Ysaïne (Chapitre 153)

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Je suis allongée sur mon lit dans le noir. J'ai quitté tout à l'heure brusquement sans réfléchir Idwin...

Je crois qu'il était aussi perdu que moi. Que s'est-il passé là-bas sur la terrasse ? Qu'est-ce qui m'a pris ? Je me maudis moi-même en laissant errer mon regard vers ma fenêtre dans la pénombre.

Pourtant, là, malgré toute ma culpabilité, j'aimerais qu'il me serre de nouveau dans ses bras forts et musclés. J'aimerais revoir cette étincelle de regret dans ses yeux lorsque j'ai disparu de la surface de verre à l'air libre.

Avant de m'enfuir aussi précipitamment, je n'ai pris que le temps de lui dire que Tiara nous avait vu. Ses mâchoires se sont durcies mais il n'a rien répondu.

Qu'espérai-je au juste ? Qu'il me dirait que cela n'avait aucune importance parce qu'elle ne comptait plus ?

Mais je me revois de mon côté jurant à Esteban qu'Idwin n'avait plus la moindre importance lui non plus et mon cœur se serre. Je donne un coup de poing rageur et inutile sur mon oreiller. Pourquoi rien ne peut-il jamais être simple ?

Pourquoi ne puis-je pas faire le vide dans ma tête pour me comprendre moi même ?

Où a disparu Christian ? Là tout de suite, j'aimerais aller le trouver et me confier à lui... Depuis quelques temps, il est comme un père de substitution pour moi. Je sais, je sens au plus profond de moi-même qu'il aime Azylis. Et si au départ je détestai cette idée, j'en suis venue à le comprendre. À l'apprécier, et à lui souhaiter d'être heureux. En ramenant définitivement un merveilleux rire sur les lèvres de ma mère.

Mais rien n'est jamais simple. Rien. Et par moment je me prends même à détester cette idée, repensant à mon père, le prince Gabriel, avec une admiration et un amour tel que je ne peux alors m'empêcher de penser que Christian ne pourra et ne devra jamais le remplacer.

Je me force à essayer de me détendre. Mes poings sont crispés et je sais bien que ce n'est pas comme cela que je parviendrais à m'endormir. Et une rude journée m'attend demain.

Mais je ne peux pas. Je ne peux pas ne plus penser à toutes les questions qui tourbillonnent dans ma tête. Idwin... Je tressaille dans le noir en repensant à lui. À ses lèvres sur les miennes. Je ne devrais pas. Je ne devrais plus !

Esteban... Je ne pense pas à lui de la même manière. Mais je lui fais aveuglement confiance. Et je sais qu'avec le temps je pourrais l'aimer... Si Idwin ne reparaissait pas tout à coup à ma vue à chaque moment où je suis prête à changer.

Ma respiration est trop rapide. Je ne suis pas prête de me calmer. Je jette un coup d'œil à l'un des écrans du mur face à moi. Il affiche trois heures quarante-cinq. Je n'ai plus beaucoup de temps de sommeil devant moi...

Je pousse un soupir, écarte d'un geste vif la fine couverture électro-chauffante de mes jambes avant de me lever. Je me dirige vers la fenêtre, l'entrouvre, et m'assois au pied du mur, dans le courant d'air. Mais la sensation de fraîcheur sur mon visage ne fait que me rappeler en boucle ce baiser échangé et au lieu de faire baisser ma température, je sens la fièvre s'emparer de moi.

Je tremble un peu. Je suis reine. Je suis seule. J'hésite quelques secondes. J'ai besoin de voir quelqu'un, maintenant.

Je me relève sans un bruit et observe quelques secondes l'écran sur le mur. Puis je me décide à m'en approcher et programme un message vocal de quelques mots. Un léger "bip" m'indique qu'il est parti et je n'ai alors plus qu'à aller me rassoir sur mon lit en attendant l'arrivée de Camille.

Elle débarque moins de deux minutes plus tard. Les gardes ont des ordres pour laisser passer mes proches jour et nuit... et de toute façon je les ai écarté de mes appartements, détestant l'idée que tout le monde sache à toute heure ce que je faisais.

À peine Camille m'a-t-elle aperçue que, sans allumer la lumière et après avoir refermé la porte, elle se précipite à mes côtés. Elle avait mon chat dans les bras -il ne la quitte plus-, et elle le laisse un peu violemment tomber au sol. Il laisse échapper un "miaou" indigné. Je n'ai même pas le temps de parler qu'elle pose une main sur mon front en disant à toute vitesse :

-Fièvre sibérienne, pneumonie ? Non ? Tectonimie ? Agacanderie ? Attend je sais !... Tu es atteinte de...

J'écarte doucement mais fermement sa main et elle paraît un peu se calmer. Elle pousse un soupir de soulagement :

-Ouf ! En état de marcher visiblement...

J'avais raison de l'appeler. Je lui ai peut-être fais perdre pas mal d'heures de sommeil mais un sourire m'illumine déjà les joues.

-Attend, qu'est-ce qui te fais croire que je suis malade ?

Elle lève les yeux au ciel et secoue la tête, ce qui a pour effet de faire voler des deux côtés de son visage ses tresses pour dormir qui la font ressembler à une charmante petite fille. Elle réplique :

-Voyons, peut-être simplement pour la bonne raison que tu ne m'as jamais appelé au milieu de la nuit et encore moins en disant "j'ai besoin de toi". Ça, ce sont des mots totalement imprononçables pour la Ysaïne Astra que je connais...

J'ai presque envie de la serrer dans mes bras ou de pleurer sur son épaule je ne sais pas. Ça ne me ressemble pas, Idwin m'a vraiment rendue folle là-haut.

Souriant malgré mes émotions et ma fatigue, je réponds simplement :

-Tu te trompes sur toute la ligne Camille... J'avais juste besoin d'une amie. Et de tes conseils.

Elle esquisse une petite moue rieuse et, deux secondes plus tard, sans que j'ai compris d'où elle les sortait, elle a un petit carnet à la main, un bloc-notes et des lunettes sur le nez en sachant qu'aujourd'hui ce ne sont plus qu'un accessoire de mode puisque tous les problèmes de vue sont opérables. Mais en ce moment vu la variante des paires qu'elle arbore, Camille vient de se trouver une nouvelle passion.

J'achève de me détendre et éclate soudain de rire, oubliant tout pendant un instant. Je reprends en même temps le contrôle de moi-même et enlève d'un geste vif le carnet et le stylo à projecteur des mains de Camille en disant d'une voix rieuse :

-Abandonne les notes ! Un simple coup de blues... Tu me racontes ta journée ?

Camille a toujours un don incroyable pour raconter les choses... d'une manière totalement différente de moi alors que la plupart du temps nous avons vécu les mêmes instants.

Ça me fait du bien d'oublier tous mes soucis et Camille reste deux heures avec moi sans poser la moindre question, mon chat sur les genoux.

Mais lorsqu'elle quitte la pièce sur un dernier éclat de rire cristallin, je ne peux m'empêcher de repenser à Esteban, Idwin, ce baiser, et l'ombre fuyante de Tiara...

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant