Ysaïne (Chapitre 191)

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-Non... Non !

Le cri jaillit de ma bouche avant que mon esprit ait pu enregistrer l'information. J'hésite à me précipiter vers Christian mais parvient à me retenir devant la foule qui s'attroupe autour de nous dans le couloir où je me suis immobilisée.

Mon long dragon pousse un léger sifflement, crache dans deux-trois directions, et les gens s'écartent promptement, nous laissant plus d'espace libre.

Moi je ne pense à rien de tout ceci mais à ce que répète lentement Christian en détachant chacun de ses mots.

-Ils sont morts tous les deux Ysaïne... Et en Eveland c'est l'anarchie...

Je ferme les yeux quelques secondes avant de me reprendre et de me tourner de nouveau vers celui que je considère comme un second père, pour dire d'une voix froide soudain, comme détachée de la situation :

-Tu sais où se trouve ma mère n'est-ce pas ? Conduis-moi à elle !

Il fait demi-tour sans mots dire tandis que je tente de m'analyser, de me comprendre tout en paraissant impassible pour tous les regards qui se posent sur moi.

Je considérais Tiara et même Idwin comme de vrais amis... et les voilà morts. Je n'arrive pas à le croire alors même que j'avais la sensation depuis longtemps que c'était un dénouement inévitable.

Je regrette pourtant amèrement de n'avoir pas plus tenté de retenir la jeune femme et mon cœur se serre un peu plus en songeant à l'enfant orpheline tandis que je presse le pas dans le couloir derrière Christian.

Il me conduit à la salle de réunion et j'entre d'un pas ferme, m'engouffrant à l'intérieur dès que la porte a coulissé.

Tous les conseillers sont là et je marque un temps d'arrêt, surprise, oubliant pendant un dixième de secondes la terrible nouvelle que l'on vient de m'annoncer.

Ma mère est debout dans un angle et explique tandis que je m'avance avec Christian et que la porte se referme :

-J'ai pris la liberté de les convier... J'ai pensé que tu aimerais prendre une décision.

Idwin et Tiara sont morts ! Quelle décision ? Je me tourne vers Christian en quête d'explication mais il se contente de m'adresser son calme sourire.

Alors je me laisse tomber dans mon siège et m'apprête à demander plus d'explication lorsque la réponse me traverse comme un éclair pendant un ciel d'orage.

-Esdera ! Elle est l'héritière de l'Eveland !

Comme je l'étais... À ceci près que son pays ne veut pas d'elle.

Rank, le doyen du conseil, me fixe un moment en silence avant d'hocher la tête et de dire :

-C'est un problème épineux majesté. À quel titre allons nous la garder ?

-Que voulez-vous dire ?

-Son pays va la réclamer... officiellement pour l'éduquer, qu'elle ne soit pas à la solde d'Astra une fois grande mais officieusement pour au mieux la mettre en prison... à quel titre allons-nous refuser Majesté ?

J'oublie ma peine, ma tristesse et ma colère pour ne plus penser qu'à Esdera soudain. Pas question que j'abandonne la fille d'Idwin et de Tiara... Pas question !

Je croise le regard de ma mère, aussi déterminé que le mien, et nous échangeons un fabuleux sourire aux reflets lourds de tristesse. Nous partageons les mêmes pensées... Elle prend d'ailleurs à son tour la parole et même si elle ne fait pas partie du conseil, personne ne s'y oppose. Elle était l'une des chefs des résistants ! Et ma mère accessoirement... ce qu'aucun d'eux n'oublie.

-Il n'est pas dit qu'Astra abandonnera une enfant dont il a la garde. En revanche, nous devons nous demander ce que nous pouvons faire pour l'Eveland...

Je reprends la parole calmement, enfin je l'espère, et observe sans trembler malgré ma gorge serrée :

-Il faudrait une régence et calmer le pays. C'est... Idwin qu'ils détestaient, alors maintenant qu'il... qu'il est mort, cela devrait aller mieux peut-être, non ?

Mais une femme se lève aussitôt et grogne :

-Pour quelle raison nous préoccuperions nous de ce pays ? Gardons la petite soit, mais occupons nous de nos affaires.

Je plisse les lèvres et réplique :

-La petite comme vous dites est l'héritière du pays...

Rank ajoute :

-C'est un problème politique... Techniquement il serait très mal vu qu'elle soit élevée par la reine d'Astra... Quand à ses prétentions au gouvernement de l'Eveland, disons que pour le moment elles sont inutiles car le pays s'en débarrasserait aussitôt.

Ma gorge se serre de nouveau et je dois retenir des larmes qui menacent de jaillir de mes yeux là devant tout le conseil. Je me tourne alors vers Christian à ma gauche et Camille qui vient de nous rejoindre et de s'installer en les interrogeant du regard, incapable de prononcer un mot.

Christian prend calmement la parole :

-Astra ne peut pas décider du sort de l'héritière de l'Eveland seul et la situation est trop exceptionnelle...

Je demande d'une voix atone :

-Que proposes-tu ?

-De convoquer une réunion exceptionnelle des Nations Unies.

***

Je me penche vers Esdera, profondément endormie dans son berceau et les larmes que je retenais si désespérément coulent alors à flot le long de mes joues.

-Oh, Esteban ! C'est... c'est horrible. C'est pire que ce que j'ai vécu quand j'étais petite... elle ne se souviendra même pas d'eux !

Nous sommes seuls tous les deux, il n'était pas là à la réunion, et il me prend dans ses bras un long moment, en silence, tandis que je laisse mes pleurs s'assécher sur mon visage.

Il murmure alors en fixant des yeux Esdera :

-Ne t'inquiète pas Ysaïne... Les nations unies...

Mes yeux brillent d'un éclat de colère et je resserre mes mains autour des siennes avant de lâcher :

-J'espère qu'ils trouveront une solution...

-De toute façon maintenant c'est fait, on ne peut annuler une convocation des Nations. Personne ne prendra la responsabilité de remettre Esdera dans les mains de l'Eveland Ysa, ne t'inquiète pas de ça...

Je soupire et lui adresse un léger sourire crispé. Il dépose un léger baiser sur mes lèvres avant de s'approcher lui aussi du berceau et de sourire à la petite fille maintenant réveillée.

Ses yeux à elle sont incroyablement verts et elle éclate d'un petit rire cristallin qui achève de me broyer le cœur. Oh, comme Tiara et Idwin auraient aimé l'entendre !

Mais je suis responsable de l'enfant maintenant... et je suis prête à remuer ciel et terre pour qu'elle puisse retrouver la seule chose qui lui reste vraiment : son pays.

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant