Intemporel T5 & 6

Thaïs (Chapitre 129)

2 jours auparavant.

-Steï ce n'est pas possible ! Tu mens ! Tu t'amuses à mes dépends, tu...

Ma voix se brise dans ma poitrine avant que la colère ne me reprenne. Je donne un coup de poing en avant qui ne fait que dissoudre l'hologramme quelques secondes avant que l'image ne se rétablisse. Il rétorque :

-Non ! Pourquoi ferai-je ça Thaïs ? Tu es méchante, tu es comme les autres, tu me détestes !

L'espèce de fantôme semble se recroqueviller sur lui-même et des larmes jaillissent de ses joues. L'image les fait disparaître en bas de son visage et dans un autre moment, j'aurai peut être admiré cette prouesse technique.

Mais là je ne pense qu'à ce que je viens d'entendre. Je veux une vie tranquille, heureuse, une tasse de chocolat, un livre, et mes enfants. Et Aevin. Pourquoi y a-t-il toujours un problème ?

À mon refus de comprendre ce qu'il vient de m'annoncer s'ajoute une peur violente qui me déchire les entrailles. Je n'arrive toujours pas à réaliser.

-Steï... pardonne-moi. Bien sûr que si je t'apprécie. Simplement... Peux-tu... Peux-tu me répéter ce que le conseil t'a envoyé me dire ?

Il renifle à la manière d'un enfant -même fantomatique, il a pourtant dans les quatorze ans- avant de se reprendre et de répondre sans me regarder et en se soulevant légèrement du sol :

-Ton fils a été pris en otage par les extrémistes. Ils réclament le départ de tous les terriens... Et la mort d'Ergey. Ce sont les conditions pour qu'ils rendent ton enfant...

Je me remets à marcher en rond dans la petite pièce comme un ours en cage avant de me mordre violemment le poing pour me calmer et ne pas hurler. La douleur m'aide à combattre ma peur et je me raccroche à l'idée que de toute façon, où qu'il soit actuellement, ces foutus révolutionnaires ont besoin de mon fils en vie.

Je me décide à interroger de nouveau l'hologramme :

-Et en attendant, la seule chose que l'on fait, c'est m'ordonner de rester ici ? Aevin est-il au courant ? Et Sandra et Eric sont-ils en sécurité ?

Steï hausse les épaules d'un air buté et je ne peux alors plus contenir ma peur et ma colère. Je hurle :

-Je suis navrée d'avoir touché ta sensibilité tout à l'heure Steï... En attendant mon fils est en danger dans votre ville et vous n'êtes même pas capables de le protéger...! Alors pardonne-moi mais j'ai autre chose à penser !

Je suis à bout et n'arrive même pas à éprouver des remords. L'hologramme pâlit, ce qui ne donne pas un énorme changement notoire sur quelqu'un qui est déjà un fantôme, avant de finir par baisser la tête et de dire d'une voix basse :

-Désolé. Je suis complètement à côté en ce moment moi aussi. Ce sont eux qui ont tué mon original, tu sais ça ?

Il redresse la tête vers moi et je sens mes pensées se bloquer soudainement dans ma tête avant de repartir. Je laisse échapper dans un murmure :

-Non... Pas Georges...

Je ferme les yeux juste au moment où quelqu'un toque à la porte. La seule chose que j'espère, c'est que ce soit Aevin et que je puisse me jeter dans ses bras ou m'appuyer contre son épaule pour me consoler au moins un peu et retrouver un semblant de calme.

Mais lorsque je dis "entrez" et que la porte s'ouvre, il ne me faut pas plus de deux minutes pour perdre mes illusions. Et ma colère reprend le dessus, s'alimentant de ma peur :

-Ergey ! Toi et ton père, vous ne pourriez pas faire quelque chose au lieu de m'enfermer ? Tu ne penses pas par le plus grand des hasards que je devrais avoir le droit d'intervenir dans cette histoire ? C'est mon fils !

Ergey referme la porte avant de se retourner vers moi et de me lancer un regard sombre. Il ne jette pas un coup d'œil à Steï en revanche.

-Vraiment Thaïs ? Sais-tu la négociation qui est en cours ? Ils sont prêts à renoncer à l'une de leurs deux demandes...

Je ne réfléchis même pas et rétorque :

-Le renvoi des terriens j'espère. Tous ne souhaiterons pas partir...

Les yeux d'Ergey s'illuminent un peu plus et il crache :

-C'est exactement ça. Ils sont prêt à ne faire qu'un échange finalement.

Je ne comprends pas tout de suite mais c'est Steï qui s'exclame à côté de moi :

-Quoi ! Ils demandent ta mort et en échange ils rendent l'enfant ?

La violence de cette parole me traverse le cœur mais une part au fond de moi-même ne peut s'empêcher de penser "et si...?" Je donnerai tout pour retrouver Georges et l'avoir là avec moi tandis qu'il rirait d'une des blagues stupides mais si attachantes de mon mari. Et je sacrifierai à cette idée même Ergey...

Jusqu'au moment où je me rends compte de ce que je viens de penser. Au regard sombre d'Ergey posé sur moi, je devine qu'il a suivi exactement le cours de mes songes. Je n'ai jamais été très douée pour la dissimulation...

Il prend la parole d'une voix sourde :

-Il existe une loi de Sagan -comme vous appelez cette planète- qui dit que celui qui accueille est responsable de la sécurité de ses visiteurs. Selon la Loi, je devrai donc me rendre immédiatement à ces assassins. À cette secte d'extrémistes.

Il crache les mots comme du poison et je sens Steï prêt à reprendre la parole à côté de moi. Mais Ergey n'a pas regardé une seule fois le fantôme de son frère et je devine qu'il ne répondra pas à l'une de ses questions. Alors que je prends de plus en plus conscience de la situation et que la douleur grandit en moi, je rassemble mes forces et demande d'une voix neutre :

-Alors pour quelle raison n'as-tu pas encore été obligé de le faire ?

-Parce que mon père me protège. Il est en train de rassembler tous ses soutiens, toute ma famille. Mais même eux ne m'aiment pas. Je ne suis que le demi. Le paria. Je n'ai aucune chance. C'est pour cela que je suis venu te voir.

Mes yeux se posent sur Steï à mes côtés. Son regard ne me quitte pas tandis que je tente de comprendre ce que je viens d'entendre. Je ne suis pas certaine de le vouloir vraiment... Mais Ergey poursuit, impitoyable :

-Sacrifie ton fils Thaïs. Tu ne peux pas me demander de mourrir pour lui... Et tu es la seule aujourd'hui à pouvoir me protéger.