Ysa (Chapitre 60)

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-Je viens me joindre à vous pour combattre la dictature d'Astra. Je n'ai pas de mot de passe mais je ne vois pas comment j'aurai pu l'avoir...

Je baisse légèrement les bras mais l'homme qui vient de parler répond calmement :

-Très bien, tu vas nous précéder... Mais garde les mains en l'air.

J'acquiesce, n'ayant aucune envie de le mettre en colère vu son arme, et attends qu'il m'indique dans quelle direction marcher pour me mettre en route. Il me désigne un passage entre les gravats sur le côté de l'avenue que je m'empresse d'emprunter.

Leurs pas résonnent derrière moi et celui qui me tient en joue reprend la parole :

-C'est bon, tu peux baisser les bras... Encore quelques mètres et on y est.

Je pousse un soupir de soulagement en laissant mes mains retomber le long de mon corps et esquisse même un léger sourire. Quelques secondes plus tard, l'homme m'arrête d'une parole neutre :

-C'est ici, sur ta gauche...

La tour qui se dresse à ma gauche présente la particularité d'avoir une immense ouverture au rez-de-chaussée. Je m'y engouffre sans réfléchir, suivie des deux soldats, et ne tarde pas à rejoindre ce qui ressemble à un immense hangar. Du bruit résonne partout et cela me fait penser à une gigantesque fourmilière. Des hommes et femmes s'agitent dans tous les sens et j'aperçois même plusieurs aéronefs sur le point de démarrer. Des hauts-parleurs aboient des ordres réguliers et je laisse échapper un petit sifflement d'admiration :

-Wahou... Belle organisation... Vous ne vous cachez vraiment pas...

L'homme a baissé derrière moi son arme et esquisse un sourire en disant à l'autre soldat qu'il peut disposer. Je suppose qu'il doit donc être le plus gradé des deux. Il prend ensuite la parole en me faisant cette fois-ci signe de le suivre.

-Nous avons organisé plusieurs centres comme celui-ci. Nous sommes renseignés et Edilyn n'a actuellement pas la force de frappe nécessaire pour nous déloger... Alors nous en profitons un maximum. Nous avons même mis en place des salles d'entraînement provisoire si ça t'intéresse...

Je rétorque avec un sourire tandis que nous nous enfonçons toujours dans la salle :

-Je sais tirer.

L'homme m'adresse un sourire appréciateur et me jauge un instant du regard.

-Quel est ton métier dans la vraie vie ?

-Mmm... Chômeuse.

Il n'insiste pas et détourne la tête avant de se remettre à marcher. Je remarque que les gens s'écartent de son passage et que plusieurs saluent même de la tête. Nous allons bientôt atteindre le fond de la salle et il reprend calmement la parole :

-Au fait, moi c'est Christian. Personne ne m'appelle autrement ici. Et toi ?

Je ne sais pas pourquoi mais j'hésite un bref instant. Un réflexe de ma drôle d'éducation... Je lâche enfin :

-Ysa...

-Alors bienvenue chez les rebelles Ysa... Je vais te laisser attendre ici dans la queue, pour te faire enregistrer. Comme toute cette partie de la ville a été désertée par la population, on t'attribuera une chambre. On est plutôt bien organisé...

Je le rattrape par le bras alors qu'il commence déjà à s'éloigner.

-Attendez ! Vous ne faites pas plus de contrôle ?

-La petite mise en scène de tout à l'heure et les mots de passe c'était pour voir un peu si tu allais aussitôt te dégonfler. Mais on n'a aucun moyen de vérifier ta loyauté pour la cause... Enfin bon, si tu trahis, il y aura toujours tous nos autres soldats pour te descendre. Bonne journée !...

Et il s'éloigne, un sourire amusé et un peu narquois aux lèvres. Fait pour s'entendre avec Idwin celui-là... Penser à lui m'arrache un léger rire et je me décide à faire ce qu'on vient de m'ordonner : me mettre dans l'une des longues files qui patientent devant un assemblage rudimentaire de cartons qui semblent constituer des bureaux.

La file n'avance pas vite et une fille devant moi se retourne brusquement pour me faire face.

-Salut toi ! Tu t'appelles comment ?

Je dévisage la jolie brune aux cheveux foncés pendant quelques secondes, qui doit avoir à peu près mon âge, puis réponds avec un sourire :

-Ysa. Et toi ?

-Camille. Je viens m'engager... Tu t'es décidée quand toi ?

Je me rembrunis. C'est la première fois -mis à part Idwin- que l'on m'interroge aussi directement sur mes motivations. Je choisis la franchise :

-Quand la reine a ordonné l'exécution de cinq mille personnes et qu'elles ont été sauvées grâce aux rebelles... Et toi ?

La fille grimace alors et répond sans enthousiasme :

-Mon frère aîné est devenu garde noir. J'ai été furieuse en l'apprenant et mes parents... complètement effondrés. C'était il y a une semaine. Il m'a fallu quelques jours pour me décider, d'ordinaire je ne suis pas la plus volontaire tu comprends, mais enfin aujourd'hui me voilà et...

-Hem hem... mademoiselle, c'est votre tour !

En effet, on nous pousse un peu derrière. La fille se tourne vers la dame au visage sévère derrière le comptoir improvisé et demande :

-Que suis-je censée vous dire ?

-Prénom, nom, âge.

-Camille Laurent. Dix-neuf ans.

-Bien, chambre commune deux, étage 188 de cette tour.

La fille acquiesce mais me lance un petit clin d'œil en sortant de la queue en lançant :

-Je t'attends !...

J'arrive devant la dame qui note tout sur un large écran et lâche d'un trait :

-Ysa Estona, dix-huit ans.

Mais au lieu de répondre comme pour ma camarade, mon interlocutrice lève la tête et demande :

-C'est vous qui venez d'être amenée ici par le chef Christian ?

Pourquoi est-ce que ça tombe toujours sur moi ? J'entends des murmures derrière moi et distingue quelques phrases comme "elle a rencontré l'un des chefs, tu te rends compte ?", "wahou, c'est un sacré honneur"... Je secoue la tête avec exaspération. On est peut-être encore un peu jeunes pour la guerre... C'est juste un hasard, point. Malencontreux d'ailleurs. Je me décide à répondre :

-Oui, pourquoi ?

-J'ai reçu une note vous concernant. Heureusement que vous n'avez pas un prénom courant... Vous savez tirer ?

Mes doigts pianotent nerveusement sur la caisse du bureau et j'acquiesce. La dame lève un regard neutre vers moi et me tend un papier imprimé en ajoutant :

-Chambre commune deux, étage 188 de cette tour. Voici votre assignation de travail. Normalement vous ne devriez la recevoir que plus tard, mais on a besoin de bons tireurs...

Et elle m'adresse un large sourire, je murmure un brusque "merci, au revoir" en réponse, tandis que je sens quelqu'un me tirer brusquement par le bras et une voix rieuse dire à mon oreille :

-Allez dépêche-toi, on dirait qu'on partage la même chambre ! On ne va quand même pas passer la journée dans cette queue...

J'esquisse un sourire en direction de Camille qui m'entraîne déjà de nouveau dans la foule de la salle et rétorque calmement :

-Certainement, mais pourquoi est-ce que c'est toujours moi qui me fait remarquer ?

Elle hausse les épaules en riant puis en ajoutant plus sérieusement :

-Dans les temps qui courent, je t'envie. Ça te sauvera sûrement la vie de savoir tirer...

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant