Azylis (Chapitre 3)

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J'ai les yeux perdus dans le vague. Je ne pense à rien de particulier mais laisse la délicieuse saveur d'une tasse de chocolat m'envahir.

Douze ans déjà... Douze ans que je cherche ma fille et qu'Edilyn dirige Astra. Mais il est temps de changer. De tout changer. Même si j'hésite toujours...

Je me lève brusquement et repose la tasse sur une table blanche à côté de moi. Je fais quelques pas dans le bureau et m'approche de la fenêtre. Cela fait déjà plusieurs années que je me suis réfugiée ici. Dans le pays qui déteste le plus Astra : l'Eveland. C'est presque paradoxal.

Je ne suis pas seule dans la pièce. Parfaitement silencieux, les yeux fixés sur moi, le roi de l'Eveland suit des yeux mes allées et venues. Lorsque je m'arrête enfin devant lui et pose mes yeux sur son visage il se décide à me demander :

-Alors ?

-Ce que vous me proposez est tellement...

-Je comprends votre problème.

Et ses lèvres s'étirent en un détestable sourire narquois. Il a trente-sept ans très exactement selon Maly qui adore toujours aller fouiner partout à la recherche d'informations saugrenues, des cheveux ras et blonds, et une haute stature. Je le déteste profondément mais il est le seul à m'avoir un peu soutenue... Uniquement parce que cela servait ses intérêts de rendre Astra un peu moins unifié encore. Je me décide à répondre en fronçant les sourcils à sa courte phrase.

-Non, vous ne pouvez pas comprendre. Vous m'avez offert un asile dans votre pays. Je possède maintenant une véritable petite armée avec les habitants d'Astra qui rejoignent la révolte chaque année... Pourquoi aurai-je encore besoin de votre aide ?

Ses yeux lancent un léger éclair. Mais cela m'est égal d'être allée trop loin, car je tiens à lui montrer que je n'ai pas peur de lui.

-Que vous soyez ou non à mes côtés, je vais enfin déclarer la guerre à Astra. Réduire ce maudit pays à notre merci... A vous de savoir si vous voulez faire partie des vainqueurs.

-Mais moi je veux récupérer la couronne. Ensuite je vous mettrai dehors...

Il se lève de son siège et ses yeux marrons se posent sur les miens. Son sourire s'élargit, révélant une dentition parfaite.

-Azylis Astra... Vous n'avez aucune expérience de la guerre. Avec deux mille ou cent mille hommes, je vous écraserai de toute façon.

Je lui lance un regard noir.

-Je n'ai peut-être pas d'expérience mais je suis bonne tacticienne. Ma présence à la tête de mes troupes déstabiliserait Astra. Edilyn et ses gardes auraient alors affaire à tous les hommes encore loyaux du pays qui se retourneraient contre eux. Votre victoire, vous ne l'aurez pas sans mon aide, et vous le savez.

Il paraît légèrement agacé mais hausse les épaules. Sans attendre, il se dirige vers la porte du bureau et gagne le couloir. Je l'entends lancer une dernière phrase :

-Je veux votre réponse dans une heure. A vous de faire vos plans.

Je me mords violemment la lèvre inférieure et pose mes doigts sur le bord de la table. Je n'ai jamais été aussi indécise de ma vie. Astra, mon pays, me manque et la tentation est grande de choisir d'y retourner aujourd'hui. Il y a longtemps que j'ai cessé de me considérer comme une habitante du vingt-et-unième siècle... Mais je ne suis pas certaine que ce soit le meilleur des choix.

-Azylis !...

Un sourire m'échappe tandis que je me retourne vers la porte qui vient de se rouvrir. Christian entre rapidement, et je remarque déjà son agacement à la manière dont ses sourcils se soulèvent.

-Azylis, ce sale bonhomme était encore là ?

-Serais-tu jaloux Christian ?

-Pas le moins du monde. Ce roi de pacotille, ce...

J'aime le taquiner. Mais je mets fin à la discussion d'un geste avant de reprendre plus gravement la parole :

-Christian, Ezeor est venu me proposer de nous joindre à lui. Il compte attaquer Astra dans les prochains jours.

Christian blêmit légèrement avant de se reprendre et de demander d'une voix ferme :

-Ça servirai nos plans Azylis, non ?

-Mais Ezeor ne fait pas ça pour nos beaux yeux... Il veut Astra. Alors comment le maîtriser ?

Christian hésite puis se décide à dire :

-Je ne vois qu'une manière de le manœuvrer : la force et la ruse.

-Certainement. La force est de son côté et la ruse... Qu'est-ce-que tu proposes ?

Une voix résonne tout à coup derrière nous et murmure joyeusement :

-On devrait demander à Sarah...

Je me retourne de nouveau vers la porte et croise le regard toujours aussi malicieux de Maly qui vient visiblement de se faufiler dans la pièce pour espionner notre conversation sans le moindre remord. Mais sa suggestion est intelligente... Christian s'empresse de demander :

-Tu vas la chercher ?

-Vas-y toi.

-Je croyais que tu remplaçais efficacement Vino.

-Ce n'est pas ma faute s'il est passé à l'ennemi !

-Là n'est pas la question, il me semble que tu avais promis d'obéir...

Maly hausse les épaules puis se décide à tourner les talons pour rejoindre les couloirs et partir à la recherche de Sarah. Il faut admettre que Vino faisait un courtier/majordome et toutes les autres fonctions possibles bien meilleur. Mais il a préféré se mettre au service du fils d'Ezeor...

Je pousse un léger soupir amusé avant de voir l'air grave de Christian.

-Tu penses que nous ne devrions pas prendre part à cette guerre ?

-Oh non, je ne pensais pas du tout à cela, je pensais à...

Intriguée malgré moi, je lui demande des yeux de continuer. Mais il ne semble pas saisir et je le relance :

-A quoi pensais-tu ?

-Ça fait plus de douze ans que Gabriel est mort.

Je ne réponds rien et détourne la tête. Un vieux réflexe. Mais Christian ne me laisse pas souffler et s'approche de moi lentement pour dire :

-Écoutes Azylis, je voulais te dire...

Je n'ai rien envie d'écouter. Penser à Gabriel me fait penser à ma fille. Et l'un comme l'autre ressemblent à deux blessures béantes non cicatrisées. La porte du bureau se rouvre d'ailleurs juste à ce moment-là et coupe net la discussion à mon grand soulagement. Mais cela semble décevoir Christian.

Sarah entre de son pas aérien aussitôt suivie d'une Maly toujours malicieuse. Elle s'amuse d'ailleurs à claironner :

-On avait besoin de ton génie Sarah... Ils ne savent pas quoi faire.

La jeune femme aux cheveux sombres nous regarde un instant l'un et l'autre avant de répondre calmement :

-Va-t-on faire la guerre ?

Je jette un léger coup d'œil par la fenêtre avant de me décider à articuler :

-A-t-on réellement le choix ?

Sarah laisse son regard se poser sur Christian. Elle paraît sur le point de dire quelque chose mais se ravise pour répondre :

-On a toujours le choix. Mais je crois que c'est notre dernière chance.

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant