Deux jours que je ne peux pas me regarder en face. Deux jours que j'évite mes deux filles pour ne pas pleurer en les regardant.
Une fois de plus, je ne sais plus où j'en suis. Ysaïne... Elle m'a défiée, m'a mise hors de moi.
Pire, elle m'a volé... Personne n'aurait jamais pu oser.
Deux voix se déchirent mon âme. La première, celle de Gabriel, qui m'ordonne de révéler la vérité à ma nièce, qu'elle apprendra de toute façon tôt ou tard, et de lui rendre le trône.
La seconde, de la détruire, tout simplement. C'est probablement celle pour laquelle j'aurai déjà opté s'il n'y avait Saldya...
Ma petite princesse. J'étouffe un sanglot et laisse ma tête retomber entre mes bras croisés sur la table. Je suis assise sur une chaise et je fixe le mur en face de moi depuis déjà plus d'une heure sans réussir à sortir de la spirale de doutes et de ténèbres qui m'envahit. Je finis pourtant par relever la tête en me mordant légèrement la lèvre.
Je ne peux pas tout détruire. Ysaïne restera dans l'ignorance. Mais je ne la toucherai pas, car je sais que Saldya ne plaisante pas... et parce que de toute façon je ne pourrais jamais m'y résoudre tant qu'elle ne présentera pas un réel problème. Elle ressemble beaucoup trop à Gabriel. Et à moi... C'est si paradoxal.
Je me lève de mon siège, jetant un coup d'œil à l'écran de mon poignet. J'ai promis dans quelques minutes un entretien au prince de l'Eveland. Encore un problème.
La porte de mon salon s'ouvre à ce moment précis, mais j'ai déjà heureusement retrouvé une attitude parfaitement impassible et l'un de mes gardes noirs s'incline en disant d'une voix neutre et contrôlée :
-Le prince Idwin, majesté.
J'incline la tête et le garde s'efface alors pour laisser entrer le jeune homme. La porte de referme ensuite et j'esquisse un sourire de froide politesse sans répondre à son salut.
-Que vouliez-vous me dire ?
Il paraît déconcerté de cette question directe et je cache un sourire aux reflets amers. C'est exactement le but.
-Majesté, je suis venu au nom de mon père pour négocier un accord et vous ne m'avez rien proposé...
Je lui jette un léger regard un peu narquois et demande :
-Vraiment ? Navrée, j'ai eu beaucoup d'occupations ces derniers temps...
Idwin déteste être traité comme un enfant et c'est assez drôle à voir. Enfin, si l'on aime ce genre de spectacles. Il fait visiblement de gros efforts pour conserver son calme et s'apprête à reprendre la parole lorsque je me tourne vers la fenêtre et le prend de court.
-Votre père avait bien une proposition de paix je suppose ?
Il perd de nouveau légèrement ses moyens avant de se ressaisir et d'adopter le même ton froid que le mien.
-Oui majesté.
Toujours sans le regarder, je demande de nouveau en fixant mes yeux sur la mer derrière les vitres de la fenêtre :
-Pourrais-je l'entendre ?
Le prince se racle la gorge, sûr de lui soudain. Il me fait rire. Je continue de fixer les vagues et attends dans le plus parfait des silences. Résoudre ce problème me permet d'oublier le seul qui compte vraiment à mes yeux, la fille de Gabriel...
-Majesté, mon père pense qu'Astra et l'Eveland n'arrêteront jamais de se faire la guerre sans quelque chose de solide pour maintenir la paix.
Serait-il capable de me surprendre ? Je réplique d'une voix neutre, toujours sans me retourner :
-Évidemment. Astra est plus puissant et vous espérez réussir à nous renverser...
Idwin murmure avec mauvaise humeur :
-Majesté ! On ne dirait pas à vous entendre que vous voulez éviter la guerre !
Je me retourne alors doucement et esquisse un froid sourire. En croisant mon regard, le jeune prince recule de deux pas avant de se reprendre.
-Allons Idwin... Nous savons bien tous les deux que ce n'est certes pas vous qui me faites peur. Ni votre père...
Froidement, il demande :
-Ah non ? Alors qui est-ce ?
-L'armée des rebelles bien sûr. Cela me paraissait évident.
Mon ton condescendant achève de le mettre en colère tandis que je ne peux m'empêcher de songer qu'il n'est décidément pas prêt pour la politique. Ne comprend t-il pas que cette simple conversation le met en danger ?
Mais Idwin hausse les épaules avec mépris.
-Les rebelles ? Mon père a fait une erreur en les aidant à s'organiser mais...
Je hausse les épaules avant de répondre.
-Quelle erreur ? Il voulait déstabiliser Astra et c'est pleinement réussi. Mais il devra mener deux batailles s'il veut vraiment ce pays... Contre moi et les loyalistes.
Un petit sourire m'échappe tandis que je me tourne de nouveau vers la fenêtre. J'ajoute :
-Vous savez, des deux, je suis de moins en moins certaine d'être la plus dangereuse.
Puis, par un inexplicable soucis d'honnêteté :
-Ils me battront peut-être d'ailleurs. Mais ils le payeront très cher.
Idwin semble cette fois-ci totalement dérouté et il lui faut plusieurs longues minutes pour retrouver le fil de son idée.
-Justement, majesté, si vous vous alliez à l'Eveland, vous serez bien plus puissante. Et inattaquable.
Je me retourne de nouveau vers lui et le dévisage quelques instants.
-J'ai beaucoup de défauts. Mais j'ai toujours été loyale à Astra.
-La solution que je vous apporte ne nuira pas à votre pays.
Il ajoute d'un ton narquois :
-Et puis, nous savons tous que nous ne sommes pas toujours les meilleurs exemples n'est-ce-pas ?
Un infime tressaillement du coin de mes lèvres. C'est le seul signe extérieur qui trahit ma colère. Qu'insinue t-il ? Que je ne suis patriote que parce que cela m'est utile ? C'est pourtant l'une des rares choses ou je suis honnête.
Profondément agacée et en colère, je fais deux pas dans la pièce avant de m'immobiliser devant la glace. Et la danseuse qui trône toujours sur ma cheminée décorative.
Qu'aurait fait Gabriel à cet instant précis ? Ah, oui. Un sourire poli au lieu d'assassiner le visiteur. Quoique... Il aurait peut-être cédé à la colère lui aussi... Non. Pas si l'avenir du pays était en jeu. Je pousse un léger soupir et me résigne en fermant mes yeux une demi seconde. Je peux toujours essayer de rester calme...
-Bref, quelle est votre merveilleuse proposition qui pourrait tout arranger ?
Pour la première fois depuis le début de la conversation, je le sens tout à coup véritablement tendu et anxieux. Je me retourne vers lui avec une curiosité non cachée et insiste calmement :
-Alors ?...
Idwin se décide à lâcher :
-Mon père propose une alliance solide. Il vous demande en mariage.
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Intemporel T5 & 6
Science FictionIntemporel Tome 3 : L'ombre du prince Douze années se sont écoulées depuis la naissance des jumelles d'Edilyn et l'envoi d'une équipe de recherche sur Sagan. Si rien n'a vraiment changé à Astra, Azylis, avec l'aide de Christian, recherche plus que j...