Ysaïne (Chapitre 163)

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-On ne peut jamais être tranquille ici...

Mon chauffeur se met à sourire et passe une main dans ses cheveux d'un geste mécanique chez lui avant de répliquer :

-Vous êtes la reine. Vous n'espérez quand même pas vous balader en ville sans même un garde ?

Je corrige avec une grimace en jetant un coup d'œil au paysage qui défile des deux côtés de l'aéronef tandis que nous survolons une route lumineuse :

-Un village périphérique... Très différent !

Mon chauffeur/garde du corps ne répond pas tout de suite. Je crois qu'il a compris que dans ces moment-là il ne sert pas à grand chose d'essayer de me raisonner un minimum...

Enfin, j'ai déjà réussi à supprimer l'escorte que l'on voulait m'assigner. Et j'aime bien Denis.

-Nous arrivons bientôt ?

Il hoche la tête et me désigne au loin quelques tours qui se détachent entre les arbres.

-C'est ce village...

Je consulte de nouveau mon écran d'un geste rapide. Les parents d'Esteban habitent carrément dans une tour entière. Ça doit être aussi grand qu'un tiers du palais et je ne vois vraiment pas ce qu'ils font de tout cet espace. Enfin, c'est leur problème.

Quelques minutes plus tard, nous nous posons sur une terrasse. Une fois que nous sommes parfaitement immobiles, je sors de l'aéronef, laisse la demi-porte se refermer derrière moi avant de me diriger vers la première porte. Mais Denis sort lui aussi et je me retourne avec un léger sourire moqueur aux lèvres.

-Je suis en danger de mort ici aussi c'est ça ?

Il doit avoir vingt ans, et c'est peut être l'une des raisons qui fait que je le supporte. Il a mon âge et un minimum d'humour contrairement au précédent garde que l'on prétendait m'imposer.

Mais Denis rétorque :

-On ne sait jamais Maj...

Voyant mon regard il s'empresse de corriger :

-... Ysaïne. Si le chef de la garde m'entend vous parler comme ça...

-Tu ne donnes pas cher de ta peau ! Tu me le dis chaque fois que je te rappelle que j'ai un prénom et que l'on peut se tutoyer.

-Ce qui m'oblige à éviter les phrases verbales et les moments où il faut que je vous interpelle.

Il m'adresse son petit sourire et je hausse les épaules, abandonnant la lutte, avant de me diriger vers la porte de la terrasse de verre.

Je n'ai pas le temps de passer mon bras sous les scanners et de m'avancer que le battant coulisse brusquement, laissant apparaître à ma vue une femme d'une quarantaine d'année, plus peut-être ?, le travail de la chirurgie esthétique rendant difficile le fait de lui donner un âge. Ses cheveux sont d'un rouge pétard et elle porte des vêtements aux couleurs improbables et des cheveux très longs assortis à un léger maquillage, seule chose faite avec modération dans toute sa tenue.

Ses yeux s'agrandissent à ma vue et je n'ai pas le temps de dire un mot qu'elle s'exclame d'une voix de petite fille ravie :

-Ohhhh ! Quel honneur ! Je savaaais que mon trèèès cher fils nous permettrait de faire connaaaaissance. Le cher annnge !

Là-dessus elle me plaque deux baisers sur les joues, me serre contre elle comme si nous nous connaissions depuis toujours, avant de reculer tout sourire vers moi mais regard froidement méprisant pour jauger Denis.

-Entreeez donc !

Je commence vraiment à me demander où j'ai mis les pieds mais obtempère pourtant. La pièce où je pénètre et un grand salon lumineux dont l'un des murs est couvert de photos. Une étagère croule également sous les trophées. Devant ma mine perplexe, Denis me chuchote rapidement :

-C'est Dariela Stern. Une actrice très connue il y a quelques années... elle passait pour être une femme superbe.

Si elle cessait de parler un court instant, je l'apprécierai sûrement beaucoup plus. Nous sommes maintenant assis dans des fauteuils affreusement inconfortables -j'ai l'impression d'être étouffée sous le nombre incroyable de coussins- et sans que je m'en sois aperçue, j'ai un verre empli d'un liquide que je serais bien en peine de nommer à la main.

Lorsque le silence est enfin revenu -Denis n'a pas eu droit à un siège et je lui adresse un regard désolé avant d'apercevoir le sourire qui commence traîtreusement à lui échapper- je peux prendre la parole et demander :

-Donc... Vous êtes bien la mère d'Esteban ? Le maire d'Ivy ?

J'en profite pour discrètement poser mon verre à côté de moi. Je ne suis pas certaine d'avoir envie de goûter à ce drôle de mélange.

Elle hoche la tête, contemple ses ongles impeccablement manucurés avant de dire :

-En effet... Et le cher petit annnge ne m'a pas prééévenu de votre visite sinon je vous assuuuure que j'aurai organisé au moins une réception intime de deux ou trois cent personnes...

Je réussis à me lever de mon fauteuil après deux efforts infructueux et réponds avec un sourire calme :

-À vrai dire ma visite n'était pas prévue... Puis-je savoir où se trouve le cher an... Heu je veux dire Esteban ?

Elle se lève elle aussi mais très rapidement ce qui dénote un formidable entraînement avant de dire :

-Attendez, puis-je d'abord vous présenter Charles ?

Je hausse un sourcil, et elle précise :

-Mon mari. Je suis certaine qu'il vous plaira beaucouuuuup.

Comment Esteban peut-il être ce qu'il est avec une mère pareille ? La curiosité me saisit brusquement et j'acquiesce après avoir échangé un coup d'œil avec Denis.

Dariela me fait traverser quelques pièces que j'ai à peine le temps d'observer -même perchée sur ses talons aiguilles elle avance drôlement vite- et je ne tarde pas à pénétrer dans ce qui ressemble à un confortable bureau. L'homme assis dans un fauteuil d'un vert bouteille élégant me semble être l'exact opposé de sa femme.

Son visage est dur, sec, et toute son attitude respire la rigueur et l'ordre. Lorsqu'il relève la tête vers nous, c'est d'abord avec une moue d'agacement :

-Combien de fois t'ai-je dit que je ne souhaite pas voir tes invités ?

-Enfin Charles, ce ne sont que la reine et son garde du corps...

Hum. Je préférais quand elle oubliait Denis plutôt que le présenter ainsi même si c'est la stricte vérité. À ma grande surprise cependant, Dariela quitte la pièce, nous laissant en présence de son mari qui change radicalement d'attitude et s'incline profondément devant moi.

Je commence à comprendre que l'ancienne actrice n'est probablement pas aussi folle qu'elle le laisse voir... Elle savait que ma présence ferait plaisir à son mari. Enfin, elle doit quand même être sacrément excentrique.

Lorsqu'il se redresse, il demande de sa voix terriblement sèche qu'il tente d'adoucir ou de rendre plus correcte sans y parvenir ce qui donne un drôle de résultat :

-Ce jour restera dans ma mémoire Majesté. Mais je suppose que c'est mon fils que vous souhaitez voir ?

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant