Ysaïne (Chapitre 88)

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L'écran change tout à coup de couleur devant nous et le visage de mon guide avec la mention "recherché" apparaît alors à cet instant précis. Il blêmit mais se tourne presque aussitôt vers moi dans un mouvement si rapide qu'il défie sans doute les lois de la physique.

-Vous serez moins repérable sans moi maintenant... Courez !

Mais je me surprends à ne pas bouger, en plein désarroi. Je demande d'une voix brusque :

-Pour quelle raison m'avez-vous aidée ?

Il semble comprendre que je ne partirai pas sans savoir et murmure précipitamment :

-Pour votre père. Il aurait fait un roi formidable... Je le pense depuis longtemps et lorsque le maire...

-Esteban ?...

Il esquisse un sourire sarcastique lorsque je croise ses yeux et demande :

-Mais que croyez-vous ? Il vous a sauvé la vie... À mon avis il vous aime, mais il ne vous aurait jamais sauvé pour cette unique raison. C'est juste que pour lui on ne touche pas à la vie d'une personne de sang royal...

Je porte instinctivement la main à mes cheveux bleus mais le garde ne me laisse même pas le temps de remettre de l'ordre dans mes pensées. Il faut dire que j'entends comme lui de trop nombreux pas dans le couloir... Et la pièce n'a pas d'autres issues. J'ai beau regarder de tout côté, je ne vois aucune autre porte. Je suis piégée.

Mais le garde est déjà près de moi et me pousse sans ménagement en me hurlant aux oreilles :

-Mais réfléchissez ! Vous êtes venue comment ?...

Les fenêtres bien sûr... Je veux me tourner vers lui mais il m'en empêche en se déplaçant de façon à faire face à la porte et je murmure d'une voix pressante :

-Esteban m'a sauvée, vous aussi, je ne peux pas...

-Alors au lieu de dire des choses pareilles, avancez sinon ce sera vraiment un gâchis complet... Vous me mettez encore plus en danger en restant là.

Mon instinct de survie prend alors le dessus et, serrant ma sacoche contre moi, je me précipite vers l'une des baies vitrées. Au moment où elle coulisse sur le côté, la porte vole en éclats. Elle ne devait même pas être fermée à clef pourtant mais de toute évidence ils n'ont même pas pris la peine de réfléchir...

Mon souffle s'accélère et je me précipite en avant sans réfléchir. Mes pieds glissent sur le verre mouillé et je résiste à l'envie instinctive de rabaisser ma capuche sur mes cheveux. Je n'ai pas la moindre seconde à perdre. La pluie... Il ne manquait plus que cela.

Je ne me retourne pas vers le bruit que j'entends derrière moi et enjambe fébrilement le rebord de la barrière de protection pour commencer à descendre le long de la paroi.

Mais je n'ai plus mes crampons aimantés... Et la pluie rend le verre si glissant... Un énorme fracas résonne tout à coup au-dessus de moi et je me plaque sur la façade. Les gardes viennent de sortir et leurs yeux fouillent l'obscurité. Une boule d'angoisse me serre la gorge tandis que je me prends à espérer désespérément que l'homme qui m'a sauvé la vie ne soit pas mort.

Je ne suis que trois mètres en dessous de la plateforme et la pluie s'infiltre dans mes vêtements tandis que je m'efforce de toutes mes forces de m'accrocher en ne me posant pas trop de questions sur ce que je vais bien pouvoir faire ensuite. Comment puis-je espérer atteindre le sol en un seul morceau ? J'entends des voix au-dessus de moi mais l'averse m'empêche de distinguer chacun des mots.

-Ou est partie la fille ?...

-... tombée sans doute...

-... On ne voit rien avec la nuit...

-Où sont les projecteurs ?... Ah oui, hors service avant... remettre les circuits en route...

Ainsi la nuit me protège. Je m'accroche désespérément à cette idée en même temps qu'au mur et deux larmes roulent sur mes joues tandis que je reste parfaitement immobile pour ne pas que les gardes me repèrent.

Mon âme est sans dessus dessous et j'ai l'impression de perdre tous mes repères. D'abord le robot, le garde, et maintenant Esteban... Trop, c'est beaucoup trop pour moi.

Et cet homme qui disait qu'il devait m'aimer mais que ce n'était pas pour cela qu'il m'avait sauvé. Ma gorge se serre un peu plus lorsque je repense à ses paroles. C'était parce que je suis la princesse...

La pluie me plaque les cheveux contre le dos et mes joues et je sens le froid m'envahir encore un peu plus. Je ferme quelques secondes les yeux, puis les rouvre, avant de recommencer lentement à descendre. Mes doigts s'agrippent aux minuscules anfractuosités et je me surprends à espérer très fort que si mon père a réussi un jour cette escalade pour je ne sais quelle raison, alors je devrais tenir aussi. Ne pas regarder en bas surtout.

Esteban, m'aimer ? Je commence à en avoir vraiment assez de ces histoires de chevaliers servants... Je sens que je vais très vite regretter ma petite vie tranquille avant tout cela lorsque j'étais juste avec mon chat...

Mais on ne peut jamais revenir en arrière. J'entends alors un cri au-dessus de moi qui me sort de ma rêverie et je lève la tête pour regarder en m'immobilisant. La pluie dégouline alors un peu plus sur mon visage et je m'efforce à me plaquer un peu plus contre la façade. Mais quelque chose me saisit alors au cœur et je me mords violemment les lèvres jusqu'au sang. Les projecteurs... Enfin, un seul, donc tous les circuits ne doivent pas encore avoir été tous rebranchés...

Je jette un regard en-dessous de moi. La plateforme suivante et à un peu plus de deux mètres. La fatigue tend maintenant chacun de mes muscles et j'hésite quelques secondes à me laisser carrément tomber sur la surface dure. Je n'ai pas vraiment l'occasion de choisir car un léger cri retentit en dessous de moi et je tressaille de surprise, perdant ainsi mon peu de prise sur la façade.

Je tombe en chute libre sans un cri, consciente que le moindre bruit pourrait me faire tuer, mais me redresse brusquement à peine ai-je touché terre malgré la douleur qui se réveille dans ma main gauche. Debout, haletante, je murmure :

-Qui va là ?...

La lumière de l'unique projecteur continue de trouer la nuit sans cependant se poser sur moi encore et je sens mon cœur se serrer en songeant que dans un peu moins d'une heure maintenant il fera jour... Et que le courant électrique sera probablement très vite de retour...

Mais j'abandonne rapidement mes pensées pour plonger une main d'un geste preste dans ma sacoche. Une silhouette vient de jaillir de l'ombre et la peur m'enveloppe comme une flamme brûlante.

En scrutant le visage silencieux qui me fait face, je me détends pourtant très légèrement. Je murmure :

-Le robot...

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant