Mahaut (Chapitre 58)

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Jamais je ne me suis sentie aussi perdue qu'aujourd'hui. Lydie tente de me calmer et je l'entends dire dans ma tête tandis que les gardes m'entraînent en avant :

-Mahaut, calme-toi ! On dirait qu'on te mène au bûcher...

Un gémissement m'échappe tandis que je rétorque dans mon esprit à Lydie :

-Tu ne peux pas savoir ce que c'est... Ça faisait des années que j'oubliais régulièrement toute ma vie... avant l'arrivée d'Azylis. Et voilà que tout recommence...

La panique m'envahit de nouveau et je me force à ordonner mes mouvements et à me concentrer sur ma marche entre les deux gardes. Pourtant, lorsque je lève la tête et aperçois la porte devant moi, je sens de nouveau mon rythme électrique s'accélérer. Lydie murmure :

-Je sais tout ça... Mais arrête de t'inquiéter. Je suis sûre qu'on arrivera à tout reconstruire.

-Vraiment ?

-Fais-moi confiance Mahaut...

La porte s'ouvre devant moi et les soldats me font signe d'avancer sans savoir que je continue de converser avec moi même. Je me détends très légèrement et rentre la tête haute dans la pièce dont je n'ai aucun souvenirs alors que j'y suis logiquement entrée des dizaines de fois pour oublier ma vie. Un sourire me monte alors aux lèvres et je murmure dans mon esprit :

-Heureusement qu'on est deux Lydie. Tu ne voudrais pas prendre les commandes ?

Silence. Je devine alors qu'elle aussi est hantée à l'idée de perdre tous ses souvenirs mais qu'elle essaie d'oublier sa peur pour moi. Ça me touche et je réponds sans lui laisser le temps de prendre la parole :

-Non. Je... Je vais garder le contrôle.

-Je... Je crois que c'est préférable.

Nous ne sentons pas les émotions l'une de l'autre. Sauf quand nous les partageons volontairement. Je me force à me calmer un peu plus et décrispe mes doigts. Les gardes sont derrière moi et un homme en blouse blanche s'avance dans ma direction. Je ne vois que lui et les outils qu'il tient dans la main.

Il m'adresse un sourire que je trouve grimaçant et les battements de mon cœur électronique s'accélèrent. Il demande :

-Mahaut c'est ça ? On m'a parlé de ton cas... Très spécial.

Lydie grogne dans notre esprit en même temps que moi :

-Non mais ma parole il nous prend pour un animal de laboratoire ! Si on lui en laissait le temps, tu paries qu'il voudrait nous étudier ?

Elle m'arrache un léger sourire qui s'éteint sur mes lèvres lorsque l'homme me fait signe de me diriger vers un petit couloir sur ma droite.

Je m'exécute en silence et marche dans la direction qu'il me désigne. Je m'arrête devant une grande porte métallique blindée. Une femme, en uniforme de garde noir, monte la garde.

Lydie prend soudain les commandes et demande d'un ton narquois :

-Suis-je si dangereuse ?...

Semblant regretter son emportement, Lydie me laisse ensuite de nouveau le contrôle. Mais la garde ne réagit pas du tout comme je m'y attendais. Elle se penche vers moi, et, avant que j'ai pu réagir, glisse sous mon tee-shirt une grande feuille de papier et un vieux stylo à projecteur. Elle chuchote très vite :

-Vous avez un message à transmettre à Azylis ? Je le porterai... Écrivez avant de perdre vos souvenirs... Vous avez ma parole que je lui donnerai !

Ses yeux sont humides. J'ai presque l'impression qu'elle me supplie. Sous le choc, submergée d'un nouvel espoir, j'acquiesce rapidement.

La femme s'écarte alors prestement de moi et je sens une main se poser sur mon épaule. L'homme en blouse... Mon échange avec la garde n'a duré que quelques secondes. Mais j'ai l'impression que le stylo et la feuille me brûlent la peau... Heureusement que ma ceinture les empêche de tomber.

Avec un grand sourire faux, l'homme ouvre la porte et me fait signe d'avancer. J'entre à l'intérieur. Des murs capitonnés. Une toute petite surface et des murs entièrement blancs.

Dans un mouvement que je ne maîtrise pas, je m'apprête à m'assoir sur le sol. Mais l'homme en blouse me retient par le bras en disant :

-On dirait que tu oublies quelque chose...

Avec toujours au visage son odieux sourire poli, il sort d'une de ces poches quelques outils et ouvre mon bras. Il sort plusieurs fils avant de trouver le bon endroit -cela ne me fait évidemment rien puisque je suis un robot- et branche brusquement un petit appareil qu'il tenait à la main. Il le retire ensuite avec un sourire fade toujours au lèvres.

Il sort ensuite une seringue de sa poche et je ne peux m'empêcher de demander en tremblant tandis que Lydie tente de me calmer :

-N'avez-vous pas terminé ?

-C'est un processus spécial pour votre double personnalité. Un composé chimique très efficace...

Et il pique l'un de mes circuits principaux. L'aiguille s'enfonce dans ma "peau" et je songe avec une sensation amère que tout est bien fini maintenant.

L'homme retire ensuite la seringue et précise en rangeant ses outils :

-On te répare dans une heure, ne t'inquiète pas...

Je contemple d'un regard atone mon bras droit où les fils sont visibles et acquiesce. Tout se mélange déjà dans ma tête et les pensées de Lydie commencent à se mêler aux miennes sans ordre cohérent.

Quelques minutes plus tard, je suis seule dans la pièce. Je me laisse alors tomber contre le mur et étouffe un léger cri de colère et de désespoir mêlé.

Mais il y a encore une chance... Cette unique lettre que j'ai le droit d'écrire. Les doigts malhabiles, je prends sous mon tee-shirt la feuille de papier et le stylo.

Je murmure entre mes dents serrées :

-Toute une vie à faire tenir là-dedans...

Mais Lydie intervient dans un cri :

-Attention ! C'est peut-être un piège... Ne donne pas de précision...

J'acquiesce et réponds avec un léger sourire :

-Oui, je ferai attention. Mais je crois qu'elle était sincère... La seule chose qui me désole, c'est que je ne pourrai pas lire ma propre lettre à... à la fin de tout ça.

Lydie rétorque avez douceur :

-Ça m'étonnerai Mahaut. Azylis nous retrouvera, ça, j'en suis certaine !

J'éclate de rire même si j'ai conscience de perdre des minutes précieuses tandis que les produits se répandent dans mes veines. Mais je murmure à haute voix :

-Qu'est-ce qu'elle va me manquer Azylis... Je ne m'amuserais pas autant sans elle !

Puis, serrant entre mes doigts le stylo, je commence à écrire...

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant