Azylis (Chapitre 160)

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Je jette un coup d'œil à Maly avant de demander d'une voix faussement exaspérée :

-Alors on ne sait vraiment pas où elle est passée, hein ?

Imperturbable, mon robot à la peau violette me tend une énième tasse de thé. J'en ai déjà avalé au moins quatre ce matin rien que pour lui faire plaisir.

-Bah Azylis, on la reverra bientôt. Enfin j'espère. En revanche dans quel état... Elle est allée voir les dragons, ça c'est sûr.

Je lève les yeux au ciel en terminant de boucler ma chaussure.

-Hum, je me demande vraiment pourquoi je ne peux pas être entourée de gens raisonnables !

Maly paraît scandalisée :

-Et moi alors ?

Nous échangeons un regard rieur tandis que je demande :

-Qui a accroché au mur une peau de lion la semaine dernière ? Et acheté récemment un hiboux empaillé ?

Maly me met de force sa tasse de thé dans la main avant de répliquer d'un ton faussement neutre :

-C'est très différent. Je suis fan de taxidermie, ce n'est quand même pas ma faute. Et où est le rapport avec être raisonnable ?

Je crois que je vais arrêter là cette discussion. Et essayer de ne pas encore m'inquiéter pour quelqu'un... J'avale sans faire attention le contenu de ma tasse -je jurerai qu'il y a un goût d'abricot et je me demande pendant quelques secondes ce que ça peut bien faire dans un thé avant de me rappeler que c'est Maly qui l'a fait- et demande d'un autre ton :

-Ysa s'en sort comment ?

-Très bien. En politique. Mais à mon avis côté sentiments...

J'avoue avec franchise en regardant mon petit robot préféré :

-Je ne sais pas comment l'aider... Et ça me fait de la peine.

Maly hausse les épaules.

-N'essaie pas Azou. Ta fille détesterait ça... elle est un peu... non, beaucoup, du genre très indépendant.

Comme chaque fois que je pense à Ysaïne, un sourire fleurit sur mes lèvres, me faisant oublier pendant quelques secondes la disparition d'Ady. De toute façon, au fond, je savais bien que la "voix" me filerait entre les doigts...

"Toc, toc". Je me lève, passe mon bras sous un scanner, et la porte coulisse aussitôt. À ma grande surprise, c'est Esteban qui me dévisage. Il paraît plus fatigué ces derniers temps, plus sombre, et je détourne les yeux, devinant qu'il détesterait voir dans mon regard un début de tristesse pour lui.

-Altesse, votre fille vous demande sur la terrasse au niveau quatre-cent-trente.

Il ajoute comme pour se justifier :

-Je l'ai croisée. Elle m'a chargé du message.

Et il tourne les talons. J'hésite une seconde puis le rattrape en quelques pas dans le couloir.

-Esteban ?

-Oui ?

Il se retourne vers moi, le regard neutre, ne laissant rien voir de ses sentiments.

-Je sais ce que vous ressentez. Personne ne vous adresse plus la parole, ne vous parle plus depuis que vous êtes... en froid avec ma fille. Ils évitaient jusqu'à présent de vous montrer leur animosité mais maintenant ils ne s'en privent plus. Vous êtes quelqu'un de bien. Ne l'oubliez pas... Je peux vous comprendre.

Maly qui allait sortir s'est immobilisée dans l'appartement pour ne pas intervenir. Parfois -très rarement !- elle accepte de se faire discrète.

Quelque chose vacille dans le regard d'Esteban tandis que l'expression d'une affreuse solitude et d'une grande douleur envahit ses prunelles, mais il se ressaisit brutalement, me regarde droit dans les yeux et demande :

-Vraiment ?

Et, sans attendre de réponse, il s'éloigne cette fois-ci rapidement dans le couloir, sa cape posé sur l'une de ses épaules suivant les mouvements rapides de son corps.

Il disparaît de ma vue et je reviens vers Maly qui m'adresse un regard désolé.

-Il ne te parlera pas...

-Je sais. J'aurais juste aimé qu'il soit un peu moins seul. Ysaïne... elle devrait aller le voir.

-Mais il le refuse lui-même.

-Elle ne peut pas le laisser tomber...

Maly observe doucement :

-Peut-être, mais que veux-tu qu'elle fasse ? Et puis elle est comme vous tous. Trop fière.

Je laisse échapper un léger sourire aux reflets songeurs.

-Je ne crois pas que ce soit mon pire défaut.

-Non... Mais pour tous les autres Astra si.

Comment démentir ? C'est juste... parfaitement véridique. Je jette un dernier coup d'œil au couloir où vient de disparaître le maire d'Ivy avant d'inspirer et de dire :

-Bon, on va voir pour quelle raison Ysa a besoin de nous ?

-Bien sûr !

Nous nous mettons à marcher d'un pas rapide jusqu'à la salle de transfert la plus proche où nous nous engouffrons rapidement après qu'un garde se soit incliné devant moi et que je lui ai rendu son salut. Une fois à l'intérieur, tandis que je tape rapidement les quelques chiffres sur l'écran tactile, Maly demande, malicieuse :

-Mauvaise ou bonne surprise ? Que paries-tu ?

Je grimace.

-C'est toujours des mauvaises surprises. Enfin là je ne vois vraiment pas de quoi il pourrait s'agir...

Maly esquisse un petit sourire.

-Très bien. Alors je parie le contraire. Bonne surprise. Espèce de défaitiste !

Je lui adresse une petite grimace avant de sortir d'une salle de transfert en tout point identique à la précédente. Mais cette partie-ci du palais est beaucoup plus envahie de gens divers et je suis ralentie dans les couloirs que je traverse avec Maly par toutes les salutations.

Enfin, j'atteins une salle de contrôle informatique -déserte aujourd'hui, ce qui est surprenant, Ysaïne a dû congédier tout le monde- et accélère jusqu'à gagner la terrasse.

Lorsque je sors à l'air libre avec Maly et que je redresse les yeux, mon cœur se bloque dans ma poitrine. Mon robot me donne un léger coup de coude et demande avec un sourire :

-Pari gagné ?

J'acquiesce sans réussir à trouver mes mots. Ma fille se précipite déjà vers moi et s'exclame :

-Maman ! J'étais sûre que vous seriez folle de joie de les revoir !

Je m'avance de quelques pas vers les deux immenses dragons immobiles et Rebelle est la première à allonger son cou écailleux. Avec une émotion me serrant toujours fortement la gorge, j'allonge la main et caresse doucement son front rugueux.

-Qu'est-ce que ça fait plaisir de vous revoir !

-Heureuse également petite humaine !

Satan allonge alors lui aussi la tête et je manque laisser échapper des larmes de joie. Il murmure à son tour :

-Tu nous a un peu manqué à tous les deux...

Je ne pouvais espérer plus beau compliment venant de sa part. C'est alors qu'Ysaïne chuchote doucement à côté de moi pour ne pas rompre la magie de l'instant :

-Maman... Regardez sur son dos !

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant