Intemporel T5 & 6

Ysaïne (Chapitre 174)

Je me glisse à l'intérieur, tentant de digérer ma colère, de me calmer, et surtout de ne pas me laisser emporter par mon appréhension.

Tiara a forcément tout entendu... J'ignorais être devant son salon mais que puis-je y changer maintenant ?

La pièce est petite mais... déserte à l'exception de la jeune femme en robe blanche. Je ne vois nulle part les autres mariés de la journée : Sarah et le père d'Idwin.

En revanche, je ne peux ignorer les larmes qui strient les joues de Tiara, effondrée dans un fauteuil, les bras posés sur une table devant elle.

Je referme la porte, ne sachant trop quoi faire, et dépose à terre Rajah, pour qu'elle puisse se dégourdir un peu les pattes. Elle commence aussitôt à fureter partout mais je ne parviens pas à sourire, l'esprit sans dessus dessous et hésitant sur la conduite à tenir.

-Je... Je peux partir si tu veux.

J'hésite puis corrige :

-Si vous voulez.

Mais Tiara me désigne un siège en face d'elle d'un mouvement de tête et je m'y dirige avant de m'y laisser tomber. La jeune femme a abandonné son long manteau et sa robe sans manche met en relief un joli pendentif de corail à son cou.

Elle esquisse un sourire crispé en voyant mon regard et sa main vient se poser sur le petit bijoux.

Elle murmure :

-Tu peux me tutoyer. Je... J'ai eu tort d'être si désagréable les autres fois où nous nous sommes vues... Je... Je regrette.

Si quelqu'un doit s'excuser, est-ce moi ou elle ? Je sens tous mes ressentiments s'évanouir, ma colère disparaître, et je murmure d'une voix douce, ignorant mon dragon qui se frotte contre mes chevilles en ronronnant :

-Je le regrette aussi. C'est moi qui t'ai fait pleurer n'est ce pas ? Tu as entendu ma dispute avec Idwin ?

Elle secoue la tête tristement.

-Non... Je... Enfin si mais...

Elle inspire alors un grand coup, rougissante de nouveau, avant de se forcer à vaincre son peu d'assurance d'elle-même pour lâcher :

-Je savais à quoi m'en tenir avec Idwin mais je... j'espérais quand même le changer un peu. En revanche je... je viens d'apprendre que mon père est mort. Un arrêt cardiaque.

Elle ne pleure plus mais se mord violemment la lèvre inférieure. Ses yeux se posent sur les miens, et je ne sais plus quoi répondre, le cœur soudain déchiré d'une tristesse qui n'est pas la mienne.

Tiara poursuit :

-Avec la nouvelle de mes fiançailles j'ai perdu beaucoup d'amis. À vrai dire les gens ne s'adressent plus à moi qu'avec des "altesse" et ceux que j'aimais sincèrement profitent juste de ma nouvelle position pour essayer d'obtenir de ma part des avantages. Je me sentais un peu seule... Mon père...

Elle s'interrompt de nouveau et je me relève, avant d'aller me percher sur l'accoudoir du canapé, juste en face d'elle, proche.

-Ecoute... Moi je veux être ton amie. Nous sommes mal parties... Si un jour tu ne sais plus où aller ou que tu ne veux plus d'Idwin, viens à Astra. Je te donnerais un appartement au palais, tu découvriras nos villes, dont Ivy, et tu verras comme on y est heureux !

Mes yeux brillent en disant cela et je me rends alors compte en prononçant le nom d'Ivy que c'est d'abord à son maire que j'ai pensé. Esteban. Mon léger sourire s'agrandit et je pose ma main sur l'épaule de Tiara tandis qu'elle rit entre ses larmes avant de dire :

-Merci... Merci vraiment.

Je n'ai jamais été douée pour savoir comment réagir dans ce genre de situation. Mais j'ajoute spontanément :

-Pour ton père... Ce devait être quelqu'un de formidable. Ta mère...

-Elle est partie quand j'avais cinq ans et n'a plus jamais cherché à avoir de mes nouvelles ni de celles de son ancien mari...

Je la force à me regarder, et ajoute alors fermement, sans la quitter des yeux :

-Essaie quand même d'aller la voir. Elle pourra t'aider...

Je me relève ensuite, recule de deux pas, tandis que Tiara, rougissant de nouveau, jolie malgré ses larmes, murmure :

-C'était... totalement hors protocole n'est-ce pas ?

Je lui adresse un clin d'œil, avant de lâcher :

-Pas de caméras en vue donc ça va !

Elle est du genre miss parfaite, et je suis certaine que la seule idée de s'être ainsi laisser aller va la ronger pendant plusieurs jours. Mais je ne la vois plus comme avant... elle possède en elle une force que je n'aurais jamais puisque je n'en ai pas eu besoin, le courage de toujours essayer de vaincre les peurs qui l'empêchent de redresser la tête et la ferait naturellement fuir les autres.

Je me penche, repose sur mes épaules Rajah qui m'a rejointe, tout en me redressant et en ajoutant :

-Tiara, si je le pouvais je donnerais tout l'or d'Astra pour faire revivre ton père... Je te souhaite simplement de réussir à trouver tous les jours un motif de sourire... Et ma proposition tiendra toujours, même quand nous aurons toutes deux quatre-vingt-dix ans ou si nos deux pays étaient en guerre...

Alors que je m'apprête à sortir de la pièce, Tiara répond de sa voix calme, s'efforçant visiblement de se maîtriser et de trouver ses mots :

-C'est gentil d'être venue me trouver ici. Je ne m'attendais pas à ce que ce soit toi qui fasse le premier pas.

Je lui jette un coup d'œil mais elle ne me regarde pas. Alors je ne réponds rien, devinant qu'elle ne m'entend déjà plus, perdue de nouveau dans ses pensées, et quitte la pièce silencieusement.

Je traverse rapidement le couloir et, alors que je veux tourner au suivant, une main agrippe mon poignet et je me retrouve face à Idwin qui m'attendait visiblement.

-Que lui as-tu dit ?

Je dégage ma main, recule d'un pas, le dévisage un instant avant de répondre sans prêter la moindre attention à sa question :

-Elle ne t'a jamais demandé d'aller me chercher.

-Non. Tu lui as proposé de venir un jour à Astra ?

Je tressaille et lui jette un coup d'œil furieux mais il poursuit avec un sourire aux reflets soudain aussi tristes qu'attachants :

-Je savais que tu ferais cela. Merci pour elle.

Alors je comprends tout à coup et je réplique :

-Tu joues les méchants... Mais au fond tu viens d'indirectement essayer de la rendre un peu moins malheureuse !

Il détourne les yeux, déjà de nouveau dur, avant d'hausser les épaules et de s'éloigner en me tournant le dos. Il lâche alors qu'il est déjà à plusieurs mètres devant moi qui suis restée immobile :

-Non. Je voulais simplement m'assurer qu'elle aurait toujours un endroit où aller.