Edilyn (Chapitre 30)

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Ma fille pousse un cri et se précipite vers moi avant même que j'ai pu réagir.

-Maman ! Je ne voulais pas, je vous le jure, je...

Je l'écarte doucement de moi sans un mot avant de m'approcher à pas lents d'Idwin.

Il est vivant et tente de se redresser. Le soulagement se répand dans mes veines de manière totalement inattendue même si je remarque à part moi qu'on m'a rarement fixée avec autant de haine. Quoique. Il crache quelques gouttes de sang avant de lâcher d'une voix méprisante :

-Même votre fille est une criminelle !

Je ne me retourne pas vers Eslimea. Je me force à ne pas succomber à mes émotions et articule d'une voix basse et grave :

-Taisez-vous. Si vous répétez un seul mot de cette conversation, je vous retrouverai n'importe ou. Et je vous tuerai.

Il relève des yeux hagards vers moi, enveloppés d'un sombre brouillard.

-N'est-ce pas déjà le cas ?

Mais je sais qu'il a désormais mieux conscience du danger... Il tombe sans connaissance sur le sol définitivement cette fois ci. Je me relève, toujours sans me retourner, et murmure :

-Eslimea...?

Je devine la peur dans la voix de ma fille lorsqu'elle prend la parole à son tour.

-Oui Maman ?

-Va jusqu'à la porte de mon appartement et demande à un garde d'aller chercher un médecin.

Elle ne répond rien mais je la vois passer devant moi en faisant un détour pour éviter Idwin immobile sur le sol. Avant d'ouvrir la porte, Eslimea se tourne vers moi.

-Maman... je ne voulais pas.

Je devine la supplication muette pour que je la croie. Pour que je l'écoute. Mais je n'ai pas le temps de répondre qu'elle ouvre déjà la porte. Je l'entends échanger quelques mots avec le garde puis elle revient dans la pièce.

Nous restons parfaitement silencieuse toutes les deux et les minutes passent rapidement. La porte de mon appartement ne tarde pas à se rouvrir et deux gardes -parmi mes plus fidèles- entrent en silence accompagnés d'un troisième qui est aussi médecin. Ils s'inclinent tour à tour et je prends la parole avec un calme que je suis loin d'éprouver.

-Emmenez cet homme dans l'hôpital du palais. Je crois que ses blessures ne sont pas mortelles. Alors sauvez-lui la vie, compris ?

Le premier acquiesce et un autre lance :

-Oui, altesse.

Deux minutes plus tard, la porte est de nouveau fermée et je suis seule dans la pièce avec ma fille. Seule une tâche de sang sur les dalles de marbre peut rappeler la scène.

Je m'avance en silence vers l'une de mes fenêtres. Eslimea ne bouge pas mais j'ai le temps d'apercevoir les larmes rouler sur ses joues.

-Maman...

Je ferme les yeux. Les poings contractés, je demande avec froideur :

-Qu'est-ce-qui t'a pris Eslimea ? Qu'est-ce-qui t'a pris !... Réponds moi !

Je lui lance un regard de pure souffrance que je ne cherche pas à cacher. Je ne peux plus maîtriser ma douleur. Nos yeux se croisent et elle baisse la tête pour la première fois depuis bien des années.

-Maman... J'ai eu peur.

D'une voix brisée, je demande de nouveau :

-Mais peur de quoi ?

Elle relève alors ses yeux bleus vers les miens. Jamais je ne l'ai vue ainsi. À la fois si paniquée et si sérieuse.

-Peur pour vous. J'ai cru qu'il allait vous tuer Maman.

Je me tourne de nouveau vers la fenêtre pour lui cacher mon visage. Peur pour moi... Une bouffée d'amour m'envahit tandis que je me mords la lèvre. Je ne peux oublier l'horreur que j'ai ressentie quand j'ai compris qu'elle avait tiré sur un homme...

-Eslimea ? D'où vient l'arme ?

-Je... Je l'ai depuis longtemps déjà. J'avais demandé à mon garde du corps de me donner la sienne. Il... Il n'avait pas osé refuser.

Je secoue la tête.

-Et il ne m'a pas avertie.

Je ne demande même pas qui est le garde en question. Je ne peux pas tuer tous ceux qui font des erreurs... une larme roule sur ma joue.

-Mais comment as tu pu Eslimea ? Tirer sur un être humain ?

-Je vous l'ai dit. J'ai eu peur de vous voir mourir... Saldya aussi a peur pour vous. Je... Je ne savais pas. Je n'ai pas réfléchis...

Je me retourne de nouveau vers ma fille. Nos regards se croisent et j'ai du mal à ne pas lui adresser un sourire. D'une voix blanche, elle demande à son tour :

-Pourquoi le soignez-vous ? D'habitude, vous... vous l'auriez tué.

J'incline la tête, perdant aussitôt le peu de joie que je pouvais éprouver et admettant ce que m'assène ainsi ma petite chérie.

-Peut-être bien... Il... Il avait dépassé les limites. Mais je ne veux pas que tu sois une criminelle. Je ferais n'importe quoi pour t'éviter ça...

Mes yeux se posent malgré moi sur la danseuse sur la cheminée. Pourquoi ai-je l'impression que Gabriel est Si présent aujourd'hui ? Eslimea pâlit et demande :

-Mais alors Maman... Comment puis-je faire ? Je voudrai vous ressembler...

-Eslimea !

Elle relève la tête avec défi avant de murmurer :

-Vous êtes belle, tout le monde vous craint et vous admire... Mais et moi ? Que devrais-je faire pour qu'ils ne me détruisent pas quand je dirigerai ?

Pour la première fois de ma vie, il me semble parfaitement comprendre ma fille. Elle veut être à ma hauteur... Et je l'ai éduqué en lui enseignant de ne jamais me suivre.

Comment peut-elle envisager sans peur l'avenir ? Eslimea n'a pas conscience de mes pensées. Elle pleure maintenant à chaudes larmes et demande :

-Maman, vous me pardonnerez un jour d'avoir tiré ?

J'inspire fortement. Je la dévisage un instant avant de dire doucement :

-C'est déjà fait Eslimea. Mais seulement si tu me donnes ta parole de ne jamais recommencer.

Ses yeux s'agrandissent d'horreur à cette seule idée. Elle lâche d'une traite :

-Jamais je ne recommencerai ! J'ai eu tellement peur lorsqu'il est tombé ! Oh, Maman...

Et ma petite fille se précipite vers moi sans réfléchir. Je me penche vers elle et la serre très fort dans mes bras.

Je pose ma joue contre la sienne et passe d'un mouvement mécanique ma main dans ses cheveux. J'hésite puis me décide à dire doucement :

-Eslimea... Tu n'es pas obligée de devenir reine.

Elle ne s'écarte pas mais je la sens tressaillir. Pendant un long moment, je pense qu'elle ne va pas me répondre. Mais elle finit par articuler d'une petite voix qui ne lui ressemble pas :

-Si. Je crois bien que je suis obligée.

Et elle se détache alors de moi. Nous nous regardons en silence. Je me force à sourire et réponds doucement :

-Alors je t'aiderai. On fera de toi une reine parfaite... Ils t'aimeront tous.

Elle hésite puis détourne les yeux.

-Sauf notre cousine.

Intemporel T5 & 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant