Intemporel T5 & 6

Azylis (Chapitre 196)

Je rouvre lentement les yeux. Je ne me souviens pas complètement du rêve que je viens de faire... Mais je sais qu'il y était question d'une danseuse qui dansait dans des flammes rougeoyantes...

Et après je revoyais cette curieuse statuette d'Edilyn, et ensuite les yeux bleus et vifs de Gabriel avec son sourire mystérieux. Je suis en nage sans comprendre pourquoi et je repousse la couverture chauffante pour me lever. Quelle heure est-il ?

Je m'approche d'une fenêtre, passe mon bras sous l'un des détecteurs et les volets coulissent aussitôt. L'aube... Cinq ou six heures ?

Un sourire naît sur mes lèvres tandis que j'embrasse du regard l'horizon. Je crois que j'adore maintenant Astra autant que Gabriel l'aimait...

J'ouvre la fenêtre et me glisse dehors, toujours en chemise de nuit, jusqu'à gagner la balustrade. J'y rêvasse un instant, sans d'autres pensées que toute ma vie qui défile une fois de plus sous mes yeux. Je n'ai pas envie de rentrer à l'intérieur...

J'ai juste envie de laisser s'écouler le temps ainsi, là, immobile et tranquille. Un sourire me monte aux lèvres tandis que mes paupières se plissent devant la clarté du soleil que je tente de fixer des yeux.

-Je suis chez moi...

Les mots sont presque magiques. En un éclair je revois l'instant où Gabriel et moi nous regardions, chacun souhaitant entraîner l'autre à rester dans son "monde"... Il était revenu avec moi dans mon époque.

Durant ces sept années, l'ai-je assez remercié de cela ? Je l'espère... J'aurais voulu que notre bonheur dure toujours, mais là, à cet instant précis dans le vent du matin, je suis certaine que je suis heureuse.

Et sûre aussi de le retrouver un jour quelque part... Mes yeux plongent de nouveau dans l'horizon à la recherche de quelque chose que je ne peux pas comprendre et mon sourire s'agrandit avec douceur sur mes lèvres.

Lorsque mon regard s'attache aux nuages rougissants de l'aube, il me semble y lire l'ombre d'un visage qui me rend mon sourire...

Comme si Gabriel était là, m'environnant de son ombre bienfaitrice, et je sens deux larmes couler le long de mes joues à force de m'efforcer de garder les yeux ouverts face au soleil qui s'élève et illumine lentement de plus en plus le ciel pour amener une nouvelle matinée...

Jamais je ne me suis sentie aussi proche de celui que j'aime depuis qu'il a disparu de ma vie. C'est comme si mon cœur se gonflait de gratitude, si sûre que je suis soudain qu'il m'attend quelque part et que ce rayon de soleil entre deux nuages est là juste pour moi...

J'ai reculé sans m'en rendre compte et je me rapproche maintenant de nouveau à pas lents et comptés de la rambarde. Mes yeux se baissent enfin sur le paysage en contrebas. J'ai changé d'appartement... et d'ici, c'est la mer en furie que je contemple.

En voyant les lames d'eau salée s'attaquer avec violence aux rochers en contrebas, il me semble y voir toute l'expression de mes révoltes et peurs antérieures. Mais je me sens maintenant si calme...

Tout n'a-t-il pas commencé près de la mer ? N'étais-je pas allée m'assoir sur une plage de Normandie pour sentir sous mes pieds le sable humide et l'odeur iodée du vent lorsque je cherchais si désespérément Gabriel avant de découvrir son aéronef spatio-temporel ?

Je relève les yeux vers le ciel de nouveau et il me semble alors entendre un bruit léger derrière moi. Je ne me retourne pas, le regard toujours posé sur ces nuages qui paraissent me sourire...

-Maman...

Ysaïne... Une part de moi savait déjà que c'était ma fille qui était là. Je ne réponds rien, et le vent souffle un instant dans mes cheveux et dans ma chemise, seul bruit sur la terrasse.

Mon enfant ne bouge d'ailleurs pas d'un pas, respectueuse de ce silence, touchée elle aussi de quelque chose de presque féerique dans le paysage.

Au bout de longues minutes, je me retourne enfin, le regard très brillant, et nos yeux se rencontrent un long instant avant qu'elle ne commence à s'avancer vers moi lentement.

Elle répète encore plus doucement :

-Maman...

Avant de venir s'immobiliser à mes côtés, tandis que nous fixons toutes deux des yeux l'horizon et le soleil qui poursuit sa course inexorable. Elle pose alors sans un mot sa tête contre moi et je passe un bras autour de ses épaules.

J'ignore combien de temps nous restons ainsi, sans autre bruit que celui de nos deux respiration.

-Ma petite fille... Tu voulais me parler ?

Elle acquiesce. Un nouveau temps s'écoule. Suis-je sortie à l'air libre il y a dix, quinze minutes, une heure ? Le temps s'est évanoui dans mon esprit mais il me semble que le soleil est maintenant bien monté dans le ciel et que les nuages commencent à se dissiper dans cette brume matinale.

Un dernier éclat oranger brille et le sourire que je croyais voir paraît s'agrandir et les yeux de nuage briller d'un éclat particulier avant de s'évanouir dans le ciel d'un bleu qui se dégage soudain.

Je resserre contre moi ma fille et elle ajoute doucement :

-Vous le savez n'est-ce pas, ce que je veux vous dire ?

-Je m'en doute.

Je n'ai pas attendu cette fois-ci, et je tourne la tête vers Ysaïne, délaissant les cieux pour poser carrément mes deux mains sur ses deux épaules. Nos regards se rencontrent de nouveau et un nouveau sourire fugitif nait sur mes lèvres.

-Tu es tellement belle...

-Comme Edilyn...

J'acquiesce sans dire un mot de plus. Bien qu'elles n'aient pas le même genre de beauté. Ysaïne possède un charme inévitable qu'Edilyn n'aura jamais. Mais ma fille se penche alors vers moi et reprend la parole :

-Alors...

-Dis le moi...

-J'attends un enfant. Un fils Maman...

Quelque part, je le savais, mais l'entendre dire ! Je passe un doigt sur la joue de ma fille et mon sourire devient plus doux encore tandis que je murmure :

-Il vous rendra tous les deux très heureux, toi et Esteban...

Elle recule d'un pas, avant de répondre calmement :

-Et vous aussi Maman. Il s'appellera Gabriel...

Astra est un nom dominant...
Gabriel Astra.

FIN DU TROISIÈME TOME
FIN DÉFINITIVE D'INTEMPOREL (explications chapitre suivant ;))