un "désolé" qui allait m'échapper. Je me lève à mon tour et prends la parole d'une voix plus calme :

-Christian, ce mouvement j'y tiens. Pour moi, les dragons et les robots sont nos égaux. Je ne me battrai pas pour un monde meilleur si vous ne me laissez pas accomplir la moindre amélioration !

-Mais personne ne te suivra !

-Alors va-t-en. J'aurai toujours Maly et mes deux dragons.

Christian détourne la tête. D'une voix d'outre-tombe, vibrante de rancune, il murmure :

-Alors on en est là ? Pour toi je ne vaux pas plus qu'un amas de métal ou une manipulation génétique !...

Je ne réponds d'abord pas et m'exhorte vivement au calme. Au fond, moi aussi je suis déçue.

-Après tout ce qu'on a vécu ensembles, pour toi Maly c'est juste un amas de métal ?

Christian hausse les épaules et balance un coup de poing rageur dans le bureau.

-Mais qu'est-ce-que tu imagines ? Je ne me battrai jamais à égalité avec un robot ou un dragon !

Je détourne la tête. Je plonge mes yeux dans les siens.

-Tu n'es pas comme ça d'habitude Christian. Qu'est-ce-qui se passe ?

Il pâlit soudainement et se calme. Il finit par avouer :

-Je ne le sais pas moi-même. Je crois que j'en ai assez. De cette vie et...

Je cherche à comprendre. Je contourne le bureau, consciente de ne pas avoir été vraiment patiente -tout le monde m'explique que mon projet Egalité est une aberration depuis que j'en ai formulé l'idée et ce n'est pas franchement encourageant, ce qui fait que je suis un peu à bout en ce moment...- et m'approche de Christian.

Je m'assois en face de lui sur la surface de la table et il se laisse tomber dans son siège. D'une voix bien adoucie, je demande :

-Qu'est-ce qui ne te plaît pas dans ta vie ?

Il ne lève pas les yeux et se contente de dire :

-Nous allons nous battre bientôt...

-C'est ça qui te fait peur ?

Il hausse une énième fois les épaules avant de répondre.

-Bien sûr que non ! Si c'était le cas, je serais parti, point...

-Alors qu'est-ce qui t'a mis dans une humeur pareille ?

Je pressens qu'il me cache quelque chose. Il inspire soudainement avec force et se lève de nouveau de son siège. Il commence à arpenter de long en large la pièce et je le suis des yeux, devinant que si je veux pouvoir l'entendre et l'aider, je dois d'abord me taire.

Il s'immobilise au bout de deux minutes et finit par admettre :

-Sarah est venue me parler.

Je ne retiens pas un léger mouvement de curiosité. Qu'a-t-elle pu lui dire de si grave ? Christian détourne les yeux vers la fenêtre. Il poursuit d'une voix atone :

-Elle m'a dit qu'elle m'aimait. Qu'il lui avait fallu cinq ans pour parvenir à briser sa fierté et me le dire...

Je baisse les yeux vers le sol, sincèrement songeuse. Que répondre ? Je choisis la sincérité.

-C'était visible qu'elle t'aimait. Tu ne le savais pas ? Et ça ne m'étonne pas plus que ça de sa part que sa fierté ait été plus forte que son amour...

Je réalise alors que quelque chose ne va pas et je relève la tête. Comprenant alors pour la première fois ce que j'ai toujours refusé de voir, je lache dans un murmure en croisant le regard de Christian :

-Non !... Tu... Tu ne peux pas...

Avec une lourde tristesse contenue dans chacune des syllabes qu'il prononce, il termine doucement ma phrase.

-T'aimer ? Mais c'est pourtant le cas Azylis... Et ça aussi, c'était visible. Mais on dirait que je ne fais pas le poids face à un fantôme !...

La rancœur dans sa voix est telle que j'ai du mal à ne pas reculer dans un geste instinctif. Quelque chose se brise dans mon cœur et je me laisse tomber sur le sol pour m'approcher de Christian et dire calmement :

-Je suis tellement désolée que tu m'aimes... Mais je ne veux pas te donner de faux espoirs.

Je détourne les yeux et je l'entends murmurer d'une voix chargée d'ironie envers lui-même :

-Je le savais mais c'est quand même dur à entendre.

Je me force à ajouter :

-Je suis vraiment désolée. J'aurai voulu que ce soit possible mais...

Christian me coupe d'un ton calme mais sans appel :

-Non, justement, tu n'y tiens pas.

J'hésite puis demande calmement :

-Alors ? Qu'est-ce que cela change pour nous deux tout ça ?

Christian pousse un long soupir avant de murmurer en regardant la fenêtre :

-Rien. Ça ne change rien. Je t'oublierai, promis. Enfin je vais essayer. Mais je veux faire partie de cette bataille... On dirait que votre fichue loyauté envers votre patrie commence à déteindre sur moi...

Savoir qu'il ne va pas me quitter me fait plus plaisir que je ne l'aurais cru et je réponds avec un soulagement et une joie visible :

-Merci !...

Christian désigne alors du doigt les plans étalés sur le bureau et se force à sourire avant de changer de sujet :

-Je crois qu'on a plus important à faire que de discuter d'affaires sentimentales pas vrai ?

J'acquiesce, la gorge serrée par l'émotion. Je ne souhaite à personne d'endurer la souffrance que je vois soudain au fond des yeux de Christian.

Il tourne les talons sans attendre de réponse et il est déjà sur le pas de la porte lorsqu'il se retourne et demande :

-Quand attaque t-on ?

Un très bref instant, j'oublie tout ce qu'il vient de me dire et mes yeux brillent d'un éclat particulier.

-Demain.

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant