Ysaïne (Chapitre 111)

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-Ysa...

-Nooon !...

Je refuse de me retourner, de quitter ne fut-ce qu'une seconde des yeux Christian, pâle comme un linge, sans connaissance devant moi. Deux gardes noirs s'approchent alors lentement. Je veux alors me redresser, prête à me battre contre le monde entier dans ma peine, mais ils déposent lentement leurs armes sur les marches de l'escalier en me fixant des yeux.

Ils s'approchent ensuite sans courir, ne me quittant pas du regard en attendant visiblement ma réaction, et se penchent vers Christian. Je les laisse faire, comprenant à travers mes larmes que ce geste est pour toute cette foule explosive celui de la réconciliation.

Les gardes soulèvent celui qui s'est jeté devant la balle qui m'était destinée et l'un d'eux se tourne vers la personne qui me retient par l'épaule.

-Nous allons l'emmener avec vos hommes en un lieu sûr. Essayer de le soigner.

Je lève la main pour la poser sur celle de ma mère agrippée à mon épaule. Je relève les yeux vers elle et constate que les mêmes larmes roulent hors de ses yeux bleus. Elle me retourne mon regard et murmure alors :

-Une reine ne peut jamais s'arrêter Ysaïne... Il... Il faut continuer.

Je lis sur son visage la souffrance qu'elle éprouve en disant cela et mes yeux se posent de nouveau sur les hommes qui descende l'escalier, portant Christian dans leur bras entre une foule qui s'écarte respectueusement. Je me relève lentement et murmure en réponse à ma mère sans la regarder :

-Pensez-vous que ça c'est passé comme ça ? Pour mon père ?

Elle ne répond rien mais sa main se resserre sur la mienne. Elle lâche alors entre ses larmes :

-C'est une évidence non ? Il a voulu rendre ce qu'il pensait devoir...

Le silence dans le hall immense et sur les centaines de marches de l'escalier est presque palpable. Azylis murmure comme en écho à mes pensées :

-C'est toi qu'ils attendent Ysa... pas moi. Je suis la femme du prince, toi sa fille. À partir d'aujourd'hui ils ne suivront plus que toi...

Je détache alors mes doigts de sa main, et, la gorge serrée par une tristesse que je ne parviens pas à combattre, je lance pourtant en levant le poing vers le ciel, une lueur de vengeance au fond des yeux :

-Allons-y ! Qu'attendons-nous ? Plus rien ne peut sauver Edilyn !

Une clameur immense jaillit de la foule, mais sans trouver d'écho dans mon âme. Et lorsque je veux me retourner vers ma mère, celle-ci semble m'interroger des yeux. Qu'est-ce que je veux exactement pour ma tante ?

Là, tout de suite, j'ai juste envie de répondre sans réfléchir "la mort". Mais je ne veux pas me laisser dominer par mes émotions... la tristesse qui me serre le cœur m'empêche de réfléchir lorsque je reprends ma course dans les escaliers, bientôt suivie de près par les personnes qui comptent le plus pour moi aujourd'hui en dehors de Christian.

Ma mère. Maly, cette étrange mécanique. Camille, qui m'adresse un sourire crispé mais qui a visiblement tout fait pour réussir à me rejoindre à travers la foule. Elle n'a même pas d'armes et semble vraiment faire cette guerre en touriste. La dernière personne à mes côtés, je ne peux pas la regarder dans les yeux.

Parce que ses pupilles ressemblent à deux lacs de feu en fusion. Sarah. Ses lèvres sont serrées et je préfère ne pas voir la colère qui semble animer tout son corps. Ainsi qu'une effroyable douleur.

Je ferme les yeux quelques secondes tandis que mes pieds escaladent mécaniquement les marches de l'escalier. J'atteins enfin la première le palier. Devant tous nos hommes réunis... Qui pourra désormais nous arrêter ?

***

-Stop ! Arrêtez-vous tous !...

Mon ordre suffira-t-il ? Plus personne ne court heureusement. La crainte d'Edilyn est encore si vivace dans les esprits que tous s'immobilisent en entendant mon cri. Dans mon dos, se détachant de l'ombre, sans un garde devant, brille presque d'un éclat étrange la grande double porte derrière laquelle s'est réfugiée Edilyn.

Une seule personne ne m'obéit pas. Il s'agit de Camille. Elle passe devant moi, va jusqu'au bout du couloir dans le plus complet des silences, et se penche sous mes yeux inquiets vers le sol ou elle ramasse un papier blanc.

Elle revient vers nous, Azylis et moi, et me tend la lettre d'une main tremblante. Elle murmure à travers ses larmes :

-Je suis désolée pour Christian... Il va s'en sortir j'en suis certaine !

Puis elle recule d'un pas pour rejoindre le premier rang de notre armée. Nous avons divisé nos forces et c'est seulement un petit escadron qui occupe le couloir. Mais pour le moment, tout m'est égal. Je ne vois que la lettre entre mes doigts et son inscription.

Pour la princesse Ysaïne Astra, fille de Gabriel.

Des tâches humides parsèment le papier. Des larmes ? Je ne peux croire que ce papier provienne du monstre contre qui mon âme entière crie vengeance. Je déplie la lettre en tâchant de retenir mes émotions sans vraiment y parvenir.

Ma nièce,
Tu me permets de t'appeler comme ça j'espère ? Je n'ai plus aucune chance. Accepteras tu de prendre un dernier risque ? Si vous entrez tous dans cette pièce, je me défendrai jusqu'à mon dernier souffle. Tu me connais. Pas autant que ta mère bien sûr, la si merveilleuse Azylis d'Alcy, la femme que mon frère aimait tant ! Je réalise en t'écrivant que je n'ai jamais cessé de la jalouser. Curieux non ? Je vais mourir. C'est une évidence. Alors je te propose un pacte. Entre seule... Je me rendrai. Tu as ma parole. L'autre condition est que tu acceptes de gracier trois personnes de mon choix. Esteban, le maire d'Ivy, même si je doute qu'il soit réellement en danger. Le roi de l'Eveland, Ezeor. Et enfin son fils, Idwin, dont je crois que tu le connais assez pour savoir de qui je veux parler... Je n'aurai accepté de déposer les armes que devant mon frère. Il n'est plus là. Je l'ai tué et je n'ai jamais pu l'oublier. Mais tu es sa fille. Et celle qui aimait mes enfants... Alors je le répète, entre seule et je me rendrai... Me feras-tu confiance ? Je suis dangereuse... Nous nous ressemblons tellement toi et moi ! Mais je n'arrive pas à déterminer à quel point tu es le portrait de Gabriel. Lui serait venu sans hésitation. Ça lui a joué bien des tours. La mort de Sady qui n'a cessé de ruiner sa vie... Si tu entres seule, cela voudra dire que tu acceptes mes conditions. La liberté de ceux que j'ai cités plus haut. Je n'arrive pas à déterminer si tu viendras. Il n'y a pas de piège. Tu as ma parole. Je me rendrai. Mais viens seule...
La reine, Edilyn Astra.

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant