Les écrans d'ordinateurs autour de moi clignotent dans tous les sens. Mon dragon, Sobibor, leur lance de temps en temps un petit coup d'œil furieux, tandis que je me penche, maudissant mes gardes qui ont décidé que puisqu'on allait bientôt arriver il fallait m'enchaîner...
Mes poignets sont fixés de chaque côtés de ma tête à ma gauche et à ma droite. Mais je ne pense pour le moment pas à cette situation pourtant humiliante. Mes yeux sont comme hypnotisés par l'écran.
Jamais tout ce que je suis en train de vivre ne m'a paru aussi proche, aussi clair...
Le compte à rebours paraît pourtant tourner si lentement... mais les chiffres sont là, sous mes yeux.
36 minutes 44 secondes.
Mon cœur tambourine dans ma poitrine sans que je parvienne à retrouver une respiration régulière. Je me sens curieusement fiévreuse, presque enivrée, et j'ai à la fois envie de rire et de pleurer.
J'avoue ne plus savoir où j'en suis. Où est passé la reine glaciale qui effrayait tous ceux qui l'entouraient ? Pour l'heure, les hommes du "wagon" n'ont pas hésité à m'enchaîner. Et pour une fois, j'ai peur.
Peur de l'inconnu qui m'attend. Au fond que sait-on de Sagan ? Tellement peu de choses...
Qu'est-ce que je vais découvrir ?
Je lance un coup d'œil de biais à Sobibor et murmure doucement :
-Heureusement que tu es là toi... J'avoue que je ne sais pas ce que je ferais sans ta présence...
Et quand il sera grand, il pourra me défendre. Une idée si rassurante. Je lève alors de nouveau les yeux vers l'écran et laisse mes doigts courir sur la surface de verre.
"Vue de Sagan". L'écran affiche une image qui me laisse un instant rêveuse. Alors que j'ai pourtant toujours eu l'impression d'être plutôt terre-à-terre... mais comment résister au spectacle fascinant de cette planète entière qui s'approche si vite ?
Et là quelque part il y a Gaëtan. J'ai soif de le retrouver, j'ai envie de m'appuyer sur lui, de lui lancer un long regard d'appel à l'aide, de sa présence...
Mais il y a tous mes crimes passés qui nous séparent. Et même le fait que j'ai tenté de le tuer à plusieurs reprises... il doit s'en souvenir. Et je le regrette chaque instant un peu plus.
Mais une autre part de moi-même déteste ma fragilité présente et je sens alors mon regard s'assombrir. Je me préférais avant, toute puissante, lorsque je ne réfléchissais pas autant... Je ne souffrais pas de la même façon. Et si Gaëtan me rejetait ?
Cette idée suffit à me faire perdre mon inaliénable fierté et je me mords violemment les joues jusqu'au sang. Non ! Non, mon Dieu, tout mais pas ça !
***
Cette piqûre dans mon bras... Auraient-ils jugé préférables de m'endormir pour l'atterrissage ?
Je ne sais pas, mais je me sens comateuse lorsque je me rends compte que quelqu'un me secoue tandis qu'un autre ouvre les cercles de fer qui entouraient mes poignets.
Je recouvre juste assez mes esprits pour attraper mon dragon avant de sortir à la suite du premier des deux hommes de mon espace réduit, gagnant ainsi le wagon.
Chaque pas me ramène un peu plus de clarté dans mon esprit et il ne me faut guère plus de temps pour comprendre que le vaisseau a bien atterrit, sur Sagan... et qu'il est désert, portes grandes ouvertes. En voyant cela, je marque un léger temps d'arrêt, soudain reprise d'une terrible angoisse.
Devrais-je avoir si peur de l'éventualité de mourir ? J'y étais prête pourtant là-bas, à Astra... mais je n'étais alors pas aussi proche de Gaëtan.
J'ai peur d'un coup monté, d'une trahison. Je jette un coup d'œil à mes deux gardes, agrippant avec force Sobibor, mes doigts glissant sur ses dures écailles polies.
Mais les deux hommes ne paraissent pas particulièrement agressifs et se contentent de me pousser en avant en voyant que je ne bouge plus.
Le plus âgé explique même :
-Une dernière mesure de prudence... Rien de grave.
J'acquiesce, furieuse alors de voir qu'il a si bien pu deviner mes émotions. Mais je parviens à me ressaisir, à me composer comme un masque et à m'avancer vers la lumière qui surgit de l'ouverture béante.
Je marque pourtant un nouveau temps d'arrêt au dessus de la passerelle. Nous sommes dans un espace défriché de forêt visiblement. Si j'avais l'impression que le vaisseau était désert, il n'en est pas de même pour l'espace de terre qui s'étale à mes pieds.
Lorsque je commence d'un pas incertain à descendre, je remarque que les têtes se relèvent vers moi, que les conversations s'éteignent, et pour la première fois de ma vie sans doute, je n'en éprouve aucun plaisir.
Mes yeux cherchent, partout, s'attardent sur chaque visage, chaque coupe de cheveux qui me paraît ressembler à la sienne...
Mais je ne le vois nulle part tandis que je me rapproche de plus en plus du sol. Du sol de Sagan !...
Mon dragon laisse échapper un grognement et un petit cri en battant un peu des ailes :
-Iiiiiiik...
Ça y est. Mon pied, chaussé de fin talon, touche la terre de cette autre planète sur laquelle j'ai moi-même exilés tant de gens.
Me portent-ils dans leurs cœurs ? Au regard qu'ils me lancent tous, j'en doute beaucoup. Mais ce n'est rien comparé à la tristesse qui grandit peu à peu dans mon âme et que je tente sans y parvenir de dominer.
C'est une déception affreuse, une souffrance qui me dévore de l'intérieur tandis que j'ai envie de laisser échapper un gémissement suppliant.
Où es-tu ?
Je me suis immobilisée à deux pas de la passerelle sur la terre ferme. Je ne sais où aller. Gauche, droite, devant ? Me glisser seule entre tous ces gens qui me dévisagent en silence ? Ce lourd silence ? Ces gens qui se sont tous révoltés contre moi ?
Je me retourne mais remarque que les deux hommes qui m'ont surveillée pendant tout le trajet ont disparu. Visiblement je suis censée réagir seule...
Pourquoi ma force me fait-elle soudain défaut ? Parce que l'amour fendille ma carapace, me donne l'impression de manquer d'air et une envie dérisoire de pleurer ?...
C'est alors qu'une voix se fait entendre à ma gauche et que dans le même temps résonne une cavalcade de pas. Quelques secondes plus tard, un jeune homme que je connais bien s'immobilise devant moi mais je ne parviens pas à répondre à son sourire. Je murmure simplement :
-Eric...
-En personne. Je suis chargé de ta sécurité Edy...
M'arracher de la bouche le prénom de Gaëtan est un supplice. Rien qu'en l'entendant, il me semble qu'Eric devinera mes pensées... mais ne pas savoir est une autre forme de torture, bien plus dure à cacher. Alors je murmure d'un ton faussement détaché et narquois :
-Je suppose que c'est à Gaëtan que je dois cette faveur ?
Eric paraît douché dans son enthousiasme et son sourire s'évanouit instantanément. Il admet pourtant en me tournant déjà le dos pour commencer à s'avancer, ce qui m'oblige à le suivre si je ne veux rester seule :
-Oui. Il t'a toujours défendue Edy.
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Intemporel T5 & 6
Science FictionIntemporel Tome 3 : L'ombre du prince Douze années se sont écoulées depuis la naissance des jumelles d'Edilyn et l'envoi d'une équipe de recherche sur Sagan. Si rien n'a vraiment changé à Astra, Azylis, avec l'aide de Christian, recherche plus que j...