Ysa (Chapitre 47)

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-Regarde !

Je lève la tête et éclate de rire. Je n'aurai jamais imaginé une telle situation : une matinée normale. Je jette un coup d'œil à Idwin avant de regarder le paysage une nouvelle fois autour de moi.

Nous sommes dans l'un des parcs naturels du sud d'Ivy. Et au bord du lac il n'y a que nous. L'endroit est désert en ce début de matinée... Idwin me désigne un cigne blanc qui descend avec une grâce infinie vers la surface miroitante du lac en l'effleurant au passage.

-Je n'étais jamais venue ici...

Le prince hausse les épaules.

-Je ne sais pas ce qui m'a pris de te proposer de venir avec moi... Mais j'aime cet endroit. Simplement d'habitude je ne le partage pas !

J'esquisse un sourire ironique.

-Je devrai me sentir flattée ?

Mais avant qu'il puisse répondre, je me rembrunis et me mords violemment les lèvres. J'ai encore plusieurs bandages et les médecins n'étaient au début pas d'accord pour me laisser sortir... Je ne leur ai pas vraiment laissé le choix. Je me suis enfuie avec la complicité d'Idwin...

Il semble remarquer mon soudain silence car il demande d'une voix neutre :

-Quelque chose qui ne va pas ?

-Je pense à tous ces gens qui mourront cette après-midi...

Idwin hausse les épaules. Il se lève ensuite tandis que je reste assise. Je n'arrive pas à oublier ce qui va se passer... Mais il éclate soudain d'un grand rire et je sens la colère m'envahir :

-Qu'est-ce qui te fait rire dans la situation ?

Je suis deja à mon tour debout comme une furie et nous nous dévisageons avec des yeux lançant des éclairs.

Il hausse alors avec effronterie les épaules et m'adresse un sourire taquin.

-Je viens juste de penser que mon père avait tord d'être furieux de n'avoir pas pu épouser cette furie...

Sa remarque fait retomber net ma colère tant je suis stupéfaite. J'oublie le cadre idyllique qui m'entoure et ne pense plus qu'à ce qu'il vient de dire.

-Ton père a fait une demande en mariage à la reine ?

Idwin hoche la tête d'un air sombre avant de répondre :

-Exactement... Et j'ai servis d'intermédiaire. Entre les deux et pour les deux annonces ça ne s'est pas très bien passé...

-Comment Edilyn t'a-t-elle reçu ?

Une étincelle amusée brille dans mes yeux car je me sens totalement incapable d'imaginer une situation pareille. Mais Idwin paraît soudain furieux et il donne un coup de pied inutile dans l'herbe devant lui avant de cracher quelques mots :

-Je me suis pris une balle...

-Elle t'a tiré dessus !

-Non. Ai-je dit que c'était elle ? Mais je me vengerai... ça, tu peux y compter.

Je regrette de l'avoir lancé sur un tel sujet et ne cherche pas à en savoir plus. Là pour le moment, ce que j'aimerai vraiment, c'est retrouver un peu de tranquillité...

Il me tourne le dos et avance droit devant lui. J'hésite un moment à l'abandonner à sa mauvaise humeur mais un détail me décide à courir après lui et à le rejoindre. Je le force à se tourner de nouveau vers moi.

-Idwin ! Tu t'aies pris une balle à cause d'Edilyn... Ce qui explique ta blessure d'ailleurs. Mais tu as parlé de ton père ?

Il affronte alors mon regard. J'ai du cran et l'habitude de ne jamais reculer mais si ce n'était pas le cas... Il me semble un bref instant que ses pupille sont dilatées sous l'effet de la colère et une veine s'agite sur sa tempe trop vite.

-Mon père n'est jamais tendre pour les échecs. Mais comme il n'était pas devant moi, je m'en suis sorti cette fois-ci sans trop de difficultés...

Le narquois prince Idwin aurait donc des failles... Je reste stupéfaite et ne trouve aucune de mes habituelles réparties. Je me contente de demander :

-Et que t'aurait-il fait s'il t'avais eu devant toi ?

-Il m'aurait fait battre bien sûr.

Et ses lèvres se contractent sous l'effet de la colère. Il me semble alors qu'il ne fait plus aussi beau que deux minutes auparavant et je resserre ma veste d'un geste mécanique. Une feuille orangée portée par le vent vient me caresser la joue tandis que je garde le silence.

Du peu que je connais d'Idwin, je sais que nous nous ressemblons. Et je détesterai dans un pareil moment que l'on tente n'importe quelle parole de réconfort.

Il se remet alors en marche et je suis le mouvement, sur le sentier entre les arbres. Au bout de quelques instants, je me décide à dire :

-Je ne crois pas pouvoir dire que mon enfance a été meilleure que la tienne. Je n'ai jamais été battue mais... j'ai grandis avec la sensation d'un danger permanent. Je n'ai pas aimé mes première années...

Il ralentit le pas tandis qu'une nouvelle bourrasque de vent soulève mes cheveux. Dire qu'on est déjà en automne...

Idwin brise alors de nouveau le silence en murmurant de sa voix hautaine si caractéristique :

-Tes parents sont toujours en vie ?

-La femme qui m'a élevée est morte.

-Je suis désolé.

-Tu n'en penses pas un mot.

Je m'arrête et il s'immobilise également. Nous sommes à un tournant de l'allée entre les arbres et j'attends qu'il réponde avec calme. Ses lèvres finissent par s'étirer en un fin sourire :

-Tu as raison. C'est peut-être pour ça que je t'ai parlé de moi. On se ressemble...

Je sens la malice m'envahir et je rétorque :

-Pas tant que ça ! Je te rappelle que nous ne sommes pas du même monde...

Il éclate alors d'un grand rire avant de répondre :

-C'est vrai, je crois bien que je l'avais oublié un très bref instant ! Mais tu as un don pour ne respecter personne...

-Ne pas respecter ton statut de prince tu veux dire ? Ça ne m'impressionne pas, c'est tout...

Un rayon de soleil se reflète alors dans ses cheveux dorés et je retiens un sourire amusé. Le moment est presque poétique. J'ai l'impression que c'est le calme avant la tempête.

Mais Idwin change brusquement de sujet.

-Ysa ? Tu aimes vraiment les deux princesses ?

Je le regarde avec surprise puis réponds franchement et sans hésitation :

-Oui. J'ai risqué ma vie pour elles je te rappelle... et j'irai les voir tout à l'heure... heureusement qu'elles vont mieux ! J'apprécie beaucoup Saldya et elles me font toutes les deux pitié...

Idwin détourne la tête et serre les poings. Lorsqu'il se tourne de nouveau vers moi, il demande avec un brin de colère :

-Heureusement que monsieur le maire se remet lui aussi...

Je n'ai jamais été patiente. Et je n'ai jamais su non plus garder mes pensées pour moi.

-Serais-tu jaloux Idwin ? Parce que je trouve que tu en donnes beaucoup l'impression !

Ses yeux s'enflamment alors un peu plus et il hurle :

-Et si je l'étais effectivement ? Qu'est-ce que ça changerait pour toi ? Pose toi la question et reviens me voir quand tu auras la réponse !...

Et il tourne brusquement les talons sans me laisser le temps de réagir. Mais alors que je m'apprête à répliquer, sans savoir quoi dire tant ce qu'il vient d'avouer me déstabilise, il s'immobilise à trois mètres devant moi et demande sans se retourner :

-Une dernière chose... Vouloir me venger de la personne qui m'a tiré dessus est légitime, non ?

Il me semble alors que ma réponse peut changer quelque chose. Quelque chose de grave. Mais que je n'en maîtrise pas les conséquences... L'esprit retourné par tout ce qu'il vient de me dire, je me décide pourtant à répondre de nouveau avec franchise :

-Parfaitement légitime Idwin.

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant