Intemporel T5 & 6

Thaïs (Chapitre 109)

-Steï, il fait toujours aussi froid chez vous ?

Je suis littéralement transie. Après avoir traversé différents couloirs taillés entièrement dans la glace, nous sommes arrivés devant une grande porte gardée par deux hommes.

Mon hologramme exécute ce qui pourrait passer pour un salut de la main et explique tandis que je peine à affronter le regard des deux soldats -où quelque chose qui y ressemble- :

-Elle veut entrer dans la salle du conseil. Je sais bien que normalement c'est interdit mais nos lois ne s'appliquent pas à elle...

Les deux gardes échangent un regard. Le plus jeune incendie Steï des yeux -ce qui n'est pas vraiment utile sur un hologramme selon moi-.

-C'est toi qui veut entrer ! On aurait jamais dû laisser ton père faire ton hologramme !

L'autre crache entre ses dents dans ma direction :

-Qu'elle entre donc et toi aussi. Ce cher Ergey va peut-être enfin avoir ce qu'il mérite !

Je ne comprends pas un traître mot de la conversation à laquelle j'assiste. Mais les portes s'ouvrent devant nous et j'entre sans plus me poser de questions -une très mauvaise habitude qui ne me passera jamais je pense-. Steï se matérialise à mes côtés quelques secondes plus tard tandis que la porte se referme derrière nous.

Mes yeux font le tour de la pièce, subjugués.

On dirait une immense cathédrale taillée dans la glace. D'immense piliers gravés semblent monter jusqu'au ciel et je me sens soudain minuscule dans ce gigantesque espace. Le sol descend en marches régulières jusqu'à un espace en hémicycle ou une centaine de personnes tournent des regards furieux vers moi. Un homme attire cependant mon attention au centre du groupe assis seul sur un siège de glace.

Ergey. Il me regarde avec agacement et il me semble deviner d'ici ce qu'il pense. "Bon sang, mais qu'est-ce qu'elle fait là encore ?" En revanche un étrange tremblement lui échappe lorsqu'il aperçoit l'hologramme à mes côtés.

Un homme plus élevé que les autres sur les rangs de l'assemblée m'apostrophe vivement et mon bracelet traduit presque dans la seconde :

-Que fais tu ici dans cette assemblée étrangère ?

Je veux répondre mais Steï s'interpose aussitôt en me justifiant :

-Les lois de Ternova ne la regarde pas. Elle voulait venir et les gardes l'ont laissée entrer...

Il se passe alors quelque chose d'étrange entre le chef du conseil et mon hologramme. Le regard qu'ils échangent me semble composé d'un mélange de peine, de dureté et de regret. L'un des membres du conseil, une femme à la peau presque blanche se lève alors et crie :

-L'étrangère ? C'est toi Steï qui voulait venir !

Je ne comprends toujours pas. Je veux me tourner vers l'hologramme mais mes yeux sont soudain attirés vers Ergey. Je ne l'avais pas remarqué jusqu'ici mais sa peau me semble un tout petit peu plus foncée que celle des autres. Dans des proportions vraiment infimes mais assez pour que cela se voit.

Mais Steï me tire de mes pensées et me demande :

-Thaïs ? Qui voulait venir ?

Tous les regards se fixent sur moi. Je sens sans en comprendre la raison que ma réponse est importante pour beaucoup de gens ici.

-C'est moi. Je voulais... m'assurer qu'Ergey n'ait pas d'ennui pour avoir sauvé mon frère.

Un silence plane pendant quelques minutes sur la petite assistance. Ergey semble ému et perd son côté très sûr de lui qui rend toujours son approche difficile. Mais il se reprend quelques minutes plus tard tandis que la même femme qui avait parlé quelques minutes plus tôt se relève pour haranguer l'assistance.

-Très bien ! Qu'ils restent... L'étrangère et Anasteï.

De nouveau ce mépris pour l'hologramme... J'ai froid et je resserre d'un mouvement vif ma veste pas assez chaude tandis que Steï me désigne un banc. Taillé dans la glace. Il fait si froid qu'il n'est même pas mouillée lorsque je m'assois. Je repense avec un brin de regret à la chambre chauffée que j'ai quittée. Mais mon anxiété pour Ergey m'empêche de penser à autre chose et je me concentre de nouveau.

La femme s'adresse maintenant à lui et liste les accusations qui se résument en fait à une seule mais qui semble être très grave :

-Il n'a pas respecté la Loi ! Nous devons le punir au maximum, l'exclusion...

-Non !...

Ergey s'est redressé et ses yeux se posent avec une lueur de supplication dans ceux du chef du conseil. Celui-ci tremble et sa main est agitée de secousses de nervosités. Il respire pourtant l'assurance et sa beauté calme en impose à ses interlocuteurs. Pour quelle raison est ce que cet étrange procès pour avoir sauvé une vie le met il dans un tel état ?

Je me tourne vers Steï. La silhouette fantomatique est tendue et toute entière dirigée vers Ergey. Je repense soudain à mon accueil dans la salle. Je murmure en tentant d'attirer l'attention de l'hologramme :

-Steï, pourquoi aurais-tu voulu voir Ergey ? Tu le connais bien ?

Mais il ne se tourne pas vers moi. Son attention est maintenant de nouveau fixée sur le chef du conseil qui vient de se lever.

-Le bannissement ? Allons Segora, vous exagérez, comme toujours...

Mais la femme redresse la tête et ses yeux lancent une drôle d'étincelle.

-Exagérer ? Nous savions qu'ils seraient des traîtres tous les deux... Vous avez essayé de les protéger mais nous en avons maintenant la preuve : ils sont incapables de respecter nos modes de vie. Pas étonnant quand on sait qui ils sont...

Une colère d'une violence telle que je n'en ai jamais vu chez personne d'autre envahi tout à coup le visage du plus haut conseiller et il hurle :

-Segora ! Vous dépassez les bornes !

Ergey saisit l'opportunité de prendre la parole et renchérit avec une violence qui me surprend de la part du guide presque taciturne qui nous a accompagné dans notre lent périple.

-Au contraire ! Nous avons tout fait pour vivre comme il le fallait ! Mais vous ne nous avez jamais accepté ! Et maintenant, il est mort !...

Ses yeux se tournent alors dans ma direction et mon cœur rate un battement. Steï m'aurait-il menti ? Eric ne serait-il plus en vie ? La douleur et la peur me submergent comme un violent coup de poignard avant que je ne réalise que je me suis trompée. Ce n'est pas moi qu'Ergey fixe ainsi de ce regard qui me glace de l'intérieur tant il est empli de désespoir.

C'est Steï. L'espèce de fantôme à mes côtés. L'hologramme d'un garçon de quinze ans... en tout cas par rapport à l'âge terrestre.

Serait-il... mort ? Mais qu'est ce qui se passe ici ?