Idwin (Chapitre 189)

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-Qu'y a-t-il Dill ?

Je me suis adouci. C'est le seul homme qui me parle encore dans le palais et le voir me fait un bien fou. Je suis dans l'une des salles désertées par la foule qui l'habite habituellement, courtisans, ect, et attends avec une légère inquiétude la réponse de mon garde.

Celui-ci passe une main dans ses cheveux sombres d'un geste trahissant son épuisement avant de lâcher :

-J'ai reçu le conseil de quitter le palais avant cinq heures de l'après midi. Je pense que c'est sérieux Altesse... je suis certain que nous devons partir d'urgence.

L'homme qui me détestait encore il y a peu m'apprécie maintenant. C'est devenu réciproque... Depuis que j'ai pris la décision de rester, depuis qu'il a tenu dans ses bras notre petite Esdera...

Je ne le vois plus comme un subalterne à houspiller mais comme un ami, un vrai. Pourquoi n'ai-je pas compris plus tôt les rapports humains et la joie qu'ils peuvent procurer ? Sans doute en grande partie à cause de mon père...

J'enfile une paire de gants, avant de demander d'une voix que j'espère neutre :

-L'autre nouvelle Dill ?

-Un aéronef s'est posé sur l'une des terrasses et vous avez une visiteuse...

Mes sourcils se froncent tandis que je demande :

-N'avais-je pas interdit toute visite ?

-Celle-ci est un peu particulière et...

-Elle se met en danger ! La sotte, qui est-elle ?

Dill n'a pas le temps de répondre que la porte du salon s'ouvre en grand et qu'une petite furie se précipite vers moi. Quelques secondes plus tard, je serre dans mes bras sans comprendre ma femme qui murmure entre ses pleurs :

-J'ai eu tellement tort de partir...

C'est comme si une horreur indescriptible m'envahissait tout entier, m'empêchant de réfléchir. Je me recule légèrement de Tiara et jette un regard désespéré à Dill qui esquisse un sourire triste, lui demandant simplement :

-Tu peux surveiller la porte de la salle quelques minutes en nous laissant seuls s'il te plaît ?

Il acquiesce, esquisse une simple révérence, avant de sortir du salon. Je prends alors dans mes mains le visage de ma jeune femme et demande avec désespoir :

-Pourquoi es-tu revenue ? Oh, Tiara, comment as-tu pu faire cette bêtise ?

Elle fixe ses yeux dans les miens, rougissante comme d'habitude, le front brûlant, mais sans baisser les yeux.

-Ça ne se faisait pas de t'abandonner. Tu es mon mari après tout...

-Mais tu ne comprends pas ! Ils vont détruire le palais avant cinq heures ce soir, la moitié de mes gardes restants s'enfuient déjà !

Elle se contente de se rapprocher de moi et de poser sa tête sur ma poitrine, murmurant ensuite :

-Alors partons Idwin. Il n'est que temps... Personne ne pourra t'accuser de lâcheté.

Pour la première fois de ma vie, je ne suis pas furieux que quelqu'un ait pu si facilement lire en moi. Je caresse doucement ses cheveux, avant de répondre dans un souffle par une question :

-Esdera ?...

-En sécurité, à Astra. Nous pouvons la rejoindre...

-Tu as dit tout à l'heure que tu ne pouvais pas m'abandonner...

Elle recule, fixant ses yeux dans les miens, avant de détourner la tête et d'avouer :

-C'est vrai...

Le mélange d'émotions qui m'envahit est si divers que je ne saurais le définir. Je me contente de la serrer de nouveau très fort contre moi et de murmurer d'une voix sourde :

-Tu viens de me faire comprendre quelque chose Tiara...

-Quoi ?

-Que tu étais bien plus importante à mes yeux que tout l'honneur du monde et que ce pays dont je n'ai jamais voulu...

Elle recule, me fixe de nouveau, et demande alors d'une voix étranglée :

-Donc nous partons ?

Je hoche lentement la tête, retrouvant un pâle sourire. Je suis décidé maintenant et il n'y a plus trace d'hésitation dans mon cœur.

-Oui. Allons retrouver Esdera...!

Je relève ensuite la tête tandis qu'elle m'adresse un sourire splendide, les yeux illuminés d'étoiles, et je crie :

-Dill !

Il rentre aussitôt dans la pièce, arme au poing, avant de refermer la porte. Il marche ensuite jusqu'à nous et demande :

-Que voulez-vous ?

-Partir dès que possible. On peut le faire maintenant ?

Il jette un coup d'œil à l'écran qui brille à son poignet. J'ai toujours curieusement détesté toute la technologique qui nous entoure car il me semble depuis longtemps qu'elle ne fait qu'entraîner une sorte de dépendance... je n'en ai donc pas sur moi pour ma part.

-Il est quatre heures Altesse...

Non. Mourir maintenant n'est plus possible avec Tiara que je veux sauver de ce guêpier à tous prix... Elle demande déjà d'une voix grave :

-Et quand prévoyez vous les premières attaques ?

-Dans moins d'une heure.

Je perds deux minutes à contempler en silence Dill, réfléchissant, avant de crier :

-Alors on ne peut plus tergiverser. On y va... ton aéronef est où Tiara ?

Les autres... j'ai pris l'habitude pour chacun de mes déplacements de vérifier qu'ils n'avaient pas été sabotés. Et là je n'ai absolument pas le temps.

Tiara court déjà vers la porte, nous montrant la voie, lorsque je me précipite vers Dill et lui murmure :

-Tu viens avec nous... Je doute que les autres te fassent une fleur vu ta fidélité malgré le fait qu'ils t'aient prévenu comme les autres pour faire fuir nos gardes...

Il réponds avec franchise :

-En effet. Merci.

J'hésite puis ajoute dans un souffle avant de me remettre à courir :

-Si jamais il fallait faire un choix... Sauve Tiara.

Il s'incline et répond du même ton :

-Oui mon prince.

Jamais il ne m'avait appelé ainsi et ma gorge se serre. Trop tard pour comprendre la valeur de la fidélité, tout ce que j'aurais pu faire de l'Eveland... Trop tard.

Je me mets à courir derrière Tiara, suivi de près par Dill qui est nettement plus entraîné que moi, avant d'accélérer en entendant soudain des cris lointains.

Je n'ai pas d'écran, pas de moyens de connaître l'heure mais tout cela n'a plus aucune importance.

Il n'y a que Tiara à sauver, que cette menue silhouette qui court devant moi qui compte.

Je voulais faire au moins une chose de bien dans ma vie : mourir.

Suis-je stupide... Non, ce que je vais réussir dans ma vie, c'est sauver la seule femme qui m'ait jamais vraiment aimé.

Tiara. Et de là-haut je pourrais peut-être veiller sur elle et cette enfant que j'adore maintenant plus que tout au monde...

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant