Thaïs (Chapitre 110)

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Je suis de retour dans la chambre chauffée. Je me colle contre le mur pour tenter de me d'évacuer le froid de mon corps, maudissant au passage tous les êtres de cette planète qui ont décidé de créer toute une ville dans de la glace !

Mais j'ai plus urgent à faire que réchauffer mon corps refroidi. Avant d'aller retrouver Aevin et les autres, même si je meurs d'envie de les serrer dans mes bras, là et maintenant, il faut que je comprenne la situation.

Steï se tient debout en face de moi. Je n'ai pas allumé la lumière et il brille dans le noir comme si des milliers de lucioles s'étaient posés sur lui.

Je prends la parole d'une voix douce, les yeux levés vers lui.

-Alors, tu m'expliques ?

Il me lance un regard furibond.

-Expliquer quoi ?

Je lève les yeux au ciel avant de les fixer de nouveau résolument dans les siens.

-Quel est le lien entre Ergey et le chef du conseil ? Et avec toi ? Et pour quelle raison est-ce que la dénommée Segora vous déteste tant ?

Un sourire dépourvu de joie envahi ses traits, à l'opposé de la petite mimique rieuse qu'il arbore depuis que je l'ai vu ce matin.

-C'est une histoire un peu compliquée... Enfin pourquoi ne pas te la raconter ? Tout le monde sait ce dont il s'agit... Commençons par le début... Tu as remarqué que la ville est creusée dans la glace ? Et que rien n'est chauffé ?

Cette simple évocation suffit à ce que je m'appuie un peu plus contre le mur chauffant. Je ne vois pas où il veut en venir.

-Oui, j'ai senti ça mais...

-Alors tu ne te demandes pas pour quelle raison cette pièce est chauffée ?

La question posée de but en blanc me prends de court et me laisse quelques secondes sans réponses -il faut dire que le fait de m'être levée à pas d'heure commence à se faire ressentir- et je me contente de lentement froncer les sourcils en fixant l'hologramme qui m'assène alors avec brusquerie :

-C'est la chambre d'Ergey. Il est un demi. C'est à dire que sa mère fait parti de l'autre peuple de cette planète... Et que son père est de Ternova. C'est rarissime chez nous.

Je le fixe quelques secondes en silence, songeant soudain que je ne connais pas du tout Ergey et ses secrets. Je me prends soudainement étrangement à éprouver un début de tristesse et je demande avec anxiété :

-Rarissime ?

Steï lève les yeux vers les murs avant d'acquiescer et de poursuivre.

-Il n'y a que deux cas à ma connaissance. Sa mère est venue habiter ici...

Ses yeux se voilent et une émotion semble l'envahir même si c'est difficile à deviner sur un hologramme. Mon sentiment de tristesse que je n'arrive pas à définir exactement me submerge de nouveau moi aussi et je demande tout en redoutant la réponse d'avance :

-Où est-elle ?

-Malgré toutes les précautions prises, le froid lui a été fatal lors d'un court-circuit général ou les chauffages ont lâchés... Ergey est capable de survivre aussi bien côté froid et côté chaud de la planète. Même s'il lui faut quelques aménagement comme ici les murs qui réchauffent la pièce...

Commençant lentement à comprendre, je reprends encore plus doucement la parole :

-Il n'est pas accepté par les vôtres n'est ce pas ?

Steï secoue la tête et ses mèches de cheveux blanc fantomatiques s'écartent de ses yeux. Il s'élève vers le plafond à la manière d'un parfait fantôme pour être un peu plus à la hauteur -je suis assise sur le grand hamac- et il rétorque :

-C'est pire que ça. Tout le monde le déteste. Et vous... les étrangers... vous avez la même particularité : le froid ne vous tue pas si vous êtes couverts et le chaud ne vous affecte pas non plus. Alors devine la position d'Ergey...

Je comprends en un éclair et me mords violemment la lèvre inférieure avant de lâcher :

-Nous n'avons pas vraiment amélioré sa situation n'est ce pas ? Nous devons faire ressortir encore plus la différence qui le sépare de vous autres...

Je baisse les yeux sur le bord du hamac. Je ne supporte toujours pas de deviner la souffrance de quelqu'un sans rien faire. Mais cette histoire me dépasse cette fois-ci... Je repense alors à la salle du jugement et un éclair me traverse soudain tandis que je relève d'un coup la tête.

-Steï ! Le père d'Ergey c'est... Votre chef ?

Il hoche lentement la tête devant moi et une forme de joie m'envahit tandis que je m'exclame :

-Alors ils ne peuvent rien contre lui dans ce jugement non ?

Steï secoue une nouvelle fois la tête. Il complète ensuite oralement :

-Non effectivement. Mais tout le monde saura qu'Ergey est passé en procès... Ça ne va pas améliorer sa côte de popularité. La Loi est sacrée chez nous. Et puis, son père ne pourra pas le sauver de tous les dangers...

Mais je fronce toujours les sourcils. J'ai l'impression que beaucoup de choses dans cette histoire continuent de m'échapper. Je me tourne alors de nouveau résolument vers l'hologramme et reprends la parole d'une voix que j'espère ferme.

-Arrête-moi si je me trompe mais... tu as parlé de deux cas... Les conseillers ont dit que tu voulais assister au procès... Steï... Tu es son frère c'est ça ? Ergey et toi...?

Il baisse les yeux. Ses poings fantomatiques se crispent. Il crache presque lorsqu'il me répond :

-Oui. Nous sommes frères... Et mon père est bien le chef du conseil. Il a essayé de me sauver moi aussi...

Je n'arrive pas à continuer de regarder dans les yeux Anasteï. Parce que je devine lentement ce que je vais entendre. J'ai voulu comprendre cette histoire mais je ne suis plus certaine de le désirer encore. Ma gorge se serre tandis que je trouve la force au fond de moi de demander :

-Dans quelles circonstances crée-t-on un hologramme ?

Il me lance un regard soudain empli d'une fatigue lasse et répond lentement :

-Tu devines vite... On ne crée un hologramme que pour les enfants du conseiller suprême. C'est une loi de Ternova, je ne sais même pas d'où elle vient. Les hologrammes sont actualisés chaque année... Et ne sont activés qu'à la mort de leur modèle.

Sa voix se brise. Il relève pourtant les yeux vers moi.

-Je ne suis qu'une copie. Mes mémoires enregistrées datent de la dernière actualisation... Mon original est mort lorsqu'Ergey est parti vous chercher. Une secte de mystiques l'a tué. M'a tué.

Je ne sais que répondre. L'horreur m'étreint presque et je me contente de murmurer en direction de l'hologramme à la fois si proche et si paradoxalement impossible à atteindre.

-Je suis désolée Steï... Je... Ça paraît si ridicule comme mots. Si froids...

Je fixe de nouveau mes yeux dans les siens et Steï se décide à dire :

-Aucune importance. J'aime Ergey autant que ma mémoire le permet. Mais lui ne veut pas me voir... Par le simple fait d'avoir été activé je lui rappelle qu'il n'a pas su protéger mon original... Ce matin dans la salle du conseil, c'était la première fois que nous étions face à face...

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant